La souveraineté du Canada dans l'Arctique est-elle bien protégée? Des spécialistes canadiens assurent que non. C'est notamment le cas de Jonathan Wade, ancien fantassin et expert en géopolitique. Selon lui, le Canada est incapable d'y protéger sa souveraineté, à l'inverse des Russes, bien mieux outillés selon lui. Entrevue.
En Arctique, les enjeux économiques et géostratégiques de la fonte des glaciers risquent de reléguer des défis écologiques au second plan. Routes commerciales qui s'ouvrent, accès à de nouveaux gisements de ressources naturelles, la fonte des glaciers, ce ne sont pas que des ours blancs en voie d'extinction. Rien que pour le Canada, son immense archipel de 1.424.500 km2 et 36.563 îles représente plusieurs milliards de dollars canadiens en ressources naturelles. Une véritable mine d'or.
Plusieurs experts s'inquiètent toutefois du manque de présence du Canada dans le Grand Nord. On craint que ce pays peu peuplé (37 millions de personnes) soit incapable de protéger ce territoire exceptionnel. Ancien fantassin de l'armée canadienne, Jonathan Wade fait partie de ces critiques. Il livre son analyse à Sputnik.
«Il y a une énorme lacune dans la présence canadienne en Arctique. Les Forces armées canadiennes n'ont pas d'installation permanente leur permettant de défendre le territoire. Il serait impossible, par exemple, d'envoyer rapidement 300 personnes à une station X, Y, Z. Il n'y a pas non plus de pistes d'atterrissage et de hangars pour accueillir des avions militaires. Il n'y a rien de tout ça au Canada. […] Présentement, nous sommes incapables d'assurer la souveraineté du Canada en Arctique», a confié Jonathan Wade à Sputnik France.
Durant ses quatorze années dans les Forces armées canadiennes, M. Wade s'est rendu trois fois dans le Grand Nord. Sur le terrain, il a pu constater par lui-même la déficience du système canadien de défense. Celui qui est aussi cofondateur d'Horizons stratégiques, un think tank spécialisé en géopolitique, publiait récemment sur le site de cet organisme un texte dénonçant le manque de ressources de l'armée canadienne:
«Les militaires canadiens ont aussi un manque flagrant d'équipement afin d'assurer une meilleure autonomie dans une région comme l'Arctique. Premièrement, lors d'exercices de grande envergure, les militaires doivent se tourner vers la location de motoneiges afin de pouvoir se déplacer adéquatement sur le terrain. L'équipement arctique, quoique fonctionnel, a un urgent besoin d'être complètement modernisé», écrit-il dans son texte.
L'ancien militaire estime que le retard du Canada face à la Russie est considérable sur le plan matériel, organisationnel et technologique. Sur leur portion de territoire, les Russes disposent d'installations très modernes, alors que les Canadiens n'ont qu'une seule base permanente, celle de Resolute Bay. Dans l'Arctique canadien, 5.000 patrouilleurs sont chargés de protéger 1.424.500 km2 de territoire.
«Les brise-glaces sont brisés, ils sont en mauvais état. Le Canada essaie de se reprendre en main, par contre, c'est extrêmement difficile. Le passage du nord-ouest, qui est très important, est ouvert par des brise-glaces américains venant de l'Alaska.
La seule présence militaire du Canada est assurée par les Rangers, qui sont des Autochtones des Premières Nations. Leur rôle est d'être les yeux et les oreilles de l'armée dans le Nord. On ne parle que de 5.000 Rangers pour couvrir l'entièreté du Nord canadien», a déploré l'ancien fantassin en entrevue.
Le Canada n'assure donc presque aucune présence militaire dans la région. En l'absence de moyens nécessaires, le Canada s'appuie plutôt sur les États-Unis pour protéger son territoire.
«Le NORAD [le Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, ndlr] empêche le Canada de se prendre en main. On se fie beaucoup sur les capacités américaines qui sont présentes en Alaska et sur la côte ouest-américaine afin de défendre la souveraineté du continent. Le continent englobe évidemment le Grand Nord canadien», a-t-il précisé.
Tout récemment, le coprésident canadien de la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis, John McKay, a prévenu que le Canada pourrait perdre une partie de sa souveraineté dans la région. M. McKay dit craindre que la Russie ne prépare une action contre le Canada. Pourtant, M. Wade remarque que «la Russie ne prend pas une posture offensive en Arctique». Les Russes s'emploient plutôt activement à protéger leur propre territoire, ce qu'il estime légitime.
«Les déploiements qui sont faits par les Russes visent à protéger leur propre territoire. Les infrastructures qu'ils mettent en place pourraient surtout servir en cas d'une attaque contre la Russie […] C'est axé sur une posture défensive», a mentionné l'expert en entrevue.
Jonathan Wade déplore enfin l'existence d'une certaine «rhétorique antirusse» au Canada. Une rhétorique qu'il ne juge pas constructive d'un point de vue géopolitique.
«Le Canada est encore un peu ancré dans la mentalité de la Guerre froide. La majorité des baby-boomers qui ont vécu ce conflit sont encore présents dans le milieu politique», a-t-il souligné.
La Guerre froide est officiellement terminée depuis 1991. En revanche, le réchauffement climatique —et ses conséquences sur le Grand Nord-est un enjeu de plus en plus important pour le Canada.