En lançant l'idée d'une citoyenneté québécoise, la chef du PQ, Pauline Marois, voulait manifestement reprendre pied dans un débat identitaire que son parti ne domine plus. Elle a probablement raté son coup. Le projet a provoqué de très vives critiques sans pour autant susciter l'enthousiasme chez ceux que l'on voulait rejoindre.
Cette opération sert bien davantage à illustrer le désarroi d'un parti qui a trop tardé à se repenser, qui semble avoir perdu sa touche magique, la capacité remarquable qu'il a eu pendant trois décennies d'incarner les peurs et les aspirations québécoises. Le gouvernement Charest a décidé de mettre ce projet sur les tablettes. En ce faisant, il rend en fait un fier service au PQ.
Il est évident qu'à un premier niveau, avec ce projet qui annonce une intention de fermeté à l'égard des immigrants, le PQ voulait reprendre le terrain qu'il a perdu au profit de l'ADQ, dont le chef Mario Dumont manie avec beaucoup de succès les thèmes liés aux peurs identitaires.
Mais il y a une autre raison qui a poussé Mme Marois à prendre cette initiative. Et c'est de combler le vide créé parce qu'elle a remis le référendum aux calendes grecques. Cela pose un problème sérieux pour un parti dont la souveraineté est la raison d'être. Comment assurer la cohérence du discours et la cohésion des troupes quand l'objectif est trop lointain?
Cette stratégie de citoyenneté semble s'inscrire dans une sorte de plan B, qui ressemble à ce que certains péquistes avaient évoqué après l'échec référendaire de 1995. À défaut d'être capables de convaincre les Québécois d'appuyer la souveraineté, il est peut-être possible de les rallier à une forme d'étapisme, où l'on arracherait la souveraineté par morceaux. À l'époque, on avait pensé au rapatriement des impôts. La citoyenneté québécoise semble s'inscrire dans la même logique.
On a pu remarquer, dans les critiques suscitées par ce projet, que ce n'est pas l'idée d'exiger qu'un immigrant connaisse la langue du pays pour en devenir citoyen, qui pose problème. C'est ce qui se fait à bien des endroits, y compris au Canada. Le problème est essentiellement dans l'application, dans les incohérences et les injustices que cela provoquerait parce que le Québec n'est pas un pays souverain. Ce n'est pas un accident si le PQ a choisi d'aller sur ce terrain.
À cela s'ajoute le fait que Mme Marois n'a pas que des adéquistes à séduire, mais qu'elle doit aussi rallier les péquistes. Elle a pu s'imposer à un parti qui n'avait pas le choix. Mais il est illusoire de croire que cet unanimisme durera longtemps. Le chef du PQ n'a pas profité de son rapport de forces pour nettoyer le parti et le débarrasser des ses éléments les plus radicaux. La ferveur linguistique est l'un des gestes rituels qui, traditionnellement, ont permis à un chef d'atténuer les doutes sur l'authenticité de son orthodoxie.
Mais il est loin d'être assuré que l'opération a réussi, parce que la sociologie du Québec a changé et que le paysage politique s'est transformé. Les bonnes vieilles recettes péquistes tombent à plat.
Tout d'abord, comme l'a bien démontré mon collègue André Pratte, l'idée de citoyenneté constitue un détournement de débat, un effort pour ramener le terrain linguistique, le fond de commerce du Parti québécois, un malaise qui porte essentiellement sur les aménagements religieux et les inquiétudes face à l'immigration.
Mais c'est un détournement qui ne mènera pas loin. Ce n'est pas l'anglais qui fait peur au Québec profond, c'est l'arabe! L'imam Jaziri parle un français impeccable. En proposant une grille où un imam tunisien intégriste deviendrait plus facilement québécois qu'un neurochirurgien danois, le PQ est complètement à côté de la plaque.
L'autre difficulté vient du fait que le paysage politique a changé. Le débat actuel, avec Hérouxville, la complaisance de Mario Dumont, les débordements à la commission Bouchard-Taylor, trahit des peurs qui peuvent mener à une dynamique réactionnaire. Bien sûr, le projet de citoyenneté n'est pas réactionnaire en soi. Mais le PQ ne peut pas faire abstraction du contexte dans lequel il l'a proposé, et du fait que cette citoyenneté à deux vitesses fournit une caution morale à ceux qui ont le réflexe d'exclusion.
Le succès de l'ADQ repose en grande partie sur l'éclatement de la grande coalition péquiste. Les vieux bleus et la droite nationaliste, que le Parti québécois réussissait à museler, s'expriment maintenant au grand jour. Pour reprendre du terrain face à l'ADQ, le PQ doit attaquer à droite. En est-il capable? Peut-il le faire sans perdre son âme?
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