Lorsque des conseillers du Québec tentaient de convaincre le premier ministre Trudeau de nommer un lieutenant québécois lors de son premier mandat, il avait écarté l’idée avec une phrase aussi lapidaire qu’arrogante : « Pas besoin d’un lieutenant, on a un général. »
Or, c’est Justin Trudeau, et non pas son parti, qui a perdu la dernière élection, obligeant les libéraux à se replier sur un gouvernement minoritaire. C’est une défaite personnelle qu’il a encaissée difficilement.
Le premier mandat de Justin Trudeau a été catastrophique. En termes d’images, mais aussi de manque de vision, donc de contenu. Le Canada est en délicatesse avec l’Inde, la Chine, l’Arabie saoudite et la Russie. Sa cote de popularité dans le monde est à la baisse.
Dommages
Et à l’intérieur du Canada, les dommages de sa politique de louvoiement et d’affrontements, une contradiction qui définit aussi Justin Trudeau, sont palpables. Il n’est pas étranger à la remontée du Bloc au Québec. La fronde en Alberta et en Saskatchewan où aucun libéral n’est élu, il en est aussi responsable.
Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Parti libéral du Canada a dirigé le pays pendant 48 ans contre 25 ans pour le Parti conservateur. Le PLC a misé sur Justin Trudeau pour perpétuer son contrôle sur le pays. Pour continuer de faire rêver comme au temps de Trudeau père où le Canada est apparu comme un Eldorado, un pays jeune certes, mais excitant, ultra démocratique et moralement à l’abri des turpitudes des vieux pays et de l’empire américain.
Ce gouvernement minoritaire ne verra plus revenir de déguisements. La vice-première ministre, l’étoile incontestable des libéraux, ressemble à une éternelle étudiante. Studieuse, réservée, sans peur et sans reproche, elle ira affronter les cowboys de l’Ouest comme les entêtés nationalistes caquistes. Chrystia Freeland est une femme à l’ambition légitime. De descendance ukrainienne, elle est née à Rivière-la-Paix, en Alberta. Pour une ministre qui devra travailler à reconstruire l’unité nationale, c’est tout désigné.
Égarements
Dans les dernières années, le PLC a été secoué par les égarements de Justin Trudeau. Aujourd’hui, l’ancienne garde reprend du galon. Le nouveau ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, est le protégé de Jean Chrétien. Or, ce dernier a suivi les déboires du fils de son ami Pierre Elliott sans broncher publiquement. La nomination de son poulain Champagne a de quoi le rassurer pour l’avenir du « natural governing party », comme on désigne en anglais le PLC.
Le recadrage annoncé suppose que Justin Trudeau est désormais sous surveillance. Mais cela n’indique aucun changement profond face au Québec. Les libéraux partagent une vision multiculturelle qui entre en conflit avec l’affirmation nationale du Québec dirigé par le gouvernement Legault.
Un détail à noter. Lors de l’assermentation mercredi, une majorité de ministres a utilisé l’expression « Ainsi Dieu me soit en aide ». Si l’Ouest peut en arriver à une entente sur le pétrole avec le gouvernement Trudeau, le Québec laïque au nationalisme identitaire a peu de chances d’être compris. Avec ou sans son lieutenant québécois Pablo Rodriguez.