Le juge avait la confiance de Québec

Le ministère de la Justice savait que le juge Hilton avait déjà représenté Alliance Québec

Loi 104 - promotion du bilinguisme

Les avocats du gouvernement du Québec ont renoncé à demander la récusation du juge Allan R. Hilton dans la cause de la contestation de la loi 104 sur l'accès à l'école anglaise, même s'ils savaient que ce dernier avait agi par le passé comme procureur pour le lobby anglophone Alliance Québec, fort actif dans la contestation de la Charte de la langue française.
«Les avocats du procureur général savaient qu'il avait été l'avocat d'Alliance Québec. Il n'y avait pas matière à récusation», a indiqué hier au Devoir la porte-parole du ministère de la Justice, Johanne Marceau. «Le procureur général a confiance en l'impartialité de la Cour d'appel», a-t-elle ajouté.
Le rappel effectué par un chroniqueur de La Presse hier que le juge Allan R. Hilton s'était fait connaître comme avocat d'Alliance Québec dans les années 1980 et 1990 a suscité des moqueries chez les détracteurs du jugement, qui déjà la veille dénonçaient la décision prise par des juges «nommés par le gouvernement fédéral».
«Ça devait être assez confortable pour l'ancien président d'Alliance Québec, Brent Tyler, qui a plaidé cette cause devant le juge Hilton, de se retrouver devant quelqu'un qui avait occupé les mêmes fonctions que lui et défendu les mêmes causes pendant un bon bout de temps», [a ironisé le président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Jean Dorion->8415], à l'occasion d'une conférence de presse pour annoncer la manifestation populaire qui se tiendra dimanche prochain pour le 30e anniversaire de la loi 101.
Dans un jugement divisé rendu mercredi, la Cour d'appel a invalidé la loi 104, adoptée en 2002, qui venait colmater une brèche dans la Charte de la langue française. Auparavant, les parents pouvaient envoyer leur enfant à l'école anglaise privée non subventionnée pendant la première année de leurs études et ainsi obtenir le droit de l'inscrire, ainsi que ses frères et soeurs et leurs descendants, à l'école publique anglaise par la suite. Le stratagème est devenu de plus en plus populaire; 5000 familles y ont eu recours entre 1998 et 2002, si bien que Québec est intervenu pour faire en sorte que la fréquentation des écoles privées non subventionnées ne donne plus accès à l'école anglaise.
Chiffres à l'appui, M. Dorion souligne que la loi adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en 2002 a inversé la tendance à la hausse des inscriptions dans les écoles anglaises, particulièrement marquée entre 1998 et 2002.
Dans son jugement, rendu uniquement en anglais, le juge Hilton soutenait que l'amendement à la loi 101 contrevenait à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. [Le juge Pierre Dalphond est arrivé à la même conclusion->8390], quoiqu'au terme d'un jugement plus nuancé. Leur collègue Lorne Giroux a cependant rendu un jugement contraire, estimant qu'il fallait tenir compte du contexte et que l'État québécois était légitimé de prendre les mesures nécessaires pour assurer la protection de la langue française. Le gouvernement a aussitôt annoncé qu'il porterait la cause en Cour suprême et demanderait un sursis d'application entre-temps.
De telles causes font clairement appel aux valeurs des juges, souligne le président de la SSJB-M. «Dans le cas du juge Hilton, ce qu'on sait de ses valeurs, c'est qu'il a été procureur d'Alliance Québec pendant pas mal d'années», a raillé M. Dorion, ajoutant que le juge en chef de la Cour d'appel a affirmé récemment qu'il n'y avait pas de place pour un juge indépendantiste ou souverainiste au Canada.
[Le président du Conseil de la souveraineté, Gérald Larose->8406], ne se scandalise pas outre mesure du passé de M. Hilton, notant que cette information ne change rien à sa conclusion première: «À l'égard de la loi 101, les tribunaux ne sont pas neutres et ne l'ont jamais été. Peut-être que dans ce cas-ci le jupon dépasse un peu plus», affirme M. Larose, rappelant que la portée de la loi 101 a été réduite au fil des jugements, la Cour suprême ayant notamment permis à des enfants scolarisés en anglais dans le reste du Canada de s'inscrire à l'école anglaise au Québec, invalidé la disposition obligeant l'affichage unilingue français ainsi que celles sur le français à l'Assemblée nationale et dans le système de justice.
L'apparence de justice
Il a été impossible de parler hier à un représentant du bureau du juge en chef Michel Robert, pour comprendre le processus d'assignation des juges et les règles de récusation. Dans le milieu juridique, on se questionnait hier sur le processus. «C'est une cause aux confins du droit et de la politique. D'un point de vue juridique, on n'a pas pris toutes les mesures de protection nécessaires en assignant le juge Hilton et en nommant un banc de trois juges plutôt que cinq», estime Me Gilles Grenier, du cabinet Joli-Coeur Lacasse, qui s'intéresse depuis plusieurs années aux questions linguistiques.
Le juriste rappelle que l'apparence de justice est aussi importante que la justice elle-même. «Cela me semble être un accroc important au principe de justice naturelle. Si j'avais été à la place du juge Hilton, j'aurais demandé à être récusé. Je me serais dit: peu importe ce que j'écris je ne serai pas crédible», poursuit Me Grenier.
Au-delà des questions juridiques, qui seront largement débattues au cours des prochaines années puisque la cause sera selon toute vraisemblance entendue par la Cour suprême, la décision survenue mercredi risque d'avoir un impact sociologique important. «Cela tombe à un bien mauvais moment. On est en pleine gestion de l'angoisse sur la diversité religieuse, on ne veut pas en plus se taper toutes les angoisses du passé sur la question linguistique. En plein milieu du grand débat sur l'identité, ce n'est pas brillant», observe la professeure Marie McAndrew, titulaire de la chaire en relations ethniques et membre du comité-conseil de la Commission sur les accommodements raisonnables.
Pour l'heure, la décision apporte de l'eau au moulin des nationalistes et défenseurs de la langue française, qui se préparent à fêter le 30e anniversaire de la législation formulée par le docteur Camille Laurin en 1977. «Il est temps de se réveiller et d'inviter les gens à descendre dans la rue. Il faut une application rigoureuse de la loi 101 et une loi 101 renforcée», lance le président du Mouvement Montréal français, Mario Beaulieu. Il souligne qu'un pan complet de la Charte, celui qui stipule que le français est la langue exclusive des communications publiques, n'est toujours pas en vigueur, cinq ans après son adoption, et qu'il y a bien peu de ressources consacrées à la francisation dans les milieux de travail.


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