Le droit de dire non aux gaz de schiste

Gaz de schiste



Le nouveau porte-parole de l'Association pétrolière et gazière du Québec, M. Lucien Bouchard, affirme qu'il est impensable de développer l'industrie du gaz de schiste sans le respect de l'intérêt public. Et de son côté, le premier ministre Jean Charest, excluant toujours la possibilité d'un moratoire, annonce un resserrement de la réglementation et un nouveau régime de redevances.
Vu sous l'angle des droits de la personne, la recherche du bien commun (plutôt que l'intérêt public) impose des exigences qu'il convient ici de rappeler à quelques jours du dépôt du rapport du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur le développement des gaz de schiste. Ces exigences portent à la fois sur le processus de prise de décision et sur la considération des risques d'atteintes aux droits économiques et sociaux tels que le droit à la santé et le droit à l'eau.
Tandis que la population du Québec est de plus en plus sensible aux questions environnementales — réchauffement climatique, protection des écosystèmes et des ressources en eau, impact sur la santé des projets de développement —, le gouvernement continue de privilégier pour sa part un développement au service de l'entreprise privée et des profits.
La saga des gaz de schiste est le dernier épisode d'une longue série de décisions prises par le gouvernement du Québec qui ont mené, ou mènent encore, à des confrontations avec la population: parc du Mont-Orford, Gentilly 2, port méthanier de Rabaska, mines d'uranium à Sept-Îles. Dans les cas du mont Orford et de la centrale du Suroît, la mobilisation citoyenne, appuyée par l'opinion publique, a obligé le gouvernement à revenir sur ses décisions.
Ces confrontations témoignent d'une rupture du lien de confiance entre la population et son gouvernement en matière d'exploitation des ressources naturelles, de projets de développement, de protection de l'environnement et de milieu de vie.
Dans ce contexte, nous devons rappeler au gouvernement qu'il s'est engagé en 1976 à respecter les pactes internationaux dont l'article 1 stipule:
1- Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.
2- Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles.

Est-il besoin de rappeler que ce sont des peuples qu'il est question ici, non des États et encore moins des gouvernements ou des entreprises? Or, pour que la population puisse en disposer, la première condition qui doit être remplie est que celle-ci soit consultée et informée avant toute prise de décision: elle doit prendre part à la décision.
Le mandat du BAPE dans le dossier des gaz de schiste a été limité à réaliser une consultation sur ce que seraient les modalités d'un «développement durable» (sic) des gaz de schiste. D'ailleurs, à de nombreuses reprises et devant les demandes répétées de la population afin d'aller vers un moratoire, la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, a répété que les audiences du BAPE ne remettaient aucunement en question la décision de les exploiter. Bref, la population du Québec n'a aucunement pu prendre part à la décision. C'est ce qui motive, notamment, la demande d'un moratoire.
Bien qu'il y ait une flagrante absence d'étude rigoureuse, l'information disponible et l'expérience de l'exploitation sur une grande échelle des gaz de schiste aux États-Unis et ailleurs au Canada laissent entrevoir des violations de droits dans des domaines aussi cruciaux que le droit à la santé et le droit à l'eau potable. C'est surtout à travers la contamination de l'eau que ces atteintes aux droits risquent de survenir.
De nombreux produits chimiques utilisés dans le processus de fracturation sont toxiques, et certains sont reconnus comme étant cancérigènes ou portant atteinte au système nerveux central, et ce, même à de très faibles doses. Il est par ailleurs inadmissible que la liste des produits utilisés soit protégée par le secret industriel et que les intérêts économiques des industriels priment des droits humains aussi fondamentaux que le droit à l'eau et à la santé.
Plusieurs semaines suivant la fin de la période de consultation publique, de nombreux rapports sur les impacts de l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste continuent d'être rendus publics, telle l'étude de l'IRIS dévoilée le 16 février dernier. En outre, de nombreuses irrégularités sont aussi dévoilées dans les médias concernant les découvertes de fuites en phase d'exploration. À la lumière de tout ceci, il est clair que la population du Québec n'a pas présentement en main toutes les cartes nécessaires afin de prendre une décision éclairée et que la complexité du dossier recommande de prendre plus de temps avant d'aller de l'avant.
La saga des gaz de schiste montre qu'il est grand temps de reconsidérer la manière dont les décisions sont prises en matière de développement. Nous demandons au gouvernement de s'appuyer sur la Convention d'Aarhus3, considérée sur le plan international, comme le cadre juridique le plus avancé pour la mise en oeuvre du droit des populations à prendre part aux décisions qui les concernent en matière environnementale. Cette convention impose que les États garantissent les droits d'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.
Le Canada, et donc le Québec, est membre de la Commission économique de l'ONU pour l'Europe, cadre institutionnel dans lequel s'est négociée cette convention en application du principe 10 de la Déclaration de Rio, de sorte que, même si le Québec n'a pas encore adhéré formellement à cette convention, il n'y a absolument rien qui empêche notre gouvernement de s'y conformer dès maintenant, bien au contraire.
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Vincent Greason et Marie-Josée Béliveau - Respectivement porte-parole des dossiers environnement et chargée de dossiers à la Ligue des droits et libertés


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