Le grand soupir de la majorité silencieuse

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Une volonté de puissance au sommet de l'État


J’aimerais vous partager quelque chose que je ressens. C’est quelque chose de distinct et d’indéniable sous le bruit des chemises qui se déchirent : le grand soupir de soulagement de la majorité silencieuse.  


  


Non, ce n’est pas parce qu’elle est mesquine, raciste et xénophobe. Non, ce n’est pas parce qu’elle jouit de savoir que certains seront pénalisés par cette loi. Non, ce n’est pas pour mieux s’astiquer le crucifix ou pour afirmer que seul un homme blanc hétérosexuel (!) est à même de faire preuve d’impartialité. Surtout, ce n’est pas parce qu’elle est analphabète et incapable de comprendre les réels enjeux.   


  


Le Québec en découd depuis longtemps avec certains aspects de sa mémoire, qui a été sauvagement bafouée et falsifiée depuis 1763 et plus que jamais depuis le dernier référendum. C’est le résultat de vingt-cinq longues et pénibles années d’anéantissement de notre système scolaire et de tactiques d’intimidations conjointement menées par les gouvernements fédéraux et provinciaux.   


  


Loin de faire de nous des abrutis pour autant, le Québec porte encore dans sa chair les profonds stigmates de tout ce qu’il a souffert à l’ombre des clochers à la poigne de fer qui se sont érigés après 1840. Il se souvient des temps obscurs, de toutes nos mères sacrifiées à un devoir d’enfantement extrême et meurtrier. Il se souvient du culte du silence, prison de tous les abusés, du péché et de l’interdit général de tous les plaisirs.   


  


Le Québec se souvient de la peur immense, outil de domination de toutes les religions, de laquelle il s’est émancipé à force de générations libérées. C’est cette mémoire qui déclenche chez lui cette si violente urticaire devant, non pas la liberté religieuse dans le privé, qui elle relève des droits fondamentaux, mais devant toute tentative d’imposition, de front ou subtile, d’un dogme, quel qu’il soit, sur les consciences québécoises. Ainsi, ce n’est pas l’Autre que le Québec « craint », mais bien ce que l’Autre n’a peut-être pas encore compris sur ce qu’exige réellement le vivre-ensemble. Nous ne sommes peut-être pas une nation millénaire, mais la grande expérience du vivre-ensemble, c’est nous qui l’avons et nous n’avons pas à nous en excuser chez nous. 


  


Je comprends très bien pourquoi plusieurs de mes collègues de différentes tribunes mettent en garde le gouvernement Legault de ne surtout pas faire basculer le projet de loi 21 dans l’identitaire, afin de ne pas entériner cette fausse image du « nous » au détriment du « eux ». Toutes les prudences sont effectivement de mise, parce que ce n’est pas du tout ce qui est proposé ici.  


  


Cependant, je ne peux m’empêcher de constater que ce sont néanmoins les valeurs de la nation québécoise qui, nécessairement, la précèdent et la définissent, non pas dans une volonté discriminatoire, mais parce que toute loi, partout ailleurs dans le monde, s’édicte — en principe — au diapason des valeurs fondamentales acquises ou développées par la majorité au fil de son expérience historique. C’est notre expérience qui nous a conduits au dépôt de ce projet de loi et nous n’avons pas à en avoir honte, bien au contraire, car l’histoire nous dira, plus tôt que tard, combien c’était essentiel pour l’avenir et la liberté de tous les Québécois.  


  


Mais revenons à cette majorité silencieuse et à son soupir que j’entends et que je partage. Pour tout dire, la journée de jeudi dernier m’a émue. Je m’explique.  


  


Pour la première fois depuis près d’un quart de siècle, ceux qui nous gouvernent nous ont entendus et compris. Ils ne nous ont pas tourné en ridicule pour nous faire taire ou pour nous mettre hors d’état de nuire. Ils ne nous ont pas mis dans un coin parce qu’ils nous jugent trop simples. Car faut-il rappeler qu’avant qu’il n’y ait d’importantes que les revendications des minorités culturelles, il n’y avait que les intérêts de la minorité anglaise qui prévalaient systématiquement sur ceux de la majorité québécoise francophone pour les gouvernements successifs qui ont suivi 95.   


  


Bien qu’on fasse des pieds et des mains pour faire passer le climat violent des réseaux sociaux comme une généralité des opinions et des valeurs québécoises, la majorité soupire de soulagement devant les nuances et les compromis du projet de loi 21, parce qu’elle n’aurait pas aimé qu’elle soit drastique et inhumaine. Il n’y aurait eu que les extrémistes pour s’en réjouir. Elle s’y serait opposée de toute façon et aurait décrié le gouvernement parce que, quoi qu’en disent ceux qui se lèvent la nuit pour haïr leur propre patrie, la majorité ne souhaite de mal à personne, même si elle consciente qu’on ne fait toujours pas d’omelette sans casser quelques œufs.  


  


La majorité, enfin, si elle soupire, c’est parce que pour la première fois depuis 95, elle éprouve autre chose que le plus mortifère des cynismes. Autre chose que le sentiment épouvantable d’être prisonnier chez soi.  


  


Au-delà des visées de ce projet de loi tant attendu, je constate que c’est surtout un premier véritable geste pour regagner la confiance du peuple québécois violemment mise à mal depuis si longtemps.  


  


Et ça, c’est encore plus historique que le projet de loi lui-même, car le jour où nous serons capables d’avoir à nouveau sincèrement confiance en notre gouvernement... alors tout sera possible pour la nation québécoise.  


  


Je ne sais pas pour vous, mais malgré le tapage, malgré les insultes, l’hystérie et les menaces, je n’arrive pas à taire ce sentiment optimiste que j’ai au cœur.