Le CanaDa Vinci Code

Droite chrétienne et gouvernement conservateur


Le 24 mai 2006, à 7 heures 28 a.m., l’horloge de la Tour du Parlement à Ottawa s’est miraculeusement arrêtée.


Aux informations, on a annoncé qu’il faudrait 72 heures pour compléter la réparation. 7 – 2 – 8. Vous me suivez ? Non ?
On lit pourtant à Psaumes, 72:8 :
Il dominera d’une mer à l’autre, Et du fleuve aux extrémités de la terre.
C’est l’origine de la devise du Canada, et une des pièces du puzzle de l’extraordinaire montée de la droite religieuse canadienne. J’y reviens. Mais laissez moi continuer mon histoire canado-sainte :
Réunis à Londres dans les étapes finales de la rédaction de l’acte de fondation — le British North America Act — les pères de la confédération ne savaient pas, en décembre 1866, comment appeler le nouveau pays. John A Macdonald voulait l’appeler un « Royaume », car le chef d’État serait le souverain britannique. Mais les Britanniques n’étaient pas chauds à partager le vocable.

C’est le très dévot premier ministre du Nouveau-Brunswick, Samuel Leonard Tilley, qui a nommé le Canada. Enfin, pas lui, mais Dieu, à travers lui. Car ayant laissé tomber sa Bible, le livre Saint s’est ouvert sur la page du Psaulme 72:8. En anglais: « He shall have Dominion also from sea to sea from the River to the ends of the Earth ».
Le Canada devint un Dominion, sa devise D’un océan à l’autre. La rivière est bien sûr le Saint-Laurent et les extrémités de la terre, le grand nord canadien. Dieu avait tout prévu.
Pourquoi Dieu a arrêté l’horloge
L’inscription fut ciselée dans la pierre de la tour du Parlement, aussi appelée Tour de la Paix, au dessus d’une des fenêtres (en anglais, cependant). Et le 24 mai 2006, le jour de la fête de Victoria, Dieu nous envoya un signal.
Il n’était pas de bonne humeur. De toute évidence, en ayant décrit et nommé le pays, Dieu a pour le Canada un dessein spécifique, notamment dans les événements qui doivent conduire le monde à la fin des temps, l’Armageddon ou l’Apocalypse, qui est plus proche que vous ne le pensez.
Or, l’année précédente, le Canada avait tourné le dos à Dieu en légalisant le mariage gai. Un événement fondateur pour ce que décrit la journaliste Marci Macdonald dans son fascinant ouvrage (dont je puise toute la science de ce billet) The Armageddon Factor – The Rise of Christian Nationalism in Canada.
Marci et moi étions correspondants à Washington en 1985, au moment où la droite religieuse américaine commençait son ascension dans les rangs du Parti Républicain. Alors, sous Ronald Reagan, cette droite représentait une force réelle, mais non dominante. Il a fallu attendre 15 ans, et l’élection de George W Bush, lui même born-again, pour qu’elle soit une force déterminante au sein du parti et de l’administration.
Une force émergente et organisée, au Canada
Dans son ouvrage, Marci démontre avec efficacité comment la droite religieuse canadienne en est, aujourd’hui, à l’étape où elle était aux États-Unis en 1985. Comment elle a ses entrées au Parti conservateur, son champion avec Stockwell Day, l’oreille de Stephen Harper.
La théorie du Canada comme pays prédestiné à jouer un rôle pour préparer le retour du Christ sur terre peut sembler loufoque — et au moins divertissante. Mais il n’y a rien de loufoque dans l’effort patient, organisé, intense d’un mouvement qui forme une nouvelle génération d’activistes, de juristes, de politologues et d’assistants législatifs dévoués à la cause et qui les place rapidement, grâce au bras bienveillant du gouvernement Harper, dans des postes de responsabilité.
La cause, quelle cause ? Celle d’un pays chrétien, où l’éducation et les services sociaux reviendraient sous la coupe d’une église radicalisée à la sauce évangélique américaine, où les homosexuels retrouveraient le placard et les laïcs (et les chrétiens de gauche) seraient marginalisés.
Une convergence de tous les religieux conservateurs
Les juifs et les autres non chrétiens ? Les premiers sont des alliés essentiels, car Israël doit jouer un rôle central pour la conflagration qui précédera le retour du Christ. Les Sikhs, Indous et autres ont en commun avec la droite chrétienne des vues conservatrices sur un grand nombre de sujets, et les Conservateurs ont systématiquement courtisé tous les religieux conservateurs, pour retirer leurs voix aux Libéraux… avec un énorme succès. (Les musulmans sont à la fois courtisés et stigmatisés dans la vision apocalyptique actuelle. Ils sont socialement conservateurs, mais le président iranien Ahmadihejad est le nouvel Antéchrist.)
De 2004 à 2008, les Libéraux fédéraux ont perdu 19 % du vote ethnique au profit des Conservateurs, un énorme changement. De plus, pour la première fois, l’essentiel du vote catholique a voté conservateur. Et on voit avec quelle ardeur ils courtisent le vote juif. (Voir à ce sujet l’excellente analyse Anatomy of a Liberal Defeat, par Elisabeth Gidengill de McGill et mes collègues André Blais et Patrick Fournier de l’UdeM.)
The Armageddon Factor n’affirme pas que Stephen Harper est une marionnette de la droite religieuse. L’ouvrage explique comment Harper, au départ rétif, est graduellement devenu conscient de l’importance des « théo-cons » (les thé0-conservateurs) dans sa base et dans sa stratégie électorale.
En lisant l’ouvrage, on comprend mieux les tensions et les centres de gravité qui modulent les politiques du gouvernement canadien actuel. Et on assiste à l’établissement d’une infrastructure théo-conservatrice qui vise à consolider, pérenniser, puis étendre cette influence sur les leviers du pouvoir.
A lire, absolument.
Ici, une entrevue, en anglais, avec Marci Macdonald. Allez surtout à 3:25 pour une présentation des principaux acteurs dans la droite religieuse au pays.

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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