Le bout du chemin

À force de tergiverser sur notre avenir, il finira par ne nous rester qu'un passé

Consultez notre dossier Internet complet sur René Lévesque
Fred Pellerin a terminé l’hommage à René Lévesque qu’il a transmis au Devoir par les mots suivants : « Et nous sommes toujours en chemin… » Vingt-cinq ans après la mort du père fondateur du Parti québécois, on n’en voit toujours pas le bout.
Il l’avait bien dit dans ses mémoires : « Ce qui restera vrai, cependant, c’est que l’idée de l’indépendance a besoin d’apprendre à patienter, à durer jusqu’au jour où elle reposera non plus sur un mouvement, si vaste soit-il, mais carrément sur un peuple. »
M. Lévesque citait lui-même Pierre Vadeboncoeur, qui écrivait en 1984, au moment où le PQ était menacé d’éclatement par le « beau risque » qu’il lui proposait : « L’indépendantisme ne doit pas tuer l’indépendance […] Il ne doit pas devenir une politique imaginaire empêchant toute politique réelle. Autrement, que restera-t-il de nous, vraiment ? »
Après un quart de siècle, ces remarques sont toujours d’actualité. La courte victoire péquiste du 4 septembre dernier a eu pour effet de mettre temporairement en veilleuse le débat entre les impatients et ceux qui sont moins pressés, mais il reprendra inévitablement au lendemain des prochaines élections, que le PQ obtienne une majorité parlementaire ou qu’il soit renvoyé dans l’opposition.
***
Après le coup de force constitutionnel de 1982, le « beau risque » a été perçu comme une véritable trahison de la cause souverainiste. Force est toutefois de reconnaître que la majorité des Québécois ne s’étaient pas plus indignés de la forfaiture de Pierre Elliott Trudeau qu’ils n’ont réagi à l’adoption de la Loi sur la clarté dix-huit ans plus tard.
M. Lévesque avait exposé ses raisons très clairement dans une entrevue publiée l’année de sa mort dans la revue française Toudi. « Il ne fallait à aucun prix recommencer… à tout recommencer, proprement enquiquiner les gens avec une question qui, pour l’heure, n’était plus leur souci majeur. En un mot, il fallait éviter de se faire balayer de la carte, éliminer. Mais l’idée de souveraineté, je ne l’ai jamais abandonnée. »
Il avait même laissé un cadeau d’adieu empoisonné au camp fédéraliste. L’accord du lac Meech était contenu en germe dans le « Projet d’accord constitutionnel » qu’il avait transmis à Brian Mulroney tout juste avant sa démission.
Certes, la reconnaissance du « peuple québécois » a été remplacée par celle de la « société distincte », et les « conditions » de l’adhésion du Québec à la Constitution canadienne ont été diluées, mais les deux textes prévoyaient une nouvelle ronde de négociations pour revoir le partage des pouvoirs.
M. Lévesque savait très bien que, peu importe l’identité de son successeur, le PQ était voué à retourner dans l’opposition. Un autre que Robert Bourassa n’aurait peut-être pas réactivé le dossier constitutionnel, d’autant moins que l’opinion publique ne le réclamait aucunement, bien au contraire. M. Lévesque connaissait cependant son ancien collègue suffisamment bien pour se douter qu’il s’en sentirait l’obligation.
***
« L’indépendance a besoin d’apprendre à patienter… » C’est le principe qui sous-tend la stratégie du PQ, y compris la « gouvernance souverainiste » de Pauline Marois, depuis l’échec de 1995. La formule du « référendum le plus tôt possible à l’intérieur du prochain mandat », officiellement inscrite dans le programme entre juin 2005 et avril 2011, n’a jamais été autre chose qu’un voeu pieux imposé par la gestion interne du parti.
Les données du recensement de 2011 rappellent toutefois cet autre avertissement qu’avait lancé M. Lévesque : « Si, d’ici à l’an 2000, le Québec n’a pas accédé à l’indépendance, nos chances diminueront pour des raisons démographiques, sociales et économiques. »
La déclaration de Jacques Parizeau à propos des votes ethniques était sans doute maladroite au plan politique, mais elle n’en était pas moins juste. Tous les sondages effectués depuis 1995 confirment que les non-francophones demeurent catégoriquement opposés à la souveraineté, et ils représentent une part grandissante de l’électorat.
La nécessité de contrer les effets du recul du français à Montréal, qui se manifeste maintenant dans ses banlieues, illustre très bien l’opposition entre « politique imaginaire » et « politique réelle » qu’évoquait Pierre Vadeboncoeur.
La souveraineté serait sans doute l’amendement à la Charte de la langue française le plus efficace, mais chacun sait que le mieux est l’ennemi du bien. Vu l’urgence d’agir, ne vaut-il pas mieux utiliser les pouvoirs dont dispose un « bon gouvernement » provincial plutôt que de tout miser sur un hypothétique référendum gagnant ?
Pour paraphraser M. Vadeboncoeur, que restera-t-il de nous, vraiment, si la bataille de la langue est perdue ? Qu’y aurait-il au bout du chemin de Fred Pellerin ?


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->