C’était il y a un an, aujourd’hui. Emmanuel Macron était élu président de la France avec 66 pour cent des suffrages exprimés. Il s’agissait, sans aucun doute, d’une victoire par dépit. Si le modèle du candidat parti de nulle part, qui ne dispose pas d’une forte notoriété et qui parvient à la victoire sans avoir à utiliser un véhicule partisan bien établi mérite certainement d’être analysé et même salué, il va sans dire que l’ampleur de la victoire de Macron est surtout le résultat du rejet de Marine Le Pen. Ce qu’il faut surtout retenir ici, c’est que le président ne doit pas son élection au projet particulier qu’il porte.
Et pourtant, il en a un. Si la présidence Macron concrétise le règne absolu de la communication, il ne faudrait pas conclure qu’elle est dénuée d’orientations.
Ce projet est d’abord néolibéral, et implique une américanisation fulgurante de la France. Macron a assurément été très marqué par son passage dans l’univers des banques, appliquant à la lettre le programme de ces dernières. Le macronisme est un néolibéralisme assez conventionnel, postulant que le développement est synonyme des bonnes perceptions du milieu des affaires. L’État ne se voit confier aucun rôle stratégique, si ce n’est celui d’attirer les investisseurs et les capitaux étrangers. Ainsi, les réformes macronistes vont toutes dans ce sens. Une bonne partie de son projet trouve par ailleurs son application par des méthodes autoritaires, à l’instar de l’utilisation des « ordonnances », comme nous avons pu le voir lors de la réforme du Code du travail. On croyait la France imperméable à une telle idéologie, mais les mythes –récemment superbement déconstruits par Thomas Porcher dans son plus récent livre- voulant que le modèle social français et ses prétendues rigidités soient intenables sur le plan économique et qu’aucune réforme n’ait été faite depuis 30 ans dans l’Hexagone, sont des plus colportés. Leader of the free markets, titre ce mois-ci le magazine américain Forbes, bien connu pour ses positions néolibérales, pour désigner le président...
Une récente étude réalisée pour le compte de la Fondation Jean-Jaurès indiquait que seulement 15 pour cent des personnes gagnant moins de 1250 euros par mois sont satisfaits de la présidence Macron, que le taux satisfaction augmente progressivement en fonction du revenu des répondants, atteignant 38 pour cent pour ceux qui gagnent plus de 6000 euros par mois. Il faut dire que les réformes de Macron, notamment celles qui touchent les services publics, risquent de frapper de plein fouet les plus défavorisés de la société. Alors qu’on lui demandait récemment si son successeur était le président des riches, François Hollande a répondu qu’il était plutôt le président des très riches. It takes one to know one, disent les anglophones...
Au chapitre de la politique internationale, la France de Macron semble être dans un vide abyssal, et ne laisse pas penser qu’elle a une ligne directrice, sauf lorsqu’il est question de l’Union européenne. Emmanuel Macron est un farouche européiste. En septembre dernier, à la Sorbonne, le président a prôné une « refondation » de l’Europe où cette dernière concentrerait encore plus de pouvoirs et de structures, au détriment de la souveraineté nationale française. Cet ardent européisme est-il contradictoire avec le flou artistique entretenu par la France sur le plan international ? Pas du tout, car les administrateurs de la sous-intendance française estiment plutôt, en toute cohérence, qu’ils doivent être soumis aux priorités et aux choix européens, renonçant ainsi à une position de meneur dans le monde.
La rupture du macronisme vis-à-vis de la France s’incarne aussi sur le plan symbolique, et on sait à quel point les stratégies communicationnelles occupent une place prépondérante à l’Élisée. On se souvient tout d’abord de sa déclaration sur l’inexistence de la culture française. Yves Jégo, ancien secrétaire d'État chargé de l'outre-mer, avait alors si justement rétorqué que c’est précisément la particularité et la richesse de cette culture qui permet de ne pas sombrer dans le matérialisme. Or, si la culture est un rempart contre le rouleau compresseur économique, il faut donc logiquement en nier la pertinence, ce que le candidat a alors fait. On se rappelle aussi qu’il a rebaptisé la France la « start-up nation », reprenant une habitude très américaine consistant à réduire le rayonnement d’un pays à ses succès en affaires.
Puis, il a poussé la logique encore plus loin lors de la dernière rencontre annuelle des chefs d’État à Davos, organisée par le Forum économique mondial, le moment par excellence de réseautage entre la classe politique globale et le milieu des affaires. Les dirigeants s’expriment généralement dans la langue de leur nation. Or, Macron a plutôt choisi de livrer la première partie –consacrée à son bilan- de sa longue intervention en « globish », ou en anglais managérial. Il n'est pas surprenant que le président ait choisi l’anglais des affaires pour s’exprimer auprès de ceux qui possèdent le capital. Il s’était aussi auparavant adressé dans cette même langue auprès des députés allemands.
Emmanuel Macron poursuit de manière radicalement décomplexée les volontés et politiques de ses deux prédécesseurs immédiats. Le macronisme ne perçoit pas la France comme une république, mais comme une succursale des puissances financières et de la mal-nommée « Union européenne ». L’actuelle présidence incarne un renoncement à la spécificité française, refusant de représenter, au sein de la mondialisation, un pôle distinct -dans ses valeurs et ses pratiques- de celles du bloc anglo-américain. Vu du Québec, qui a tant pu compter sur la France au XXe siècle, c’est extrêmement triste.