Contrairement à leurs confrères des cégeps francophones (notre photo), plus de la moitié des étudiants diplômés des établissements anglophones de Montréal n’ont pas le niveau nécessaire en français dans un contexte de travail, tant à l’oral qu’à l’écrit.
Dans certains cégeps francophones, la rentrée est compliquée par le mouvement de grève de l’hiver dernier. Dans les cégeps anglophones, la rentrée est business as usual. Aucun de ces établissements n’a connu les bouleversements du carré rouge. Pour les enseignants de français langue seconde (FLS) de ces cégeps, une autre business est anormalement usual : la majorité des élèves qui ont fréquenté les écoles anglophones au primaire et au secondaire n’ont pas le niveau pour travailler en français à leur arrivée au cégep.
Nous le savons d’expérience, ce faible niveau de maîtrise se maintiendra à peine avec nos deux cours obligatoires de 45 heures, et diminuera dans certains cas. Combien de temps le français peut-il demeurer une langue secondaire pour les étudiants du secteur anglophone du Québec avec l’assentiment du gouvernement ?
Les constats linguistiques
Plus de la moitié des étudiants qui obtiennent leur diplôme d’un des cégeps anglophones de Montréal n’ont pas le niveau nécessaire en français dans un contexte de travail, tant à l’oral qu’à l’écrit. La rédaction d’un courriel de 250 mots sera jugée incompréhensible. La lecture d’un rapport technique de 10 pages sera au mieux approximative et ne pourra mener à la rédaction d’un résumé digne de ce nom.
La participation à une réunion de travail avec trois ou quatre personnes en français sera impossible, car l’ex-étudiant ne suivra pas le débit. Il percevra le contexte général, mais pas les détails des enjeux en cause, ni les allusions, ni même la plupart des références au contexte socioculturel québécois francophone. De plus, il n’aura pas le vocabulaire pour exprimer sa pensée de façon spontanée, ni bien sûr l’assurance que permet une pratique régulière de la langue.
L’étudiant du secteur anglophone peut obtenir son DEC, parce que le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) exige qu’il démontre ses capacités en « langue d’enseignement », soit en anglais, avec une épreuve uniforme - la rédaction d’une dissertation sur une oeuvre littéraire, comme dans le secteur francophone.
Quelle langue seconde placer en priorité ?
Poser cette question revient à mettre en concurrence le français et l’anglais dans une perspective qui n’a pas été mise en lumière, à mon avis, jusqu’ici. En effet, le PLQ et la CAQ proposent de rendre obligatoire l’enseignement de l’anglais de façon intensive pour tous les élèves de 5e ou 6e année. Plusieurs analystes ont déjà souligné les failles d’un tel projet, qui semble donc improvisé : pénurie de main-d’oeuvre qualifiée ; fardeau important pour les élèves qui n’ont pas toujours le niveau dans toutes les disciplines, même en français ; fardeau accablant pour les écoles en secteur défavorisé ; problématique accrue pour les élèves ayant des problèmes ou des troubles d’apprentissage, etc.
Quel problème tentons-nous de résoudre avec cette proposition ? Le faible niveau de maîtrise en anglais des enfants de 12 ans ? À la lumière des constats présentés ici, n’y aurait-il pas un autre problème plus urgent que l’anglais des jeunes francophones, à savoir le français des jeunes anglophones ?
Quand on sait qu’ils ont étudié le français langue seconde pendant 11 ans, le portrait de leurs compétences en français est alarmant. En termes de linguiste, leurs lacunes sont « fossilisées » (je suis 18 ans, je nomme Peter, je besoin étude plus). Il est clair, à mon avis, qu’il y a une seule urgence en matière d’apprentissage d’une langue seconde pour le réseau scolaire public québécois : le français à 101 milles à l’heure !
Les ressources au cégep
Récemment, lors d’un congrès traitant de la réussite au collégial, le directeur des études du collège Dawson a repris à son compte une revendication des enseignants de FLS, soit une formation en français équivalente à celle du secteur francophone : quatre cours de soixante heures.
Cela nous permettrait d’assurer une présence continue du français dans le programme de l’étudiant et de lui indiquer que ses cours de français « valent » autant que ses cours d’anglais.
Sur ce point, notre étudiant anglophone rétorquerait que ses cours d’anglais sont « sanctionnés », qu’il doit réussir l’épreuve uniforme d’anglais, mais qu’il n’a pas de seuil minimal ou de standard de sortie à atteindre en français. Sur les quatre niveaux de cours de langue seconde au collégial, ce standard serait atteint par une majorité des élèves du niveau 2, mais aucun du niveau 1 n’y arriverait.
En somme, plus du tiers de l’ensemble des étudiants d’un cégep anglophone de Montréal n’atteindrait pas le standard de sortie, soit la part d’élèves issus du secteur anglophone ou ayant étudié à l’extérieur du Québec. La majorité des allophones (grâce à la loi 101) et des francophones le réussiraient.
En ce sens, la proposition du PQ d’étendre la loi 101 au collégial rate la véritable cible : les étudiants ayant fréquenté l’école anglaise continueraient d’étudier dans les cégeps anglophones sans pouvoir s’améliorer en français ! Dans son programme, le PQ propose aussi d’instaurer une épreuve uniforme en français dans les cégeps anglophones.
D’une part, si l’objectif est de demander aux élèves formés en langue seconde et à ceux formés en langue première d’effectuer la même tâche, ce projet d’évaluation souffre d’une grave lacune sur le plan éthique. D’autre part, le MELS a écarté l’an dernier un projet d’épreuve uniforme en langue seconde précisément parce qu’une « épreuve uniforme » doit avoir une « note de passage » et qu’il était impossible pour la majorité des étudiants anglophones d’atteindre le standard de sortie. Cette proposition du PQ demande donc d’être clarifiée.
C’est bien avant son arrivée au collégial qu’il faut agir auprès de l’élève anglophone avec le plus de vigueur si nous voulons qu’il soit « fonctionnel » à 18 ans. Il est possible de poser l’hypothèse qu’en augmentant les ressources en FLS au primaire et au secondaire, et en augmentant le nombre d’heures d’enseignement au collégial, les élèves du secteur anglophone atteindraient le standard de sortie en obtenant leur DEC.
Et ce, sans priver le libre choix de la langue d’enseignement au cégep à des adultes qui ont déjà les compétences de base en français : les allophones et les francophones.
La survivance par la langue seconde !
Les 18-24 ans anglophones sont plus bilingues qu’avant, mais il reste du chemin à parcourir. Si nous voulons que le français survive au cours du siècle, c’est sur ce terrain que le combat pour l’apprentissage d’une langue seconde doit être mené, tout en continuant de soutenir le français langue première. Pour ce qui est de l’apprentissage de l’anglais par nos jeunes francophones, il est important et doit être encouragé, mais j’entrevois clairement une plus grande efficience dans les projets de collaboration entre les cégeps des deux secteurs linguistiques qui voient le jour depuis deux ans que dans l’approche intensive à la fin du primaire.
Faire partiellement son DEC dans les deux langues en demeurant inscrit dans son collège d’attache francophone, voilà l’avenir de l’anglais langue seconde (avec des cours en ligne pour les cégeps de l’extérieur de Montréal). Arriver au collégial anglophone avec un niveau de maîtrise du français acceptable et avoir suffisamment d’heures de cours pour maintenir son niveau, en plus de suivre quelques cours dans un cégep francophone - et profiter d’un réel échange interculturel, trop rare -, voilà l’avenir du français, langue officielle du Québec.
***
Philippe Gagné - Chercheur et enseignant de français langue seconde au cégep Vanier
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé