Le grabataire / Les pros des mots / La «non-gauche»

l'espace public réservé aux idées demeure obstinément orthodoxe, prévisible, unipolaire

La Dépossession tranquille




Le Québec est un amputé de guerre - de la guerre politique - auquel il manque le bras droit. Nous publions aujourd'hui le premier de trois éditoriaux sur la droite au Québec.
Il y a trois jours, les centrales syndicales formaient une nouvelle alliance destinée à contrer la «montée de la droite». Celle-ci s'incarne dans le Réseau Liberté-Québec, créé récemment, et dans les intentions politiques que l'on prête à l'ancien ministre François Legault.
Or, par rapport à l'Europe ou aux États-Unis, par exemple, nous constituons une véritable société distincte où la gauche n'a jamais été menacée. Dans les faits, le Québec est un amputé de guerre - de la guerre politique - auquel il manque le bras droit!
Si la droite «monte», en effet, c'est uniquement sur papier. C'est le cas de Liberté-Québec et du projet de l'ex-ministre péquiste. C'est sur papier également que l'expression «montée de la droite» fait fureur (101 occurrences depuis deux ans dans les grands médias québécois). Et ce, au moment précis où la droite réelle, elle, va d'échec en échec!
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Voyons voir.
> En octobre 2008, le Québec envoyait à Ottawa une armada de députés de centre gauche (les deux tiers des 75 sièges allaient au Bloc québécois), condamnant la droite conservatrice à demeurer minoritaire. En outre, le deuxième élu de la gauche néo-démocrate de toute l'histoire du Québec était conforté dans son siège.
> Aux élections provinciales de décembre 2008, deux faits marquants: la droite adéquiste sombrait corps et biens (passant de 39 à 7 députés)... pendant que la gauche franche et carrée de Québec solidaire entrait à l'Assemblée nationale.
> Montréal, novembre 2009: les deux candidats à la mairie marqués à gauche obtenaient davantage de voix (58 contre 38%) que le maire réélu, lui-même impossible à classer vraiment à droite. Surtout, le Plateau Mont-Royal devenait le château-fort d'une «gauche vélo» extraordinairement influente.
> En mai 2010, tentant de mobiliser une droite morale qui n'existe pas, le cardinal Marc Ouellet était littéralement crucifié (c'est le mot...) sur la place publique. Il faisait ses valises et disparaissait.
> Dans les dossiers cruciaux de l'immigration et de l'intégration, Québec confiait la réflexion à deux intellectuels qui, sans surprise, imposaient la doctrine du multiculturalisme (sous cette appellation ou sous une autre), la seule possédant l'imprimatur de la gauche.
> Dans le même temps, le gouvernement du Québec ne parvenait à imposer aucune réforme pouvant être classée, même approximativement, à droite. Et la taille de l'État québécois ne cessait d'enfler...
Malgré cette rebuffade assénée par le réel, la sortie des establishments syndicaux a le mérite d'attirer l'attention sur deux phénomènes intéressants. Le premier est justement l'anémie chronique de ce véritable grabataire qu'est la droite au Québec. Le second est la façon dont l'espace public réservé aux idées demeure obstinément orthodoxe, prévisible, unipolaire.
L'un n'est évidemment pas sans rapport avec l'autre.
À lire DEMAIN: «Les pros des mots»
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Les pros des mots



Nous publions aujourd'hui le deuxième de trois éditoriaux sur la droite au Québec.
Sensible aux problèmes du logement à Montréal, vous portez attention aux analyses de deux groupes de pression. Le FRAPRU, le Front d'action populaire en réaménagement urbain, qui prône une intervention massive de l'État. Et la CORPIQ, la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec, qui défend le marché.
Au fil des ans, vous avez pris connaissance de 1227 articles ou reportages de La Presse, du Devoir, de L'actualité, de TVA/Montréal et de Radio-Canada/Montréal. De ceux-là, 1090 exposaient les thèses du FRAPRU et 197 parlaient de la CORPIQ. Proportion: 84 contre 16%.
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Toute société développée baigne dans un univers virtuel consacré aux idées. Il est alimenté par des travailleurs - universitaires, journalistes, artistes, intervenants sociaux et autres professionnels des mots - formant une véritable classe sociale. Hors de celle-ci, point d'influence dans l'univers des idées. En clair: la parole de 10 000 plombiers n'y vaut pas celle d'un seul intervenant siégeant à une table de concertation de la tuyauterie!
Or, cette classe dominante penche très nettement à gauche. De sorte que son univers, comme celui d'Albert Einstein, s'en trouve tout courbé...
Revenons au FRAPRU. Ce n'est que l'un des 5085 groupes populaires accrédités par Québec. Tous sont animés par des travailleurs de terrain qui abattent une besogne formidable et par des professionnels des mots qui exercent un lobbying redoutablement efficace. Certainement aucun n'est-il malhonnête. Mais aucun n'est de droite. Ce discours «populaire» est donc rigoureusement unipolaire... ce que le peuple n'est pas.
Quant aux médias, on a déjà constaté dans le Trente, organe officiel de la profession, que «le biais progressiste de la classe médiatique (découle) d'une sensibilité idéologique hégémonique qu'on retrouve dans les couches supérieures de notre société» (Mathieu Bock-Côté, polémiste). Et que «les commentateurs qui filtrent les nouvelles politiques et les interprètent pour notre bénéfice, sauf exception, (baignent) tous dans le même bouillon» (Julie Miville-Deschênes, ombudsman de Radio-Canada).
C'est pareil pour les autres planètes de l'univers virtuel des idées.
À l'école québécoise, tous les enfants sont nourris d'une «éthique religieuse» coulée dans le moule du multiculturalisme, fétiche de la gauche pédagogue. Un artiste «engagé» est obligatoirement à gauche. Au haut du rayon «Essais québécois», trônent actuellement les ouvrages Contre Harper ainsi que Contes et comptes du prof Lauzon. Aux Hautes Études commerciales (pas à l'Académie Karl-Marx ni aux Sciences Po de l'UQAM, non. Aux HEC!), la star du corps professoral est un altermondialiste anticapitaliste conspirationniste du 11 septembre 2001...
Au total, si on veut rétablir un équilibre même approximatif dans l'univers virtuel des idées, il faudra tenir compte du fait que la gauche ne cédera pas son royaume et que tout le boulot incombera à la droite.
Or, par une sorte de malédiction historique, celle-ci a tendance à ne jamais être à la hauteur.
DEMAIN: La non-gauche
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La «non-gauche»



Nous publions aujourd'hui le troisième et dernier éditorial sur la droite au Québec.
Comme le sait tout entomologiste, la bibitte de droite est très différente de sa congénère de gauche. La première est farouchement individualiste, pratico-pratique et portée sur l'action; la seconde est grégaire, théoricienne et amante des mots. Cela avantage la seconde, parce que l'époque valorise bien plus les mots que leurs conséquences pratiques.
Hurler «So-so-so-solidarité!» dans un mégaphone est un geste plein de poésie... qui, en fait, permet surtout de se désolidariser des malheureux qui ne sont pas de la même tribu. On se satisfait d'une société atteinte d'une rigidité quasi cadavérique, à la condition que l'univers virtuel des idées (que nous avons exploré, hier) soit capable de donner à toutes les formes de statu quo de savantes justifications.
Or, la gauche québécoise en est toujours capable.
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Cela étant, ce n'est peut-être pas tant d'une droite que le Québec a besoin que d'une «non-gauche».
C'est-à-dire d'une entité politique intelligente. Ouverte à toutes les inspirations, peu importe leur étiquette. Cultivant la méfiance de tous les extrêmes. Débarrassée des théories fumeuses. Ayant suivi dans sa jeunesse le cours Économie 101. Indépendante de tous les intérêts, surtout de ceux qui se travestissent en oeuvres de salut public... comme c'est le cas actuellement pour les Trois Grâces syndicales, par exemple!
Or, aucune des droites que l'on connaît, ici ou ailleurs, ne fait vraiment l'affaire.
À l'étranger, on ne retiendra évidemment pas les versions extrêmes de la droite sévissant en Europe, berceau au XXe siècle de toutes les idéologies totalitaires; ou aux États-Unis, malades d'une droite paliniste imbibée de bondieuserie, qui insulte l'esprit. Étrangement, puisque son étiquette officielle est collée à gauche, c'est peut-être le Parti travailliste britannique tel que recentré par Tony Blair (après la dure, mais nécessaire réforme thatcherienne) qui offre les meilleurs repères.
Ici, on l'a dit, les diverses droites ne font qu'accumuler les échecs?: le seul rôle qu'elles assument bien est celui d'épouvantail.
L'Action démocratique du Québec, qui tente actuellement de renaître, n'a jamais été capable de se donner un minimum de panache intellectuel - et elle n'y arrivera probablement pas. Le Réseau Liberté-Québec, animé notamment par Joanne Marcotte, auteure en 2006 d'un excellent documentaire engagé, L'Illusion tranquille, se cherche; c'est un processus qui, visiblement, n'est pas simple...
Reste le projet politique pour l'instant virtuel de François Legault, qui a de nombreux atouts en main. L'intelligence et l'expérience. Une zone d'influence déjà intéressante. Et surtout, surtout, une position politique échappant aux catégories préprogrammées: on peut voir l'ancien ministre péquiste comme social-démocrate ou ancré au centre droit, au choix...
La «non-gauche», peut-être est-ce lui qui pourrait l'inventer.


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