Commission Bastarache

Le jeu de la vérité et du mensonge

Commission Bastarache



Robert Dutrisac - Quand, en avril, Jean Charest, flanqué de son ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a annoncé dans la précipitation la création d'une commission d'enquête sur les allégations de Marc Bellemare concernant la nomination des juges, d'aucuns ont pensé que c'était une bien mauvaise idée. Mais jamais n'aurait-on pu imaginer que l'exercice, du moins à ses débuts, serait à ce point désastreux pour le premier ministre et son gouvernement.
À l'entrée du caucus libéral jeudi, le whip Pierre Moreau s'est plu à rappeler que l'ancien premier ministre Bernard Landry avait déjà répété à satiété cette règle en droit: Audi alteram partem. On pourrait suggérer aux libéraux d'emprunter plutôt une expression d'un autre premier ministre péquiste, Jacques Parizeau: s'autopeluredebananiser. C'est ce que Jean Charest a fait en créant la commission Bastarache.
Pierre Moreau a exhorté la population à attendre la fin de la commission avant de se faire une idée, d'attendre d'avoir entendu toutes les parties (Audi alteram partem) puisqu'il reste au moins 39 autres témoins à comparaître et que Marc Bellemare doit être contre-interrogé. Il n'en demeure pas moins que le témoignage de Marc Bellemare est apparu crédible aux yeux de bien des gens: la population s'est déjà fait une tête. Et on n'a jamais une deuxième chance de faire une première impression, comme disent les Américains.
Déjà, Marc Bellemare apparaît comme David contre Goliath, l'avocat qui défend la veuve et l'orphelin et qui affronte, seul, une force omnipotente. Parce que Marc Bellemare a refusé le statut de participant, son avocat ne pourra contre-interroger ni Jean Charest ni Franco Fava. Comme l'ancien juge Bastarache a refusé d'accorder le statut de participant à l'opposition officielle, la commission ne réunit que des participants qui, par l'entremise de leurs avocats, s'évertueront à défendre l'intégrité du système, comme la Conférence des juges, le Barreau du Québec ou le Tribunal administratif du Québec (TAQ), ou encore des participants, comme Jean Charest, le Parti libéral et le gouvernement, qui chercheront à démolir Marc Bellemare. La commission est en ce sens déséquilibrée et seul son procureur en chef, Me Guiseppe Battista, pourra tenter de rétablir un semblant d'équilibre. Ce déséquilibre était patent chaque fois que l'avocate du gouvernement, Me Suzanne Côté, se levait cette semaine pour rappeler au commissaire que ni la construction ni le financement des partis ne faisaient l'objet du mandat de la commission.
Auto-enquête !
D'entrée de jeu, bien des choses étaient bancales avec cette commission. C'était, d'une part, une commission chargée d'enquêter sur des faits impliquant directement le premier ministre. De mémoire d'homme, aucun premier ministre n'a créé de commission enquêtant sur ses propres gestes, comme l'a déjà fait observer notre collègue Antoine Robitaille.
Pour Jean Charest, la commission Bastarache, dont il a choisi le commissaire, n'a comme seul objectif que celui de le blanchir en discréditant Marc Bellemare. Le gouvernement ordonne habituellement une commission d'enquête sur la base d'informations valables afin de faire la lumière sur une situation ou un problème et faire des recommandations. Dans le cas de la commission Bastarache, le gouvernement cherche avant tout à faire la preuve que tout est en règle.
Qui plus est, Jean Charest a mis sur pied une commission d'enquête pour examiner ce qu'il considère comme un tissu de mensonges. Comme on le sait, dans la poursuite civile pour diffamation qu'il a déposée contre Marc Bellemare, Jean Charest, qui lui réclame 700 000 $, affirme que son ex-ministre ment éhontément.
Par sa nature même, une commission d'enquête cherche à établir des faits. C'est un processus d'investigation qui s'appuie sur des interrogatoires et des contre-interrogatoires et qui ne se contente pas de ce qu'on sait déjà. Au fil des témoignages, on risque d'apprendre des choses que le chef libéral aurait préféré qu'elles restent dans l'ombre.
Déjà, on ne peut guère remettre en question le fait que l'ex-ministre de la Justice Marc Bellemare a dû nommer trois juges contre son gré pour se plier à la volonté du premier ministre et que ces juges ont des accointances libérales. Quant à Franco Fava, il est tout à fait plausible qu'il ait voulu faire valoir la candidature d'un avocat à un poste de juge, ce que rien n'interdit. Il est tout aussi plausible qu'un collecteur de fonds de son importance se targue d'avoir des entrées auprès du premier ministre. Remarquez que, dans le contexte actuel où l'évocation des méthodes de financement des partis politiques suscite la nausée, les Franco Fava de ce monde n'ont pas la cote et leur présence ne fait rien pour redorer l'image d'un parti.
Précision
Manifestement, Marc Bellemare était bien préparé, et même ses attaques «collatérales» contre Me Denis Roy, qui, alors conseiller au sein du cabinet du premier ministre, aurait tenté de l'influencer relativement au mégaprocès des Hells Angels, étaient d'une précision chirurgicale.
En revanche, quelques répliques que Jean Charest aurait prononcées, selon l'ancien ministre, font sourciller. C'est le cas quand Jean Charest dit que Franco Fava est un ami personnel, un collecteur influent du parti, et qu'il faut l'écouter. «S'il te dit de nommer Bisson et Simard, nomme-les.» C'est encore plus évident quand Marc Bellemare relate les propos que le premier ministre aurait tenus au moment de sa démission: «Tu sais que tu as un serment ministériel. Fava, Rondeau, les juges, l'argent... cela n'existe pas. Tu n'as pas le droit de parler de ça.»
Comme l'écrit dans son blogue Jean-François Lisée, qui a conseillé les premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, ces propos sonnent faux. Dans le premier cas, Jean Charest n'aurait eu besoin que de fournir le conseil que son ministre lui demandait. Et un conseil que fournit un premier ministre ressemble beaucoup à un ordre.
Dans le deuxième cas, Jean-François Lisée estime que «l'ex-ministre veut nous faire croire que le premier ministre a pris la peine, en le quittant, de lui faire la liste de tout ce qui pouvait lui nuire. C'est politiquement incroyable». Surtout, selon les dires mêmes de Marc Bellemare, Jean Charest se méfiait de son ministre démissionnaire.
«C'est des clips trop parfaits», fait valoir une source libérale. En fait, Marc Bellemare a réussi cette semaine à transformer la commission Bastarache en un procès devant juge et jury. Habilement, l'ancien ministre ne s'est adressé qu'au jury — c'est-à-dire le public — et non au juge.
Certes, Marc Bellemare doit affronter cette semaine l'épreuve du contre-interrogatoire. Mais, même si les avocats parviennent à le mettre en contradiction sur certains points, le témoin, aux yeux de la population, aura toujours l'air de l'«underdog» tombé entre les griffes du pouvoir. Une fois la session parlementaire commencée le 21 septembre prochain, il y a fort à parier que les auditions de la commission Bastarache donneront quelques munitions à l'opposition.
Alors, qui croire de Jean Charest ou de Marc Bellemare? Ni l'un ni l'autre. «À les entendre, j'ai acquis la conviction qu'ils cachent tous les deux la vérité», croit Jean-François Lisée.
Selon ce que l'on peut déduire du déroulement annoncé de la commission, Jean Charest ne livrera son témoignage qu'en octobre. Pour le premier ministre et son gouvernement, le mal sera sans doute irrémédiablement fait.


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