Le devoir de réserve

Canada-Québec : "un dialogue de sourds"


Pour la seconde fois en autant de semaines, la Gouverneure générale, Michaëlle Jean, a manqué à l'une des attributions les plus importantes de sa fonction : le devoir de réserve. C'est-à-dire l'obligation faite à quiconque occupe cette fonction de rester au-dessus de la mêlée et de ne pas se mêler du débat politique.
D'abord en appuyant la mission canadienne en Afghanistan, puis en disant aux Québécois qu'ils sont «souvent très déconnectés du reste du Canada», Mme Jean a manqué à ce devoir de réserve.
Un devoir qui est important autant pour des raisons historiques que pratiques.
Des raisons historiques parce que la notion même de gouvernement responsable est liée au fait que le Gouverneur général refuse de participer au débat politique. Le gouvernement responsable implique que le premier ministre répond de ses actes devant les élus de la Chambre des communes et non devant le représentant de la Couronne.
Quand le Canada était une colonie britannique, le Gouverneur général était un acteur politique important. Qu'il ait cessé de l'être était un progrès important pour la démocratie dans ce qui était alors un très jeune pays. Mais ce n'est pas moins vrai aujourd'hui.
La notion même de gouvernement responsable implique nécessairement que le Gouverneur général s'abstient de participer aux débats politiques et accepte de se tenir au-dessus de la mêlée.
Comme l'écrivait le professeur Peter Hogg dans Constitutional Law of Canada, Second Edition : «Le Gouverneur général ne doit utiliser aucune initiative personnelle ou discrétion dans l'exercice de ses pouvoirs de gouvernement (...) L'effet du gouvernement responsable est de transférer le pouvoir politique effectif aux élus».
Le fait que le Gouverneur général reste au-dessus de la mêlée est également important parce que la tradition constitutionnelle canadienne lui confère un pouvoir d'arbitre ultime dans des cas très exceptionnels, par exemple quand un gouvernement perd la confiance de la Chambre.
C'est loin d'être une simple question théorique.
Si cela devait arriver au gouvernement de M. Harper, par exemple, alors que nous ne sommes que huit mois après une élection générale, il appartiendrait au Gouverneur général de décider s'il doit y avoir une nouvelle élection ou si on devrait plutôt désigner un autre premier ministre qui serait plus susceptible d'avoir la confiance de la Chambre.
Qu'arriverait-il, par exemple, si le gouvernement Harper était défait sur la question de la guerre en Afghanistan? On aurait certainement le droit de se demander si Mme Jean est en mesure de jouer un rôle d'arbitre après s'être prononcée sur l'opportunité de cette mission.
C'est pour préserver leur capacité d'être cet arbitre que, ces dernières années, les Gouverneurs généraux ont refusé de se prononcer même sur des sujets touchant l'unité nationale. En 1995, par exemple, le Gouverneur général du temps, Roméo LeBlanc avait refusé d'intervenir dans la campagne référendaire.
«Je ne peux être indifférent. N'importe qui s'inquiétera de l'avenir du pays qu'il a connu lorsqu'il a grandi. Mais il faut respecter les gens qui sont en train de réfléchir à ce qu'ils veulent faire», avait-il affirmé en entrevue au Soleil, le 11 juin 1995.
M. LeBlanc faisait preuve d'une prudence élémentaire. Après le référendum, la question de la confiance au gouvernement aurait tout à fait pu se poser.
Dans le contexte actuel, le devoir de réserve du Gouverneur général reste tout aussi pertinent, même sur les questions touchante l'unité nationale et, à plus forte raison, dans un dossier politiquement explosif comme la guerre en Afghanistan.
Le devoir de réserve est une obligation pour Mme Jean ou quiconque occupe la fonction de Gouverneur général. C'est un devoir. Une obligation. Pas une suggestion.


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