Le chant du cygne

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La CSDM a embauché des femmes voilées pendant que se votait le projet de loi !


En demandant de reporter d’un an l’application de la loi 21 sur la laïcité dans ses écoles, sous prétexte de tenir une vaste consultation sur les modifications qu’elle devra apporter à ses politiques, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) savait très bien que le gouvernement Legault lui opposerait une fin de non-recevoir, et c’est sans doute ce qu’elle voulait.


M. Legault ne peut évidemment pas tolérer cette bravade sans perdre la face. Faire une exception pour la CSDM créerait d’ailleurs un précédent que d’autres s’empresseraient d’invoquer pour se soustraire aux dispositions de la loi, notamment les commissions scolaires anglophones, qui ont déjà fait savoir qu’elles n’avaient pas l’intention de les appliquer.


Il est bien possible que l’interdiction d’embaucher de nouvelles enseignantes portant le voile cause des difficultés à la CSDM. Elle avait parfaitement le droit de faire valoir ses objections au projet de loi 21, et elle ne s’en est pas privée. Maintenant que la loi a été adoptée par l’Assemblée nationale, elle doit cependant être respectée.


La présidente de la CSDM, Catherine Harel-Bourdon, a signifié clairement que, dans son esprit, la partie est loin d’être terminée. « Le premier ministre pensait qu’il allait clore le débat ; moi, je pense qu’il fait juste ouvrir un débat social très présent dans nos milieux montréalais », a-t-elle déclaré. De toute évidence, elle a bien l’intention de l’alimenter.


Si on en croit la commissaire indépendante Violaine Cousineau, la CSDM aurait déjà embauché après la date butoir du 28 mars 2019 des enseignantes susceptibles de porter le voile. Mme Harel-Bourdon refuse de parler de désobéissance civile, mais cela y ressemble à s’y méprendre.


Il est vrai qu’en dépit de l’amendement qui a été apporté au projet de loi 21, la définition de ce qu’est un signe religieux pourrait prêter à interprétation dans certains cas. À moins d’être de mauvaise foi, on devrait cependant reconnaître sans peine que le voile ou la kippa entrent bel et bien dans la catégorie des signes religieux.


Il est certainement regrettable que la CSDM n’ait pas été invitée à témoigner devant la commission parlementaire qui a étudié le projet de loi 21. Son mémoire expliquait cependant de façon très claire que l’interdiction du port de signes religieux risquait d’aggraver la pénurie d’enseignants à laquelle elle doit déjà faire face et que d’éventuelles poursuites judiciaires pourraient lui occasionner des frais importants.


Ses critiques ne se limitaient cependant pas à ces aspects pratiques. Elle contestait aussi le bien-fondé de cette interdiction au nom de la diversité culturelle à laquelle elle souhaite exposer les élèves qui fréquentent ses écoles, du respect des droits et libertés de la personne, ainsi que de l’égalité des chances à l’emploi. Bref, elle remettait en question les fondements mêmes de la nouvelle loi.


La CSDM a parfaitement le droit de penser qu’elle est discriminatoire et que les enseignants n’auraient pas dû y être assujettis. Personne ne peut l’empêcher de la contester devant les tribunaux si elle le désire, mais il ne lui appartient pas de définir les règles du vivre-ensemble de la société québécoise. Elle n’en a ni le mandat ni la légitimité. Que la CAQ n’ait fait élire que deux députés sur l’île de Montréal ne change rien à l’affaire.


Les conflits entre les commissions scolaires, particulièrement la CSDM, et l’État québécois ne datent pas d’hier, mais il est clair que l’élection d’un gouvernement qui projette ouvertement de les faire disparaître n’est pas de nature à améliorer les choses. Même si l’aversion que la loi 21 inspire à la CSDM est sans doute sincère, il est difficile de dissocier ce combat de la lutte pour sa survie.


Alors que le gouvernement prétend abolir une structure inefficace, dont le faible taux de participation aux élections scolaires démontrent le peu d’importance qu’y accorde la population, la CSDM pourra dire qu’il veut plutôt abattre une institution séculaire qui se porte à la défense des libertés fondamentales. Quoi de plus exaltant que de tomber au champ d’honneur en défendant la liberté, n’est-ce pas ? Une sorte de chant du cygne.


La loi ne précise pas les « mesures disciplinaires » auxquelles s’exposent les éventuels contrevenants et les différents ministres concernés n’ont pas été plus explicites. Il faudra bien que cela soit éclairci s’il s’avère à la rentrée de l’automne que des enseignantes portant le voile ont été embauchées par la CSDM après le 28 mars.


Le gouvernement estime avec raison que l’opinion publique est de son côté dans cette affaire, mais des images de jeunes femmes en pleurs congédiées pour être restées fidèles à leur foi seraient du plus mauvais effet. On comprend M. Legault de souhaiter ne pas en arriver là.


Cette chronique fait relâche pour l’été.









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