Une étrange atmosphère schizoïde émanait de ce congrès dit de refondation à Sorel-Tracy, qui réunissait les 16 et 17 mars 2019 quelque 200 délégués.
Pour comprendre cela, il faut remonter dans le temps.
La mutinerie
Le 28 février 2018, la majorité des députés du BQ abandonnèrent le navire en pleurnichant honteusement : ils ne voulaient pas être astreints à faire la promotion continue de l’indépendance du Québec sur toutes les tribunes. Il leur suffisait, proclamaient-ils, de défendre les intérêts du Québec au sein du régime canadien, comme à l’époque du patron Gilles Duceppe. Pourtant, la promotion de l’indépendance était non seulement voulue par la chef Martine Ouellet, mais correspondait à la résolution adoptée par le Congrès national de 2014. D’ailleurs, les membres du parti confirmeront cette orientation lors du référendum interne des 1er et 2 juin 2018.
Hélas, le salissage acharné médiatique aboutit au départ de la chef indépendantiste.
Les députés mutins avaient entretemps non seulement fondé un nouveau parti, Québec debout, mais ils avaient aussi déclaré avec aplomb qu’ils ne reviendraient pas au BQ, quelle que soit l’issue du référendum interne. Or, la majorité de ces députés ont opéré leur réintégration au BQ en pleine campagne électorale québécoise le 17 septembre 2018 sans respecter l’exigence du Bureau national d’un engagement solennel de leur part à faire la promotion sérieuse de l’indépendance. C’est donc sans surprise que ces députés n’ont pas fait la promotion concrète d’un Québec indépendant dans leurs interventions publiques depuis leur retour ; ils sont ravis de se dire « indépendantistes » pour aguicher les électeurs.
Phobie de la démocratie
La direction du parti a elle-même procédé à des manœuvres antidémocratiques, d’abord par l’arrangement annoncé au Conseil général du 18 août 2018 pour éviter l’élection régulière d’un nouveau Bureau national.
Puis, cette direction nommée avait déterminé que le nouveau dirigeant du parti serait lui aussi acclamé, plutôt qu’élu au terme de la course à la chefferie pourtant officiellement prévue. En effet, le candidat potentiel Jean-Jacques Nantel avait vraisemblablement recueilli les signatures requises, soit 500, y compris 20 signatures dans 15 circonscriptions, lors de la date d’échéance le 16 janvier 2019 à 23 h 59. Mais le président d’élection, inflexible malgré la souplesse prévue dans les Règles de la course à la chefferie du Bloc Québécois, a prétexté à cette heure-là que le décompte des signatures par ses propres employés n’était pas terminé pour écarter M. Nantel de la course. Le dénombrement, qui était pourtant avancé, n’a donc pas été complété en bonne et due forme (voir la résolution du Bloc Québécois de Hull-Aylmer).
Cette fois, c’est au contraire par leur silence absolu sur ces brigues que les médias conventionnels ont continué de soutenir les saboteurs de l’accession à l’indépendance.
Le nouveau programme
Il suffit d’examiner la structure générale du nouveau programme adopté lors du congrès de 2019 pour en saisir la stratégie pernicieuse. Il était divisé en trois sections, la section A comportant 7 propositions générales tandis que les sections B et C comportaient chacune 20 propositions en miroir, plus détaillées. Si la section A semblait mettre l’accent sur l’indépendance (proposition A2), on y collait aussitôt la contradictoire défense des intérêts du Québec dans le cadre fédéral, comme une espèce de garde-fou ou de notion chaperon (proposition A3). D’ailleurs, la section B portait sur cette défense des intérêts dans l’enclos fédéral. Alors que la promotion de l’indépendance était reléguée dans la dernière section, intitulée « Imaginons un Québec indépendant ». Bref, il s’agissait d’une nouvelle mouture de l’attentisme : on enfermait de nouveau l’indépendance du Québec dans le domaine du rêve toujours repoussé plus loin dans le temps. D’ailleurs, on remarque dans cette section l’utilisation fréquente des verbes au conditionnel, plutôt qu’à l’indicatif présent, mode direct et affirmatif.
Prenons un exemple pour illustrer cette structure alambiquée. Le statut de la langue française était traité dans les propositions B3 et C3. Si cette dernière, comme il se doit, faisait du français la seule langue officielle et la langue commune d’un Québec indépendant, la proposition B3 affirmait au sujet des institutions fédérales que le BQ « verra à ce que tous les documents et toute la correspondance destinée aux citoyens soient disponibles en même temps en français ». Implicitement, cela signifiait en anglais aussi, et ce, après avoir dénoncé vertement le bilinguisme individuel dans le préambule de ladite proposition. Discordance inhérente à la défense des intérêts du Québec dans la prison mentale fédérale.
Cette ambivalence se refléta dans le discours inaugural du chef par défaut Yves-François Blanchet. Il dénonça la propagande de la diffusion des chèques fédéraux dotés du drapeau du Canada dans le coin supérieur. Or, quelques minutes plus tard, il réclama rien de moins du gouvernement canadien que l’émission d’un gros chèque destiné au gouvernement québécois pour la gestion de ses villes. Décoré d’un unifolié gigantesque ? Au lieu de promouvoir un Québec indépendant qui gouverne exclusivement toutes les municipalités du territoire national. Manifestement, l’attachement au Canada trouble les esprits.
Pour saisir toute la portée de cette régression, comparons la structure du nouveau programme à celle de la proposition principale de 2018-2019 préparée par l’équipe de Mme Ouellet, intitulée Pour faire du Québec une république. Ce document plaçait l’indépendance au sommet, dès le premier chapitre. L’indépendance agissait donc comme un phare dans tous les domaines de la vie collective, tels la langue, la culture et les communications, l’environnement, la justice, la politique internationale, traités dans les chapitres subséquents. Par exemple, le statut linguistique était affirmé de manière plus solennelle encore que dans le nouveau programme du récent congrès : « La langue de la République est le français. » Un encadré à la fin de chaque chapitre précisait les actions du parti d’ici la réalisation de l’indépendance. L’ordre était donc logiquement hiérarchique : c’est l’indépendance qui guidait les intérêts du Québec, tandis que le nouveau programme a remis l’indépendance à la traîne des intérêts du Québec, comme si la défense de ces derniers dans le cadre fédéral devait convaincre les citoyens de mettre fin à ce régime plutôt que de créer l’illusion toujours déçue de son amélioration. Cherchez l’erreur.
Il n’y a plus de doute possible lorsqu’on apprend que le nouveau programme dichotomique a été exigé par l’aile parlementaire du parti. Ainsi, la majorité des députés pourront, en toute quiétude, se contenter de défendre les intérêts du Québec dans le ronron du régime actuel, tout en se faisant passer pour des indépendantistes.
Les nouveaux statuts
J’attire votre attention sur une modification majeure aux statuts. Un représentant des anciens députés siégera désormais au sein du Bureau national. On devine sans mal que cela représente la mainmise de Gilles Duceppe sur le parti. Il est donc récompensé pour avoir fomenté dans l’ombre le départ de Martine Ouellet. Que ceux qui en doutent sachent qu’au milieu de la journée du samedi 16 mars, un défilé d’une dizaine d’anciens députés bloquistes eut lieu, l’ancien dirigeant fermant la marche pour aller livrer un discours au contenu conformiste. Bref, Gilles Duceppe est maintenant confirmé dans le rôle qu’il s’est forgé de Chef Perpétuel du Bloc Québécois. Celui qui a conduit le parti aux catastrophes électorales de 2011 et 2015 n’en a jamais fait le bilan correct. Misère !
Conclusion
Ce congrès de maquillage a subtilisé la démocratie aux membres du parti, tout en manipulant le noble mot « indépendance » comme une crécelle. Il convient ici de paraphraser Abraham Lincoln ironiquement : le Bloc Québécois a toujours été un parti de députés, par les députés, pour les députés. La majorité d’entre eux, qui se cantonnent dans l’univers du provincialisme aliénant, sont des procrastinateurs qui ne représentent qu’eux-mêmes puisqu’ils se sont isolés des forces vives du Québec, c’est-à-dire de l’électorat indépendantiste devenu ipso facto orphelin. Avec mauvaise foi, ils s’imaginent que le refus du gouvernement fédéral de prendre en compte les intérêts du Québec aura pour effet magique de convertir les Québécois à l’indépendance (voir le billet de Denis Monière sur la colonisation des cerveaux). En réalité, voici la priorité de ces députés canadianistes : être grassement payés et destinés à une retraite prématurée tous conforts. La libération du peuple québécois et l’indépendance du pays sont, elles, renvoyées à la Saint-Glinglin.
Sur la scène politique canadienne — c’est-à-dire en Absurdistan —, le BQ est donc l’unique parti provincialiste parce qu’il défend scrupuleusement le partage des compétences établi il y a 150 ans. Alors que le gouvernement canadien, soutenu par l’ensemble des partis fédéraux, ne cesse de brouiller les enjeux en envahissant sans vergogne les champs de compétence du Québec avec son pouvoir de dépenser, largement constitué par le vol constitutionnel de l’impôt sur le revenu. La seule solution viable et définitive consiste à mettre fin à l’autorité harceleuse du Canada sur le Québec en accédant à l’indépendance.
Puisque le nouveau programme du parti adopté lors du congrès « extraordinaire » des 16 et 17 mars 2019 n’établit pas une claire primauté de la promotion concrète et continue de l’indépendance du Québec sur toutes les tribunes, j’ai démissionné du poste de président du conseil exécutif du Bloc Québécois de Hull-Aylmer.
Gatineau, le 2 avril 2019
Marc Labelle
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