Le mensonge de Louis Cornellier

Éducation au Québec — effondrement du système


Luc Germain

Coauteur de l'essai Le Grand Mensonge de l'éducation (Lanctôt éditeur, 2006)

Luc Papineau

Coauteur de l'essai Le Grand Mensonge de l'éducation (Lanctôt éditeur, 2006)

Benoit Séguin

Coauteur de l'essai Le Grand Mensonge de l'éducation (Lanctôt éditeur, 2006)

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Réaction à la critique de Louis Cornellier, [«Enseignement du français: y a-t-il un scandale?»,->1991] Le Devoir, le 16 septembre 2006
Si, tout comme vous, M. Cornellier, on peut se réjouir que le domaine de l'éducation fasse l'objet de nombreuses publications cette année, il est cependant regrettable que les points de vue de ceux qui y participent soient rapportés de façon inexacte ou incomplète. De plus, en lisant votre critique, nous ne pouvons demeurer indifférents devant votre vision du système scolaire actuel, vision qui nous apparaît misérabiliste et qui repose sur des fondements douteux.
D'abord, vous reprochez à Luc Germain de faire des «comparaisons avec le bon vieux temps». Une telle affirmation est totalement fausse. Ce dernier, enseignant en sixième année, compare la situation d'aujourd'hui à celle qu'il a connue avant l'implantation de la réforme dans sa classe, c'est-à-dire celle d'avant 2004. On n'a plus le bon vieux temps qu'on avait, vous en conviendrez.
Ensuite, vous nous reprochez généralement de nous «égarer dans le beau passé». Mais de quel «beau passé» parlez-vous, M. Cornellier, alors qu'à la page 124 de notre livre, nous reculons jusqu'en 1943 pour illustrer justement que le ministère de l'Éducation a toujours été un monstre ingouvernable et inefficace ?
Erreurs de lecture
De plus, vous arguez que la dégradation du français que Luc Germain et Luc Papineau, tous deux enseignants depuis 14 ans, disent remarquer dans leurs classes n'est qu'une «complainte» qui ne repose sur aucun véritable argument, sinon «des pétitions de principe». Peut-on vous rappeler tout d'abord que les auteurs ont rencontré bon nombre de collègues avant de se livrer à un tel constat ?
Par la suite, peut-on vous souligner que l'impression de M. Germain s'est vue confirmée par rien de moins que le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) qui concluait, après analyse, à une baisse significative de la qualité du français écrit des élèves de sixième année entre 1995 et 2005 ? Qu'un sondage récent effectué auprès d'enseignants démontrait que la grande majorité de ceux-ci considéraient que la réforme n'avait apporté aucun effet bénéfique quant aux apprentissages des élèves et nuisait même aux élèves en difficulté ?

Enfin, c'est à se demander si vous avez omis, dans votre lecture, les passages où Luc Papineau explique que les résultats des élèves de cinquième secondaire à l'épreuve ministérielle d'écriture sont demeurés inchangés depuis dix ans, même si on en a, par exemple, facilité la réussite en allongeant le temps consacré à cette épreuve.
Également, la critique que vous faites de la partie sur le collégial comporte, entre autres, une grossière erreur de lecture. Benoit Séguin démontre, preuve à l'appui, qu'une élève forte de sixième année pourrait réussir l'épreuve finale du collégial en français, une dissertation littéraire. Vous affirmez que «le mensonge serait de faire croire que c'est là l'ordre normal des choses», sous-entendant que tout élève de sixième année devrait, selon Benoit Séguin, être capable de réussir une dissertation littéraire de niveau collégial. C'est faux.
Son exemple met plutôt en relief le fait que, dans le cas des élèves forts, les années d'études qu'ils effectuent aux niveaux secondaire et collégial ne sont même pas nécessaires pour affronter la dissertation littéraire du collégial. C'est plutôt l'ordre anormal des choses qu'il souligne là.
Une vision misérabiliste de l'éducation
En écrivant ce livre, nous avons mis en avant notre vision idéale de l'éducation, où la réussite de chaque élève devrait être sanctionnée par des évaluations justes et rigoureuses, où la réussite véritable de chaque élève devrait être la seule préoccupation de ceux qui oeuvrent dans ce domaine.
Or vous affirmez que nous nous trompons en faisant de la maîtrise du français un critère absolu de réussite parce que nous exclurions ainsi des jeunes qui auraient pu poursuivre leur parcours scolaire, comme si nous étions des élitistes qui se moquaient du décrochage scolaire. Vous affirmez que nous avons tort de nous scandaliser du fait qu'on ait abaissé les exigences pour faire réussir plus d'élèves. Vous vous justifiez en disant qu'«il est vrai que certains élèves obtiennent leur diplôme tout en étant éloignés de cet idéal».
La réalité n'est pas que certains élèves en sont «éloignés» (un doux euphémisme qui semble provenir directement du MELS) : certains diplômés ne savent carrément pas écrire ! Mais qu'ils se consolent puisqu'ils auront la chance, comme vous le mentionnez dans votre critique, d'assister à vos cours et de vous «écouter». Vous allez même jusqu'à vous poser en sauveur modeste en écrivant : «De grâce, qu'on me les laisse et je m'engage à les faire travailler.» Comme si vous laissiez entendre qu'ils n'avaient jamais travaillé auparavant !
Enfin, il est clair, M. Cornellier, que vous nous rangez à tort parmi les élitistes que vous semblez tant exécrer. Nous prétendons, au contraire, que l'élitisme consiste à refuser que la masse dépasse le rôle de simple spectateur et à s'assurer qu'en jouant les grands démocrates comme vous semblez le faire, celle-ci ne s'élève jamais à la hauteur de ses soi-disants libérateurs.
Vous concluez votre critique en affirmant, sans aucune preuve à l'appui, que la situation de l'enseignement du français pourrait aller mieux et qu'on y travaille. Faut-il en être rassuré ? Comme le disait une élève du secondaire : «On n'arrête pas d'améliorer le problème.» En niant qu'il y ait un scandale dans l'enseignement du français au Québec, manifestement, vous faites partie davantage du problème que de la solution.
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Réponse
Le «bon vieux temps» est une notion bien relative. Pour certains, ce sera les années 1950; pour d'autres, le temps de leur jeunesse. Pour nos auteurs, c'est «avant la réforme». En 1960, pourtant, Jean-Paul Desbiens se lamentait déjà sur les faiblesses de ses élèves, et j'ai entendu Luc Germain, en entrevue au Canal Vox, affirmer qu'on ne lui avait pas appris à écrire à l'école... d'avant la réforme ! Benoit Séguin, lui, connaît une jeune fille de 12 ans qui rédige des dissertations fort potables. Avouez qu'on y perd son latin, pour ne pas dire son français.
L'essentiel, au demeurant, est ailleurs : que faire, en effet, pour améliorer l'enseignement du français au Québec ? Mes interlocuteurs suggèrent plus de rigueur, surtout dans l'évaluation, alors que je suggère une pédagogie de l'effort et de l'engagement qui relativise l'importance de l'évaluation. Il est là, le vrai débat.
Louis Cornellier


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