Andrew Scheer rêve à voix haute de voir un « corridor énergétique » pour l’électricité, le gaz naturel et le pétrole. Mais quelqu’un devrait lui dire que pour l’électricité, il y en a déjà un et il est sous-exploité. L’Ontario et le Québec partagent déjà une grosse infrastructure d’interconnexion. Sur les 15 interconnexions avec les réseaux voisins, Hydro-Québec en a construit huit avec l’Ontario, en tout 2700 mégawatts – qui ne sont utilisés qu’à 25 % de sa capacité. Et il ne manque que 20 km à une des lignes, près d’Ottawa, pour quasiment doubler le potentiel de transport à 4700 mégawatts.
Ce qui bloque tout, c’est l’idéologie — ou plus exactement l’idée insensée que chaque province devrait être autosuffisante en électricité. Et cela remonte à bien avant Doug Ford. François Legault et tous ses prédécesseurs depuis René Lévesque ont tous fait des démarches auprès des Ontariens, sans succès. L’Ontario n’a aucune hésitation à acheter tout son gaz naturel et son pétrole sur les marchés extérieurs. Mais quand il s’agit d’électricité, chaque électron devrait être « made in Ontario ».
Par désir d’autarcie, l’Ontario en est réduit à exploiter un système de plus en plus dysfonctionnel qui coûte cher à l’économie et dont les prix sont deux à trois fois supérieurs à ceux du Québec. Ses centrales produisent de grosses quantités d’électricité à un coût sans cesse croissant, même en faisant abstraction des déchets nucléaires. Mais il y a aussi un coût technique terrible : parce qu’un réacteur nucléaire est essentiellement une grosse bouilloire difficile à allumer et à arrêter, il est quasi impossible de coordonner les centrales ontariennes avec la production solaire et éolienne, qui est fondamentalement variable. Seules deux formes d’énergie, la turbine à gaz et la centrale hydroélectrique, ont l’agilité nécessaire pour répondre aux sources intermittentes.
L’Ontario aurait besoin de dizaines de milliers d’éoliennes étalées sur des milliers de kilomètres carrés simplement pour produire toute la puissance que pourrait lui fournir Hydro-Québec à un coût bien moindre. Mais l’Ontario aurait malgré tout besoin d’un grand nombre de turbines à gaz pour les soutenir, ce qui annulerait tous les avantages environnementaux de l’énergie éolienne ou solaire.
Mettre la main sur les surplus
Elizabeth May, de passage à Montréal lors de la fameuse marche pour la planète le 27 septembre, avait déclaré qu’Hydro-Québec devrait vendre davantage au Canada au lieu de tout exporter. Mais la vérité est que les Américains ont compris très tôt qu’ils devaient se dépêcher à mettre la main sur les surplus d’Hydro-Québec. Le problème du Massachusetts et de la ville de New York est que les trois lignes existantes vers les États-Unis sont saturées et les projets de nouvelles lignes sont loin d’être assurés. L’Ontario n’aurait pas ces soucis.
L’Ontario et le Québec échangent déjà de bonnes quantités d’énergie. Le Québec remplit environ 4 % des besoins ontariens en électricité, mais 15 % de ceux du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Angleterre — et même 25 % rien que pour le Vermont. Jusqu’à présent, les lignes d’interconnexion Ontario-Québec ont surtout servi à des échanges de bons procédés et du marché à court terme, sans plus.
Au-delà des exportations, le premier ministre, François Legault, envisage même un approfondissement de la relation énergétique avec l’Ontario. Lors de sa première visite à Doug Ford en novembre 2018, il avait même proposé une « alliance énergétique » pour le développement conjoint de futurs mégaprojets au Québec. En privé, le premier ministre Legault envisage même d’inclure Terre-Neuve, car le projet le plus prometteur est celui de Gull Island sur le fleuve Churchill. Le corridor est d’ailleurs déjà partiellement ouvert : la ligne électrique vers le projet de La Romaine a une capacité qui est le double de la production de ce nouveau complexe. C’est parce qu’Hydro-Québec anticipe qu’elle pourrait lancer un projet plus à l’est ou au nord, au Labrador.
L’Ontario a la chance d’être la voisine d’une « batterie » d’une taille exceptionnelle qui s’appelle Hydro-Québec, qui lui permettrait de régler une grosse partie de ses soucis électriques à condition de se libérer du mirage de l’autonomie électrique et d’embrasser une vision d’un système électrique mieux imbriqué avec celui du Québec. Hydro-Québec constitue le deuxième plus gros réseau hydroélectrique au monde, après Yang Tsé Power, le plus vert du continent (99,8 % d’énergie renouvelable), le moins cher, jouissant d’installations d’interconnexions déjà prêtes et de surplus records. Le corridor est là, et il attend.