Le moindre mal, ou voter «stratégique»

Élections fédérales du 14 octobre 2008



La campagne électorale bat son plein et comme dans la chanson de Félix, on constate que «le plaisir de l’un c’est de voir l’autre se casser le cou», surtout lorsque certains se spécialisent à poser des pelures de banane un peu partout sur le chemin des chefs de partis.
Les faiseurs d’opinions sont aux anges. On les rencontre partout, journaux, télévision, radio, coins de rue, cafés, ils ont réponse à tout et sont convaincus que leur opinion est la bonne, la plus juste, compte tenu du contexte, des enjeux, de la saison, de ce qui se passe au sud, au nord, à l’est, à l’ouest, etc. Ce sont les incontinents de l’opinion et je n’ose croire qu’il s’agit d’une maladie contagieuse.
J’en connais quelques-uns qui sont spécialistes en tout, qu’il s’agisse de la bouture des bégonias ou de l’avenir du Bloc québécois dont on ne cesse, à chaque élection, d’annoncer la fin. Je ne voudrais pas être de ce nombre et je sais que vous avez toujours, fort heureusement, le pouvoir de me zapper si jamais je peux vous sembler assommant à la longue. Et je me verrais bien mal placé de recommander l’abstinence tout en participant moi-même au grand débat des idées.
Au Québec, nombreux sont ceux qui cherchent à voter «utile» ou «stratégique», de façon à bloquer la route aux forces conservatrices qui ont le vent dans les voiles en ce moment, sans trop que je puisse m’expliquer pourquoi. Le Québec semble divisé en deux camps, les «proconservateurs» et les «anticonservateurs».
Mais comme il y a plusieurs partis dans ce dernier groupe, les forces conservatrices risquent de passer là où on ne s’y attendait pas parce que le vote anti-Harper sera immanquablement divisé entre le Bloc, le NPD, les libéraux, les verts et les... rhinocéros.
Que faire? Se ranger du côté du candidat qui a le plus de chances de l’emporter? C’est ce qu’on appelle voter «stratégique».
Pourtant, même si les programmes respectifs des bloquistes, des libéraux, des néo-démocrates et des verts peuvent sembler, à certains égards, sur la même longueur d’onde en ce qui concerne certains grands enjeux de société, il n’en demeure pas moins que seul le Bloc a jusqu’à maintenant défendu bec et ongles les intérêts du Québec à Ottawa, personne ne pourra le nier, car c’est là sa principale raison d’exister, sachant fort bien qu’il ne pourra jamais prendre le pouvoir et s’en mettre plein les poches.
Il y a donc un danger pour le Québec et un risque de revenir à la situation d’avant le Bloc. Et puis, advenant une diminution des votes en faveur du Bloc, ne risque-t-on pas, dès le lendemain du scrutin, d’entendre les spécialistes en opinions prédire la mort du Parti québécois sur la foi de ce résultat et annoncer en grandes pompes que l’idée d’indépendance a perdu du terrain? Et cela, dans une perspective du déclenchement imminent d’élections au Québec! Pour moi, il n’y a pas à hésiter. Un vote pour le Bloc est un vote stratégique.
À ce propos, voici une anecdote tirée des 101 histoires de Nasreddin, ce personnage moitié fou moitié sage de la mythologie musulmane:
Nasreddin décide d’offrir à Tamerlan (le chef des Huns) quelques figues de son jardin pour se concilier ses bonnes grâces. Il ignore à quel point le Tartare a ces fruits en horreur. À peine Nasreddin les lui a-t-il donnés que Tamerlan prend une figue bien mûre et la lui lance au visage.
— Allah est grand! s’exclame Nasreddin sans broncher, quoiqu’il soit tout couvert du jus et de la chaire éclatée du fruit.
Agacé , Tamerlan en prend une autre et recommence.
— Grâces te soient rendues, Allah!
Et Nasreddin a l’air aussi content que si on lui annonçait une livraison de halva (une confiserie à base de sésame et de pistaches).
— Arrête, fils de chacal! crie Tamerlan exaspéré. As-tu fini de rendre aussi stupidement grâces au ciel? Tu ne vois pas dans quel état j’ai mis ta tête et ton turban?
— Je comprends ta surprise, ô mon maître, mais quand je pense que j’ai failli t’apporter des melons!
Voilà un peu ce qui nous attend au lendemain du 14 octobre prochain...


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