Le mépris n’aura qu’un temps ! Vraiment ?

Richler-Amherst : les indésirables


Quand il a donné à son film sur les ouvriers de la construction le titre Le mépris n’aura qu’un temps, le cinéaste Arthur Lamothe, inspiré par Michel Chartrand, qui présidait alors le Conseil central de la CSN à Montréal, devait être en effet convaincu que le temps du mépris achevait. C’était en 1969. Ce cher Arthur Lamothe, comme plusieurs d’entre nous, manifestait un optimisme que la suite des choses allait devoir tempérer.
Pourtant, si on avait retenu un tant soit peu les leçons de l’histoire, plus rien ne serait de nature à nous surprendre en ces matières de mépris où le Conquérant, et à sa suite les possédants et les élites à leur solde, se sont illustrés au-delà de la plus élémentaire des bienséances.
Pourtant, si on avait, parmi toutes les leçons que nous a données notre histoire nationale, gardé en mémoire plutôt que de ne ménager aucun effort pour les oublier les actes et les paroles qui ont été le fait de la Conquête, sans doute ne serions-nous pas aujourd’hui dans cet état de schizophrénie collective qui nous afflige depuis 250 ans et dont les débats autour de la commémoration de la bataille des Plaines d’Abraham représentent la plus récente des illustrations.
En mars 1759, six mois avant cette journée funeste du 13 septembre, le général en chef des armées britanniques, James Wolfe, écrivait à son bras droit, Jefferey Amherst, une lettre qui devrait faire rougir de honte celles et ceux, angéliques, amnésiques ou mieux encore insignifiants, qui se faisaient un plaisir de danser le menuet à la mémoire des nôtres qui, à l’époque, furent pillés et affamés, leurs demeures incendiées, leurs biens volés, les femmes violées par les bons soins de l’armée britannique. Et peut-on passer sous silence la guerre bactériologique lancée contre les Amérindiens par Amherst, qui leur fit distribuer des couvertures infectées par la vérole dans l’intention clairement affichée de les exterminer ?

Rues et monuments
Les talents épistoliers de Wolfe sont édifiants de clarté. « … je propose que nos canons mettent le feu à la ville, qu’ils détruisent les récoltes, les maisons et le bétail (…), et je propose d’expédier en Europe le plus grand nombre possible de Canadiens en ne laissant derrière moi que famine et désolation ». Les Anglais s’étaient fait la main en matière de déportation sur les Acadiens quatre ans auparavant.
Wolfe a sa rue à Montréal et son monument à Québec. Amherst aussi a sa rue à Montréal et un village des Laurentides porte son nom depuis 1887. Quand ce ne sont pas les autres qui nous méprisent, on se le sert nous-mêmes à tour de bras. Combien de peuples, en effet, célèbrent de la sorte ceux qui les ont conquis par les armes et semé la dévastation de la pointe Lévis jusqu’à Kamouraska, sur la Côte-du-Sud, et jusqu’à Baie-Saint-Paul, de l’autre côté du fleuve, ne laissant derrière eux que ruines fumantes ? Un peuple qui jusque-là s’occupait à vivre devra désormais, exsangue et décapité, s’acharner à survivre.
Il fallait l’ineffable André Pratte pour voler au secours de ce même Amherst, dont certains avancent l’idée de rayer son nom des rues de Montréal. « Si, au début du XIXe siècle, on a choisi d’honorer la mémoire d’Amherst, c’est parce qu’il était un héros aux yeux des Anglo-Montréalais de l’époque. L’existence d’une rue Amherst n’a donc rien de déplorable ; elle offre une occasion de plus de mieux connaître et de mieux enseigner notre histoire. » Justement, quand on sait ce qu’on sait de ces sinistres personnages…
Il ne faudrait pas non plus oublier qu’à Westmount, le boulevard s’appelle toujours Dorchester, et pas René-Lévesque, comme partout ailleurs dans l’île. Va donc pour Lord Sherbrooke, Wolfe, Amherst, Dorchester et autres brillants représentants de la couronne britannique, mais fi de ce petit énervé de New-Carlisle qui a joué avec nos nerfs. Carlisle ? Tiens donc ! Et Carleton, et Craig…

Si ce n’est pas du mépris…
Par une chaude journée d’août, un résidant de NDG se présente à une piscine située tout près de chez-lui, à Westmount. Mais comme il n’est pas de Westmount, impossible de s’y baigner. Même si les Westmountais peuvent à leur guise aller tremper leurs jolis pieds dans celles de Montréal. C’était comment déjà en Rhodésie et en Afrique du Sud dans le temps ?
Un récent exemple de ce mépris distillé sur le dos de ce peuple qui n’en finit plus de se justifier a été publié fin juillet dans Le Devoir. Un certain [Lee Gordon, étudiant à McGill->20957], y cassait plus que du sucre sur notre prétendue constipation intellectuelle et notre tribalisme supposément avéré. « L’identité nationale est un vestige tribal dont l’être humain semble incapable de se départir. Il serait peut-être temps que les Québécois de langue française saisissent tout le danger et toute la stupidité du chauvinisme. “Je me souviens”... de quoi au juste ? » Justement, mon cher Gordon, nous sommes heureusement encore quelques-uns à se souvenir de tout ! Et quand il termine son brûlot en lançant : « Il est temps que le Québec sorte de sa névrose identitaire », on a comme la curieuse impression qu’il se livre à ce que les psychiatres appellent de la projection.
Le 13 septembre, à l’instar de Néron qui jouait de la lyre pendant que Rome brûlait, le maire Labeaume pourrait peut-être, couché à plat ventre sur les Plaines, jouer de la cornemuse en l’honneur des conquérants ?


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