Opération Marteau

Le milieu politique dans la mire des policiers

Corruption à la ville de Montréal

Kathleen Lévesque - L'opération Marteau s'approche de plus en plus du milieu politique québécois. À la faveur de l'enquête sur la collusion entre firmes de génie-conseil, la police examine le financement occulte des partis politiques qui serait lié aux nombreux contrats professionnels octroyés par le gouvernement, ses organismes et ses sociétés d'État, a appris Le Devoir.
Des firmes d'ingénierie seraient le pivot d'un système permettant un financement discrètement amassé par des partis politiques. Au fil des ans, la combine présumée se serait raffinée et se déclinerait en plusieurs façons de faire. Le dénominateur commun reste toutefois relativement simple: il s'agit pour une firme de décrocher un contrat, dont un pourcentage serait d'abord blanchi grâce à des prête-noms, puis versé à un parti politique.
«On a compris que le financement politique fait partie de leur "core business"», a expliqué une source au coeur du dossier, qui a requis l'anonymat. «On connaît leur mode de fonctionnement. Maintenant, il faut accumuler des preuves», a ajouté cette personne qui s'ajoute à d'autres témoignages recueillis sous le sceau de la confidence.
C'est là que les choses se compliquent. Il semble pour le moins délicat de fouiller aux abords du monde politique qui est aux commandes des structures mises en place et des mesures prises pour contrer la grogne populaire quant à la collusion dans l'industrie de la construction.
Lors du lancement à la mi-février de l'Unité permanente anticorruption, le directeur général de la Sûreté du Québec, Robert Deschesnes, confirmait que le financement des partis politiques était sous analyse lorsqu'il était lié à d'autres activités douteuses. Sinon, cela relève du Directeur général des élections.
«On n'enquête pas sur des professions, mais plutôt sur des facilitateurs. Il ne peut pas y avoir de corruption, de malversation, de fraude et d'abus de confiance sans avoir des facilitateurs qui sont dans plusieurs secteurs d'activités», disait alors M. Deschesnes.
En marge du même événement, le responsable du service des enquêtes sur l'intégrité financière, dont fait partie l'opération Marteau, Denis Morin, a précisé que les avocats, les architectes et les comptables sont également dans la mire des policiers. «Il y a les ingénieurs, mais il y a d'autres professionnels qui font ça aussi. On ne vise pas un groupe en particulier, mais on travaille plutôt en fonction des informations que l'on a. On enquête pour démanteler ce système de collusion», a affirmé M. Morin.
Selon ce dernier, l'enquête policière «avance beaucoup». «Mais il y a plein de facteurs qu'on ne contrôle pas», a-t-il ajouté.
Liens avec les entrepreneurs
L'automne dernier, Le Devoir révélait que l'enquête policière se concentrait sur neuf firmes de génie-conseil. Ce réseau à cravate, appelé chez les ingénieurs le «club des neuf», fausserait la concurrence en se partageant les contrats publics. Trois firmes orchestreraient ce système de collusion, dont une en relation étroite avec un important entrepreneur.
En parallèle, un groupe de 30 entrepreneurs aurait la mainmise sur les contrats de l'industrie de la construction. Le travail policier aurait permis d'identifier la tête dirigeante responsable de distribuer les mandats et de fixer les prix.
L'année dernière, les médias parlaient du «Fabulous fourteen». Selon une source au coeur de l'enquête, les cartels sont «à géométrie variable». «Face aux difficultés, les organisations mafieuses s'adaptent», indique cette personne.
La promiscuité entre firmes d'ingénierie et entrepreneurs est au centre du travail policier comme le soulignait à La Presse, en février dernier, le capitaine Éric Martin, responsable de l'opération Marteau. «Pour faire avancer des projets de construction ou pour qu'ils soient autorisés, elles [les firmes de génie et les entreprises en travaux publics] ont besoin de financer des partis politiques. Elles vont demander à des collaborateurs ou à des employés de commettre des fraudes par supercherie, mensonge ou autres moyens. Elles vont fabriquer de fausses factures ou facturer des services jamais réalisés», expliquait alors M. Martin.
Le contrôle du génie-conseil
La multiplication des vérifications faites par la police ainsi que les différentes mesures prises par le gouvernement pour tenter de redresser le processus d'octroi de contrats, notamment au ministère des Transports et dans les municipalités, égratignent de plus en plus les certitudes des firmes de génie. Elles sont aux premières loges dans tous les projets d'infrastructures, petits et grands. Elles font la conception, participent à la sélection des entrepreneurs, estiment les coûts.
Selon diverses sources au sein de l'industrie, il y a beaucoup de nervosité dans l'air. Le vernis professionnel est touché, mais surtout, il y aurait des impacts commerciaux importants pour certaines firmes. De fait, aux Transports ainsi que dans plusieurs municipalités, la seule présence de l'opération Marteau a fait baisser les prix, un phénomène que plusieurs personnes appellent l'«escompte Marteau». Mais ce que d'aucuns croyaient être un repli stratégique de la part des firmes de génie, le temps que l'attention du public se détourne notamment avec la présente campagne électorale, semble s'incruster. Et les profits diminuent.
«Il y a beaucoup d'inquiétude chez les ingénieurs, en haut, chez ceux qui décident», a confié une source au sein d'une firme visée par les enquêtes. Une autre personne, d'une autre firme, a souligné qu'il faudra dorénavant compter sur le grand nombre de projets publics qui sont prévus, des centaines de millions en investissements à venir.
Perte d'expertise
À l'Ordre des ingénieurs du Québec, on estime qu'un des problèmes à l'origine de la situation actuelle est le manque d'expertise dans les corps publics. Avec trop peu d'ingénieurs à leur service, quand ce n'est pas une absence complète, les municipalités manquent de plus en plus d'«éléments d'indépendance».
«Il doit y avoir davantage de contrôle et de compétences chez les donneurs d'ouvrage. Il y a beaucoup trop de sous-traitance dans les municipalités, mais aussi au ministère des Transports», analyse la présidente de l'Ordre, Maud Cohen.
Cette dernière s'attend par ailleurs à ce que des enquêtes policières aboutissent dans les prochains mois. «Plusieurs choses nous laissent croire qu'il y aura plusieurs autres dossiers qui toucheront le génie-conseil, mais aussi d'autres types de professionnels», a soutenu Mme Cohen.


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