Le discours de Bourassa au Congrès Eucharistique de 1910

Le français — la dynamique du déclin


Eminences,

Messeigneurs,

Mesdames, Messieurs,
Depuis deux jours, dans ces séances mémorables, des apôtres de l'Eglise universelle vous ont énoncé les vérités de la foi et prêché le culte de l'Eucharistie: des chefs de l'Eglise canadienne ont rendu témoignage à la religion vivante de leur peuple (applaudissements); des prélats étrangers ont glorifié les magnificences du congrès de Montréal; les hommes d'Etat canadiens ont assuré au représentant du chef de l'Eglise catholique qu'ici l'Etat s'incline devant le magistère suprême de l'Eglise (applaudissements).
Qu'on me permette de prendre ce soir une tâche, plus humble, mais non moins nécessaire, - à moi qui ne suis rien, à moi qui sors de cette foule, - à moi qui n'ai qu'une parcelle du coeur des miens à présenter au Pape (longues acclamations) - et d'accomplir au nom de tous ce que chacun d'entre nous fait lorsque après être venu à la table sainte chercher un regain de grâce et de vitalité, il formule dans son âme les résolutions qu'il a prises pour devenir meilleur et plus fort.
Voeux
Qu'on me pardonne donc d'énoncer quelques-unes des résolutions que nous devons prendre aujourd'hui comme peuple, après avoir communié tous ensemble à la face de Dieu et des hommes dans le culte eucharistique.
Tout d'abord, faisons voeu de confesser notre foi dans nos actes publics. Que cette foi, qui éclaire nos consciences et fait battre nos coeurs ne soit pas seulement la base de notre religion individuelle, mais l'inspiration de notre vie publique (acclamations).
Combattons le danger qui nous menace peut-être plus ici que dans la vieille Europe, attaquée par ailleurs dans sa foi; je veux dire le danger de la double conscience, qui fait que souvent des hommes qui adorent Dieu avec sincérité au foyer et à l'église, oublient qu'ils sont les fils de Dieu lorsqu'il faut proclamer leur foi dans la vie publique, dans les lois et dans le gouvernement de la nation (longues acclamations, applaudissements prolongés).
Au culte de l'argent, au culte du confort, au culte des honneurs, opposons le culte du devoir, le culte du sacrifice, le culte du dévouement (acclamations).
L'Amérique peut apprendre de l'Europe
L'illustre archevêque de Saint-Paul nous disait hier que l'Amérique est appelée à résoudre plusieurs problèmes des sociétés futures. C'est vrai; mais je crois également que l'Amérique peut encore apprendre quelques leçons des vieilles sociétés chrétiennes de l'Europe (applaudissements) et qu'il me soit permis, comme Canadien, dans les veines de qui coule le sang de six générations de Canadiens, de demander à l'Europe de nous donner encore un souffle de son apostolat et de son intellectualité.
Je crois que, dans la recherche de ce culte de l'honneur, du dévouement et du sacrifice, même nous, les Français de la Nouvelle-France pouvons encore apprendre quelque chose à l'autel de la vieille patrie, dont l'évêque d'Orléans et l'évêque d'Angers nous ont parlé hier et ce soir en des termes qui n'indiquent pas qu'ils soient les chefs spirituels d'une nation morte (longs applaudissements).
Au culte de l'égoïsme, au culte du riche qui s'engraisse et qui dort (mouvement dans l'auditoire). au culte du pauvre qui gronde et qui frémit, opposons le culte des oeuvres sociales; car la foi sans les oeuvres est une foi morte, et Pie X, le pape de l'Eucharistie, a été précédé dans les voies de la Providence divine par Léon XIII, le pape des ouvriers (longues acclamations).
II faut veiller au salut de l'ouvrier
Eminence, vous avez admiré le spectacle de quinze mille ouvriers canadiens adorant Dieu dans cette église et attendant de vos lèvres la parole des commandements suprêmes qui vous a été déléguée par le Père que nous vénérons tous (applaudissements). Nos ouvriers sont encore catholiques individuellement, mais nos unions ouvrières ne le sont pas; et je croirais faillir à mon devoir et au rôle que j'ai assumé ce soir si je ne disais pas à mes compatriotes qu'il est urgent de veiller au salut des ouvriers, non seulement dans cette grande ville de Montréal, mais dans toutes les villes de la province de Québec (acclamations).
Il ne suffit pas de dire à l'ouvrier: "Sois chrétien, sobre et laborieux, bon père de famille et fidèle à ton patron; redoute les sociétés sans religion." Nous devons encore obéir à la parole du Pape des ouvriers, lui donner des oeuvres pratiques et lui prouver que la foi catholique n'est pas arriérée ni stérile; que la foi catholique peut non seulement sauvegarder les droits de la conscience, mais encore s'allier fructueusement à toutes les organisations modernes qui permettent au travail de se protéger contre la tyrannie du capital.
Il faut prouver à l'ouvrier que la foi, greffée sur les organisations ouvrières, ne les affaiblit pas, mais leur donne une âme qui les fera vivre, vivre plus longtemps et produire des fruits plus nombreux et plus substantiels que les groupements qui n'ont d'autre but que d'unir les ouvriers dans la revendication de leurs appétits et la recherche d'un salaire plus élevé (acclamations).
Politique
Ici encore l'Amérique - l'Amérique de l'illustre archevêque de Saint-Paul (mouvement) comme l'Amérique de l'éminent archevêque de Montréal - peut aller demander des leçons à l'Europe et en particulier à ce pays où la mentalité chrétienne, même dans le domaine politique, n'est pas morte, à ce vaillant petit pays de Belgique (applaudissements) qui, comprimé pendant cinq siècles par les nations étrangères, a su conserver le double trésor de sa foi et de sa pensée nationale (applaudissements). La Belgique prouve aujourd'hui au monde entier que la profession des principes catholiques dans le gouvernement, dans les lois, dans l'administration, n'empêche pas un peuple d'être à la tête de la civilisation et d'offrir au monde la solution la plus pratique et la plus efficace des problèmes ouvriers et des questions sociales (longues acclamations).
Education
Mais s'il est un point sur lequel notre pensée doive s'arrêter particulièrement, s'il est un principe sur lequel, catholiques de toute origine, nous devons nous unir dans une commune résolution pratique, c'est celui de l'éducation chrétienne de nos enfants (acclamations).
Ne laissons pas pénétrer chez nous - la brèche est déjà faite - cette notion fausse que la religion est bonne à l'école primaire, nécessaire au collège classique qui forme les prêtres, mais qu'elle n'a rien à faire dans l'école scientifique ou dans l'école de métiers (acclamations prolongées). La religion fondée par le Fils du charpentier est peut-être plus nécessaire encore à l'ouvrier qui peine et qui sue, qu'à l'aristocrate de la pensée (longues acclamations).
Oui, conservons intact, dans cette vieille province de Québec, le seul Etat de l'Amérique du Nord qui possède ce trésor, comme l'a si bien dit l'éloquent juge O'Sullivan (applaudissements ) conservons intact ce trésor de l'éducation chrétienne. qui ne consiste pas seulement dans l'enseignement concret et restreint des dogmes théoriques de la religion - si me permettent de m'exprimer ainsi les éminents théologiens qui m'écoutent - mais qui consiste surtout, au point de vue de la foi pratique et vécue, dans la pénétration de toutes les sciences et de toutes les notions humaines par l'idée religieuse, par la foi au Christ, à ses enseignements, , à sa morale (longues acclamations).
Charité nationale
Oui, nous nous glorifions à bon droit d'avoir conservé ce trésor dans la province de Québec; mais de même qu'il y a un instant je vous prêchais l'évangile de la charité sociale contre le dur égoïsme de l'individu, je vous adjure maintenant de pratiquer la charité nationale et de vaincre votre égoïsme provincial.
La province de Québec ne mériterait pas son titre de fille aînée de l'Eglise au Canada et en Amérique si elle se désintéressait des causes catholiques des autres provinces de la Confédération.
Plénitude des droits minoritaires
Nous avons - et permettez, Eminence, qu'au nom de mes compatriotes, je revendique pour eux cet honneur - nous avons les premiers accordé à ceux qui ne partagent pas nos croyances religieuses la plénitude de leur liberté dans l'éducation de leurs enfants (applaudissements). Nous avons bien fait; mais nous avons acquis par là le droit et le devoir de réclamer la plénitude des droits des minorités catholiques dans toutes les provinces protestantes de la Confédération (acclamations prolongées. L'auditoire fait à l'orateur une longue ovation).
Et à ceux qui vous diront que là où l'on est faible, là où l'on est peu nombreux, là où l'on n'est pas riche, on ne doit pas réclamer son dû, mais le mendier à genoux, je réponds: Catholiques du Canada, traversez les mers, abordez le sol de la protestante Angleterre, faites revivre l'ombre majestueuse d'un Wiseman, d'un Manning et d'un Vaughan, si dignement représentés par un Bourne (applaudissements), et allez voir si là les minorités quémandent la charité du riche et du fort (acclamations).
Les catholiques anglais, fiers de leur titre de catholiques et non moins fiers de leurs droits de citoyens britanniques, réclament au nom du droit, de la justice et de la constitution, la liberté d'enseigner à leurs enfants ce qu'ils ont appris eux-mêmes (applaudissements). Et l'Angleterre a commencé à se convertir au catholicisme le jour où la minorité catholique, réveillée par le mouvement d'Oxford, a cessé d'être une minorité timide et cachée pour devenir une minorité combattive (applaudissements) .
Nous aussi, nous sommes citoyens britanniques (mouvement), nous aussi, nous avons versé notre sang pour conserver à l'empire son unité et sa puissance, et nous avons acquis par les traités, que dis-je? nous avons acquis par l'éternel traité de la justice, scellé sur la montagne du Calvaire dans le sang du Christ (acclamations), le droit d'élever des enfants catholiques sur cette terre qui n'est anglaise aujourd'hui que parce que les catholiques l'ont défendue contre les armes en révolte des anglo-protestants des colonies américaines (longues acclamations).
Ayant formulé quelques-unes des déterminations que, j'espère, nous avons déjà prises comme nation et que nous fortifierons demain en faisant cortège au Christ-Jésus, je vous demande maintenant d'adopter avec moi une résolution d'un autre ordre.
Celle-ci n'a plus pour objet la revendication de nos droits et de nos relations avec ceux qui ne partagent pas nos croyances, mais l'union véritable de tous les catholiques dans la pensée d'une commune dévotion à l'Eucharistie, à la Vierge Marie et au Pape, que l'on a si bien définie ce soir comme les trois principaux chaînons de la foi catholique (applaudissements).
Je remercie du fond du coeur l'éminent archevêque de Westminster d'avoir bien voulu toucher du doigt le principal obstacle à cette union (mouvement) et d'avoir abordé le plus inquiétant peut-être des problèmes internes de l'Eglise catholique au Canada (mouvement).
La langue
Sa Grandeur a parlé de la question de langue. Elle nous a peint l'Amérique tout entière comme vouée dans l'avenir à l'usage de la langue anglaise; et au nom des intérêts catholiques elle nous a demandé de faire de cette langue l'idiome habituel dans lequel l'Evangile serait annoncé et prêché au peuple.
Ce problème épineux rend quelque peu difficiles, sur certains points du territoire canadien. les relations entre catholiques de langue anglaise et catholiques de langue française (mouvement). Pourquoi ne pas l'aborder franchement, ce soir, au pied du Christ, et en chercher la solution dans les hauteurs sublimes de la foi, de l'espérance et de la charité (longues acclamations) ?
Ce que l'Eglise doit à l'Irlande
A ceux d'entre vous, mes frères par la langue, qui parlez parfois durement de vos compatriotes irlandais, permettez-moi de dire que quels que puissent être les conflits locaux, l'Eglise catholique tout entière doit à l'Irlande et à la race irlandaise une dette que tout catholique a le devoir d'acquitter (applaudissements). L'Irlande a donné pendant trois siècles, sous la persécution violente et devant les tentatives plus insidieuses des époques de paix. un exemple de persévérance dans la foi et d'esprit de corps dans la revendication de ses droits que tout peuple catholique doit lui envier, au lieu de lui en faire reproche (applaudissements).
A ceux d'entre vous qui disent: l'Irlandais a abandonné sa langue, c'est un renégat national: et il veut s'en venger en nous enlevant la nôtre, je réponds: Non. Si nous avions passé par les épreuves que l'Irlandais a subies, il y a longtemps peut-être que nous aurions perdu notre langue (mouvement).
Quoi qu'il en soit, la langue anglaise est devenue l'idiome de l'Irlandais comme celui de l'Ecossais. Laissons à l'un et à l'autre, comme à l'Allemand et au Ruthène, comme aux catholiques de toutes les nations qui abordent sur cette terre hospitalière du Canada, le droit de prier Dieu dans la langue qui est en même temps celle de leur race, de leur pays, la langue bénie du père et de la mère (longs applaudissements). N'arrachez à personne, ô prêtres du Christ! ce qui est le plus cher à l'homme après le Dieu qu'il adore (applaudissements frénétiques, longues acclamations).
Soyez sans crainte, vénérable évêque de Westminster: sur cette terre canadienne, et particulièrement sur cette terre française de Québec, nos pasteurs, comme ils l'ont toujours fait, prodigueront aux fils exilés de votre noble patrie comme à ceux de l'héroïque Irlande, tous les secours de la religion dans la langue de leurs pères, soyez-en certain (applaudissements).
Mais en même temps, permettez-moi - permettez-moi, Eminence - de revendiquer le même droit pour mes compatriotes, pour ceux qui parlent ma langue, non seulement dans cette province, mais partout où il y a des groupes français qui vivent à l'ombre du drapeau britannique, du glorieux étendard étoilé, et surtout sous l'aile maternelle de l'Eglise catholique (longues acclamations)- de l'Eglise du Christ, qui est mort pour tous les hommes et qui n'a imposé à personne l'obligation de renier sa race pour lui rester fidèle (l'auditoire, debout, fait à l'orateur une longue ovntion).
La meilleure sauvegarde de la foi . . .
Je ne veux pas, par un nationalisme étroit, dire ce qui serait le contraire de ma pensée - et ne dites pas, mes compatriotes - que l'Eglise catholique doit être française au Canada. Non mais dites avec moi que, chez trois millions de catholiques, descendants des premiers apôtres de la chrétienté - en Amérique, la meilleure sauvegarde de la foi, c'est la conservation de l'idiome dans lequel, pendant trois cents ans, ils ont adoré le Christ (acclamations).
Oui, quand le Christ était attaqué par les Iroquois, quand le Christ était renié par les Anglais quand le Christ était combattu par tout le monde, nous l'avons confessé et nous l'avons confessé dans notre langue (longues acclamations). Le sort de trois millions de catholiques, j'en suis certain, ne peut être indifférent au coeur de Pie X pas plus qu'à celui de l'éminent cardinal qui le représente ici.
Mais il y a plus encore. Non pas parce que nous sommes supérieurs à personne, mais parce que, dans ses décrets insondables qu'il n'appartient à personne de juger, la Providence a voulu que le groupe principal de cette colonisation française et catholique constituât en Amérique un coin de terre à part où l'état social, religieux et politique se rapproche le plus de ce que l'Eglise catholique, apostolique et romaine nous apprend être l'état le plus désirable des sociétés (applaudissements). Nous n'avons pas au Canada - qu'on me pardonne de rompre avec les formules de la diplomatie usitées même en des lieux comme celui-ci (mouvement) - nous n'avons pas au Canada l'union de l'Eglise et de l'Etat: ne nous payons pas de mots. Nous avons, dans la province de Québec la concorde, la bonne entente entre les autorités civiles et religieuses. Il est résulté de cette concorde des lois qui nous permettent de donner à l'Eglise catholique un organisme social et civil qu'elle ne trouve dans aucune autre province du Canada ni dans aucune autre portion de l'Empire britannique (applaudissements).
La petite paroisse de Québec . . .
Grâce à ces lois, nos diocèses s'organisent, nos paroisses se fondent. Oh! la petite paroisse de Québec, échelonnée depuis le golfe de Gaspé jusqu'au lac Témiscamingue, cette petite paroisse dont l'église au clocher joyeux est le centre, et qui faisait dire à l'éloquent évêque de Nancy, Mgr de Forbin-Janson: "0 Canadiens français! peuple au coeur d'or et aux clochers d'argent!" (applaudissements); cette petite paroisse canadienne, où se concentre l'effort du plus humble comme du plus riche des citoyens catholiques, dont l'organisation, le mode d'impôts et le fonctionnement sont garantis par les lois de notre province c'est l'assise sociale la plus forte de l'Eglise catholique en Amérique (longues acclamations).
Nos lois reconnaissent encore dans la province de Québec seulement, autant que l'Eglise peut le désirer, la constitution et le libre fonctionnement des communautés religieuses.
Notre effort d'apostolat
Quel a été le résultat de cet état social? C'est que, débarrassée des soucis matériels, n'étant pas obligée, comme dans le reste du Canada, aux Etats-Unis et dans la plupart des autres pays, de rechercher toutes sortes de moyens artificiels et incertains pour se constituer civilement et socialement, l'Eglise de Québec, en repos du côté légal et matériel, a pu donner la plénitude de son effort d'apostolat (applaudissements), et cet effort a dépassé de bien loin le diocèse de l'archevêque de Saint-Paul (applaudissements)
De cette petite province de Québec, de cette minuscule colonie française, dont la langue, dit-on, est appelée à disparaître (mouvenent), sont sortis les trois quarts du clergé de l'Amérique du Nord, qui est venu puiser au séminaire de Québec ou à Saint-Sulpice la science et la vertu qui ornent aujourd'hui le clergé de la grande république américaine, et le clergé de langue anglaise aussi bien que le clergé de langue française du Canada (longs applaudissements).
Apôtres de l'Amérique du Nord
Eminence, vous avez visité nos communautés religieuses, vous êtes allé chercher dans les couvents, dans les hôpitaux et dans les collèges de Montréal la preuve de la foi et des oeuvres du peuple canadien-français. Il vous faudrait rester deux ans en Amérique, franchir cinq mille kilomètres de pays, depuis le Cap-Breton jusqu'à la Colombie-Anglaise, et visiter la moitié de la glorieuse république américaine - partout où la foi doit s'annoncer, partout où la charité catholique peut s'exercer pour retracer les fondations de toutes sortes - collèges. couvents: hôpitaux, asiles - filles de ces institutions-mères que vous avez visitées ici (longs applaudissements). Faut-il en conclure que les Canadiens français ont été plus zélés, plus apostoliques que les autres. Non, mais la Providence a voulu qu'ils soient les apôtres de l'Amérique du Nord (acclamations).
Que l'on se garde, oui, que l'on se garde avec soin d'éteindre ce foyer intense de lumière qui éclaire tout un continent depuis trois siècles; que l'on se garde de tarir cette source de charité qui va partout consoler les pauvres, soigner les malades, soulager les infirmes, recueillir les malheureux et faire aimer l'Eglise de Dieu, le pape et les évêques de toutes langues et de toutes races (acclamations prolongées).
Nous ne sommes qu'une poignée "Mais, dira-t-on, vous n'êtes qu'une poignée; vous êtes fatalement destinés à disparaître; pourquoi vous obstiner dans la lutte" (mouvement)? Nous ne sommes qu'une poignée, c'est vrai; mais ce n'est pas à l'école du Christ que j'ai appris à compter le droit et les forces rnorGles d'après le nombre et par les richesses (longues acclamations). Nous ne sommes qu'une poignée, c'est vrai; mais nous comptons pour ce que nous sommes, et nous avons le droit de vivre (ovation).
Douze apôtres, méprisés en leur temps par tout ce qu'il y avait de riche, d'influent et d'instruit, ont conquis le monde (applaudissements). Je ne dis pas: Laissez les Canadiens français conquérir l'Amérique. Ils ne le demandent pas. Nous vous disons simplement: Laissez-nous notre place au foyer de l'Eglise et faire notre part de travail pour assurer son triomphe (acclamations).
Rédemption
Après la mort du Christ, saint Pierre voulut un jour marquer la supériorité des Hébreux sur les Gentils. Saint Paul, l'apôtre des nations, lui rappela qu'il devait être le père de toutes les races, de toutes les langues. Le pape le comprit; et depuis dix-neuf cents ans, il n'y a pas eu de pape hébreux, de pape romain, de pape italien, de pape français, mais le Pape, père de toute la grande famille catholique (longues acclamations).
Montons plus haut, montons jusqu'au Calvaire, et là, sur cette petite montagne de Judée, qui n'était pas bien haute dans le monde, apprenons la leçon de la tolérance et de la vraie charité chrétienne (applaudissements).
Les peuples de l'antiquité, dans l'attente du salut, montèrent jusqu'au Christ, pour en recevoir le mot de la rédemption éternelle. Depuis le Christ, toutes les races et toutes les nations, lavant dans son sang leurs préjugés, doivent s'unir pour constituer son Eglise. Que dans le Christ et dans l'amour commun de l'Eucharistie, toutes les races du Canada, ayant appris à respecter le domaine particulier de chacune, à conserver à chacune les forces d'expansion nationales qui lui sont propres, sachent enfin s'unir étroitement pour la gloire. de l'Eglise universelle, pour le triomphe du Christ et de la papauté (applaudissements); et, ajouterai-je en terminant, pour la sécurité de l'Empire britannique, car c'est dans l'unité de foi des catholiques canadiens, des Canadiens français surtout, que l'Empire britannique trouvera, dans l'avenir, comme dans le passé, la garantie la plus certaine de sa puissance au Canada (longue ovation).
***
Source: Henri BOURASSA, ‘Le Discours de Notre-Dame au Congrès Eucharistique de 1910’ in Hommage à Bourassa, Montréal, Le Devoir, 1952, 215p., pp. 108-114.


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