Le caniveau

Actualité internationale - L'affaire Murdoch



Rupert Murdoch, le magnat de la presse australo-américain, a sacrifié un journal britannique vieux de 168 ans dans une vaine tentative d'étendre son empire médiatique, qui est déjà le plus grand du monde. On ne va pas pleurer sur le sort du News of the World (NotW), qui a toujours été jaune comme le pissenlit depuis sa naissance en 1843. On peut quand même se demander s'il était nécessaire de tuer un quotidien qui n'était même pas déficitaire et de mettre 200 personnes au chômage.
Le journal était-il pourri jusqu'à la moelle par des salariés dont les supérieurs ignoraient les pratiques condamnables, comme on a essayé de le faire croire? Ce n'est pas l'avis de Scotland Yard, qui a interpellé Andy Coulson, un ancien directeur qui avait démissionné à cause du scandale des écoutes illégales en 2007 avant d'être repêché par le futur premier ministre conservateur, David Cameron. À cette époque-là, les propriétaires du NotW prétendaient d'ailleurs qu'un seul journaliste était fautif, ce qui n'était évidemment pas le cas.
Malheureusement, la police est elle-même éclaboussée puisque la rédaction du News of the World aurait offert des pots de vin à des membres des forces de l'ordre en échange d'informations sensationnelles. On pense maintenant que certains policiers ont eux-mêmes été espionnés. Comme on le voit, ce psychodrame met en scène de nombreux acteurs aux relations parfois conflictuelles, parfois incestueuses.
Un premier acte en avait été joué en 2006, quand on apprit que le NotW piratait les messageries de membres de la famille royale. Un journaliste et un détective avaient été condamnés à des peines de prison. Le quotidien The Guardian a ensuite enquêté sans relâche en voyant que la police ne le faisait plus. Ce dernier journal, qui est reconnu pour son sérieux, a multiplié les révélations ces dernières semaines: le NotW ne piratait pas seulement les messageries de personnes riches et célèbres, mais également celles des parents de victimes de crimes, même celle d'une fillette enlevée en 2002 et retrouvée morte par la suite. The Telegraph a ajouté jeudi dernier que les familles des soldats tués en Irak et en Afghanistan figuraient parmi les victimes. Environ 4000 boîtes vocales ou messageries textes auraient ainsi été piratées.
L'argument populiste voulant que le public réclame à juste titre de tout savoir sur les puissants de ce monde et sur les vedettes qu'il a la faiblesse d'aduler en a pris pour son rhume à la suite de ces révélations. Les dérives du journalisme britannique, qui est aussi capable du meilleur, sont bien connues. Elles avaient même fait l'objet, dans les années 1990, d'une comédie de situation très drôle intitulée Drop the Dead Donkey.
Derrière toutes ces considérations qui vont du caniveau aux sphères éthérées d'une éthique qu'on n'est apparemment pas près de baliser se cachent évidemment des questions de gros sous. Rupert Murdoch possède à travers son holding News Corporation les «bouquets» de chaînes télévisées Fox et Star, en plus d'une myriade de journaux sur plusieurs continents, dont quatre (avant la fermeture du NotW) au Royaume-Uni.
Les révélations du Guardian sont survenues au moment où le magnat tentait de racheter 60 % des actions d'un autre groupe de chaînes satellitaires, BSkyB, dont il possède déjà les autres 40 %. Les autorités réglementaires britanniques se penchaient déjà sur cette transaction quand les députés de tous les partis s'apprêtaient hier à adopter une motion pour s'y opposer. Ils ont été pris de court par Murdoch, qui a décidé d'y renoncer.
Mutatis mutandis, on assiste peut-être à un «printemps britannique», comme l'a suggéré un chroniqueur économique du New York Times. Un régime de terreur est en train de s'effondrer. Pas un régime mis en place par les policiers et les politiciens comme dans le monde arabe — ils en étaient plutôt les victimes —, mais bien par les directeurs ou les propriétaires de puissants médias jaunes, qui ont la réputation de faire et de défaire les gouvernements.


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