IDÉES

Le français est bel et bien en recul au Québec

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Quand va-t-on arrêter d'en parler pour enfin faire quelque chose ?






Votre texte, Monsieur William Johnson, revient sur le livre blanc d’avril 1977, qui prépara la voie à l’adoption de la loi 101 par le gouvernement du Parti québécois (« Quand le ciel linguistique est menacé », Le Devoir, 25 janvier 2017). Vous dites que ce livre blanc a biaisé les conclusions du rapport Gendron, publié en 1973, en pleine mobilisation générale pour la défense du français. Vous dites aussi que les Québécois se font « un dogme » de ce qui ne serait que des peurs récurrentes et non fondées sur la situation fragile du français au Québec. Pour soutenir votre lecture, vous évoquez quelques chiffres tirés du tome I du rapport Gendron, qui traite de la langue de travail.


 

Or, ce tome I conclut tout autre chose que ce que vous en avez retenu. Feriez-vous de la « désinformation délibérée » ? Le premier chapitre porte sur « La situation du français dans les activités de travail » et s’intéresse à l’utilisation des communications au travail ainsi qu’à la prépondérance de l’anglais sur le marché du travail. Il est bourré de statistiques, dont celles que vous citez. Et il conclut « que si le français n’est pas en voie de disparition chez les francophones, ce n’est pas non plus la langue prédominante sur le marché du travail québécois. Le français n’apparaît utile qu’aux francophones. Au Québec même, c’est somme toute une langue marginale, puisque les non-francophones en ont fort peu besoin et que bon nombre de francophones, dans les tâches importantes, utilisent autant et parfois plus l’anglais que leur langue maternelle. Et cela, bien que les francophones, au Québec, soient fortement majoritaires ».


 

Situation critique


 

Le rapport de la commission Gendron fut reconnu par tous, en son temps, pour son analyse fine et complète de la langue de travail, des droits linguistiques et de la langue utilisée par les groupes ethniques. Ce que lui ont reproché les défenseurs de la langue française, c’est de ne pas joindre des recommandations courageuses à son diagnostic d’une situation critique. Le Mouvement Québec français, par exemple, écrivait : « Le Rapport se révèle un tissu de contradictions entre la description critique de la situation et la volonté de justifier la politique d’incitation : le français n’est pas aussi mal portant qu’on l’affirme, mais l’anglais le menace sérieusement ; le français doit avoir l’appui vigoureux de l’État, mais l’État doit faire l’économie des mesures coercitives ; le français pourrait être la seule langue officielle du Québec, mais tous les documents importants de l’État seront bilingues ; le français est reconnu bien national par la commission Gendron, mais la même Commission maintient la loi 63, qui reconnaît la langue comme un bien des familles et des individus » (L’Action nationale, avril 1973).


 

L’année suivante, Marcel Pépin, président général de la Centrale des syndicats nationaux (CSN), rappelait que « l’anglais, dans les milieux de travail, constitue un moyen de domination et un instrument de subordination aux mains du patronat » ; et qu’« à l’intérieur des entreprises, il constitue, du moins à partir d’un certain niveau, un instrument d’abaissement psychologique de la majorité, quand il ne sert pas purement et simplement de moyen de discrimination “ raciale  ». Il titrait cette analyse : « Le français au travail, une lutte ouvrière et nationale » (L’Action nationale, avril-mai 1974).


 

Pendant ce temps, les recensements du Canada photographiaient l’érosion constante de la proportion du groupe de langue française dans la population du Québec, son déclin encore plus rapide à Montréal, voire le début de son assimilation dans cette région et, partiellement, en Outaouais. Le groupe de langue française n’augmentait alors pratiquement que par les naissances. Or, celles-ci ne suffisaient plus pour compenser la puissance d’attraction de l’anglais. En effet, hormis les immigrants francophones, très peu nombreux, les autres choisissaient pour ainsi dire tous de s’intégrer au groupe anglophone et d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise. Et ils le faisaient justement parce que le monde du travail fonctionnait largement en anglais et que cette langue était indispensable pour monter dans l’échelle sociale.


 

Loi 22


 

En réponse au rapport Gendron, le gouvernement libéral de Robert Bourassa fit adopter la loi 22, en 1974. L’article 1 faisait du français la langue officielle du Québec, mais l’anglais l’était à peu près autant en vertu de l’ensemble des autres articles. La loi 22 mécontenta tout le monde. Le groupe anglophone lui reprocha son article 1. Les immigrants estimèrent qu’elle faisait d’eux des citoyens de seconde zone en imposant des tests linguistiques à leurs enfants, puis en forçant ceux qui ne les auraient pas réussis à fréquenter l’école française. Quant au Mouvement Québec français, il dénonça toute la série de nouveaux droits conférés à l’anglais par la loi, le quasi-maintien du libre choix de la langue d’enseignement, et le peu de mesures prises pour redresser la situation du français au travail.


 
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Lucia Ferretti10 articles

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Lucia Ferretti est historienne, professeure d'histoire à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Elle est l'auteure de deux livres: Entre voisins, la société paroissiale en milieu urbain, Saint-Pierre-Apôtre de Montréal, 1848-1930 (Boréal, 1992) et L'Université en réseau, les 25 ans de l'Université du Québec (PUQ, 1994). Spécialiste d'histoire socio-religieuse du Québec, un autre livre sortira en septembre 1999 chez Boréal: Histoire de l'Église au Québec de la Nouvelle-France à nos jours.





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