Afin de dissiper le moindre doute sur la pertinence du Bloc Québécois, rien de mieux que d'examiner une période de notre histoire où son absence s'est cruellement fait sentir. En regroupant des fragments de certaines biographies et grâce aussi à Wikipedia, il est possible de suivre l'évolution de la pensée des indépendantistes à l'égard des élections fédérales. Et évolution est un terme poli tant les incohérences sont nombreuses.
En s'engageant dans la lutte pour l'indépendance du Québec, le premier devoir des précurseurs était de s'instruire de ce qu'ont fait d'autres peuples dans la même situation. Le Mahatma Gandhi l'avait fait et avait étudié entre autre les événements de 1837-38 survenus dans notre pays. Mais nos dirigeants, eux, l'avaient-ils fait?
Le Rassemblement pour l'Indépendance Nationale (RIN) fut officiellement créé le 10 septembre 1960. D'abord mouvement citoyen, il se transformera en parti politique afin de présenter des candidats aux élections générales québécoises du 5 juin 1966. Cette transformation ne fut toutefois pas harmonieuse.
Le RIN présenta 73 candidats dans les 108 circonscriptions et recueilli 5,55% des voix. Le Ralliement Nationale (RN), autre parti indépendantiste né de dissensions au sein du RIN, recueilli pour sa part 3,21% des voix avec 90 candidats. Ensemble ces deux partis recueillirent donc 8,76% du suffrage soit environ 204 000 voix. Impressionnant pour une première tentative! Mais plus spectaculaire encore en furent les conséquences. Bien que n'ayant pas réussi à faire élire un seul candidat, il est reconnu que les votes indépendantistes furent arrachés au Parti Libéral de Jean Lesage et contribuèrent à sa défaite au main de l'Union Nationale dirigée par Daniel Johnson. Une toute première participation au processus électoral et l'histoire s'en trouva basculée! Que de leçons à en tirer!
Presqu'au même moment au Royaume-Uni, le Plaid Cymru Party of Wales (parti indépendantiste gallois), né en 1925, faisait élire un premier candidat au parlement de Westminster. L'année suivante, le Scottish National Party (parti indépendantiste écossais), né en 1934, faisait lui aussi élire un premier candidat à ce même parlement à la faveur d'une élection partielle. Ces deux événements, s'ils sont passés inaperçus au Québec, ne pouvaient pas avoir échappé à l'attention d'un journaliste chevronné tel que René Levesque et auraient dû servir d'inspiration.
Après avoir été élu chef du Parti Libéral du Canada (PLC) le 6 avril 1968, Pierre Elliott Trudeau devient officiellement premier ministre du Canada le 20 avril. Connu pour son antipathie à l'égard du mouvement indépendantiste, il déclenche rapidement des élections pour le 25 juin. Or la société Saint-Jean-Baptiste de Montréal a malencontreusement invité P. E. Trudeau à son traditionnel défilé du 24 juin, en pleine campagne électorale, ce qui lui assure une visibilité que n'auront pas les autres chefs de parti.
Indigné, Pierre Bourgault, chef du RIN, décide d'organiser une manifestation pour protester contre la présence du premier ministre canadien lors de la parade. Mal lui en prend, il est rapidement arrêté et la manifestation tourne à l'émeute. Grâce à sa bravade face aux émeutiers, captée par les caméras de télévision, P. E. Trudeau est réélu premier ministre mais cette fois à la tête d'un gouvernement majoritaire. Comment pouvait-il en être autrement puisque les indépendantistes ne lui avaient pas présenté d'opposants lors de ces élections.
Pierre Bourgault et André D'Allemagne, autre membre influent du RIN, préconisaient plutôt l'abstention ou l'annulation des votes. René Levesque, chef du nouvellement créé Mouvement Souveraineté-Association (MSA), préférait quant à lui appuyer le NPD dirigé au Québec par Robert Cliche. Le docteur Jacques Ferron avait pour sa part créé le Parti Rhinocéros dans le but de canaliser le vote indépendantiste et de se moquer du parlement canadien. Autant d'indépendantistes, autant de stratégies! A l'évidence, il aurait fallu présenter des candidats indépendantistes comme le faisaient déjà les Gallois et les Écossais au Royaume-Uni.
Le 29 avril 1970, à sa première participation aux élections générales du Québec et sous la direction de René Levesque, le Parti Québécois (PQ), né de la fusion du MSA et du RN en 1968, recueille 23,06% des voix même s'il ne fait élire que 7 députés. En seulement quatre ans le mouvement indépendantiste passe donc de 204 000 à 662 400 voix. C'est une progression remarquable et ces chiffres s'avèrent important pour la suite des choses.
En octobre 1970, deux commandos du Front de Libération du Québec (FLQ), dirigés respectivement par Jacques Lanctot et Paul Rose vont successivement enlever James Richard Cross, attaché commercial au consulat britannique, et Pierre Laporte, ministre québécois du travail et de l'immigration. Ironie du sort, Lanctot et Rose ont fait connaissance dans un "panier à salade" de la police après leur arrestation lors de l'émeute du 24 juin 1968! Pierre Laporte connaîtra une fin horrible aux mains de ses ravisseurs.
Mais cette mort tragique ne doit pas occulter le fait que près de 500 personnes ont été détenues sans mandat et que plus de 3000 perquisitions ont été effectuées chez des militants progressistes et surtout indépendantistes. A la faveur de la loi sur les mesures de guerre, les droits et libertés ont été suspendus au Canada. Bien que le vote au parlement canadien n'était que symbolique car n'étant pas requis pour la promulgation de ladite loi, aucun député du Québec ne s'opposa à un tel abus de pouvoir.
Seul Tommy Douglas, chef du Nouveau Parti Démocratique (NPD) et 15 de ses 21 députés s'y opposèrent. Certains affirment même que cette prise de position courageuse de Tommy Douglas lui coûtera son poste de chef et conduira à son remplacement par David Lewis l'année suivante.
Quoi qu'il en soit, ces arrestations et perquisitions conduiront de nombreux militants indépendantistes à quitter leurs fonctions au PQ et on estime que 40 circonscriptions se sont retrouvées sans organisations. Nul doute que c'était bien l'objectif visé par le déploiement de l'armée au Québec. Le chef de l'escouade anti-terroriste de la police de Montréal, Julien Giguère, admettra candidement 40 ans plus tard que "les suspects, on ne les arrêtait pas, on les suivait", confirmant ainsi que la loi des mesures de guerre visait le mouvement indépendantiste et non le FLQ.
Voilà donc ce dont était capable Pierre Elliott Trudeau et qui aurait dû mobiliser les indépendantistes pour le faire battre aux élections suivantes. Malheureusement, seul un petit groupe d'indépendantistes envisagera cette voie dont l'avocat Guy Bertrand qui fera même enregistrer Bloc Québécois (!) à titre de nom du parti fédéral auprès des autorités compétentes. René Levesque, quant à lui, était réfractaire à cette idée.
Le 30 octobre 1972, il y a de nouvelles élections générales au Canada et contre toute attente, le PLC ne fait élire que deux députés de plus que les Progressistes Conservateurs (PC) dirigés par Robert Stanfield formant ainsi un gouvernement minoritaire. C'est donc dire qu'il aurait suffi d'arracher trois comtés aux libéraux fédéraux pour chasser Trudeau du pouvoir. Quelle occasion manquée!
Examinons en détail les résultats de ce scrutin pour s'en convaincre. Les données des élections générales fédérales ne fournissant pas le nombre de votes par province mais uniquement les pourcentages par parti, c'est le nombre d'électeurs inscrits au scrutin précédent et suivant de la province de Québec qui permettront de chiffrer le nombre de votes par parti, par interpolation et avec le taux de participation et le pourcentage attribué à chaque parti. Cette méthodologie sera employée jusqu'au scrutin de 1980. Même si ce n'est pas rigoureusement exact, le résultat est assez fiable.
Ainsi le PLC fait elire 109 députés à l'échelle nationale avec 38,4% des voix, les PC 107 députés avec 35% des voix et le NPD 31 députés. Au Québec, c'est 56 députés sur 74 que le PLC obtient avec 48,9% du suffrage et 1 320 000 voix. Le Ralliement Créditiste dirigé par Réal Caouette fait élire 15 députés avec 24,3% du suffrage, soit 655 000 voix. Le taux de participation n'est que de 76% plutôt que 84% en avril 1970, 220 000 personnes de moins ont donc exercé leur droit de vote.
Le PQ avait récolté 662 400 votes en 1970 et en interpolant ses résultats avec ceux de 1973, il est estimé que c'est 820 000 votes qui étaient disponibles pour un parti indépendantiste sur la scène fédérale, largement suffisant pour ébranler le PLC de Trudeau. Mais René Levesque a plutôt mené une "non-campagne", c'est à dire que lui et des ténors du PQ ont tenu des assemblées publiques mais sans donner de directives claires à leurs supporters, alors qu'il y avait possibilité de faire battre le pire adversaire du mouvement indépendantiste!
Arriveront ensuite les élections générales du Québec le 29 octobre 1973. Malgré que le PQ augmente son pourcentage de voix de 23 à 30%, il fait élire un député de moins qu'en 1970! Le Parti Libéral du Québec (PLQ) dirigé par Robert Bourassa conservera donc le pouvoir remportant 102 des 110 sièges avec 54,65% du suffrage!
René Levesque, Jacques Parizeau et Yves Michaud vont créer le journal quotidien "Le Jour" dans les mois suivants mais il n'est toujours pas question de présenter des candidats indépendantistes sur la scène fédérale.
Des élections fédérales vont pourtant se tenir le 8 juillet 1974 mais cette fois la directive sera claire et le mot d'ordre est: "Le 8 juillet, moi j'annule!" Et il semble avoir été suivi car le taux de participation chute de 8 points à 68%. Mais le PLC de Trudeau redevient majoritaire et au Québec il rafle 60 sièges sur les 74 avec 54% du suffrage, soit 1 390 000 voix. Suivant la même méthodologie, le mouvement indépendantiste aurait pourtant disposé de 935 000 voix, de quoi gruger plusieurs sièges!
Puis ce seront les élections générales québécoises du 15 novembre 1976, remportées par le PQ de René Levesque, formant ainsi le premier gouvernement indépendantiste de l'histoire. Dans les mois précédents, Trudeau avait pourtant affirmé que le séparatisme était mort! La stratégie de René Levesque consiste à tenir un référendum puis à négocier d'égal à égal avec Ottawa la souveraineté et une entente de partenariat. Suivant cette logique, la question de la légitimité de celui qui va négocier au nom du Canada aurait dû se poser. Le Québec ne pouvant pas négocier avec un gouvernement canadien dont le premier ministre et la plupart de ses députés proviennent du territoire réclamant sa souveraineté. Même le reste du Canada ne l'aurait pas accepté.
Ce détail important n'a pas échappé à l'attention de certains militants éclairés et ceux-ci présenteront des candidats indépendantistes aux élections canadiennes suivantes le 22 mai 1979. Ils formeront ainsi l'Union Populaire mais toujours sans l'appui du Parti Québécois et de René Levesque. Et sans cet appui, ils n'obtiendront qu'un résultat dérisoire, inférieur au Parti Rhinocéros, à peine 0,6% du suffrage et 19 500 voix.
Pourtant un parti indépendantiste fédéral s'avère de plus en plus nécessaire car le PLC de Trudeau accroît sans cesse son emprise sur le Québec, récoltant cette fois-ci 67 des 75 sièges avec 61,7% du suffrage, soit 2 000 000 de voix. Et le mouvement indépendantiste avait encore une fois la possibilité de lui opposer 1 400 000 voix! Seul Roch Lasalle du Parti Progressiste Conservateur (PPC) résiste à la vague ainsi que 6 des 15 députés du Ralliement Créditiste (RC) dirigé par Fabien Roy.
C'est néanmoins Joe Clark, nouvellement choisi chef du PPC, qui sera élu premier ministre du Canada avec 136 députés contre les 114 du PLC, même s'il a reçu 4 points de pourcentage de moins que Trudeau avec 36% du suffrage! Avec les 6 députés du RC, Joe Clark aurait pu gouverner le temps que le Québec tienne son référendum sur la souveraineté-association. Trudeau va annoncer son retrait de la vie politique à l'automne. Mais René Levesque affirme qu'il ne veut pas profiter de l'instabilité du gouvernement fédéral pour tenir son référendum. Grave erreur!
Le gouvernement conservateur est défait sur le budget en décembre 1979, plongeant à nouveau le Canada dans des élections générales pour le 18 février 1980. P. E. Trudeau est rappelé à la barre du PLC et celui-ci reprend le pouvoir de façon majoritaire, raflant tous les sièges du Québec à l'exception de un, celui de Roch Lasalle. C'est encore 2 000 000 de votes qu'il engrange au Québec et c'est de très mauvais augure pour le référendum qui va avoir lieu le 20 mai suivant.
Trudeau va s'imposer comme le chef du camp fédéraliste lors de la campagne référendaire, bafouant du même coup la loi québécoise sur les consultations populaires et promettant de mettre ses sièges en jeu dans le but de réaliser des changements à la constitution canadienne. On connaît la suite. Au soir du référendum, le non l'emporte avec 2 187 991 voix, soit 59,6% du suffrage contre 1 485 851 voix pour le oui.
A posteriori, il est troublant de constater que le mouvement indépendantiste n'a même pas progressé de 100 000 voix depuis l'élection du Parti Québécois quatre ans plus tôt, marquant pour la première de son histoire une stagnation de son évolution.
Le PQ de René Levesque sera réélu le 13 avril 1981, remportant sa plus grande victoire avec 1 773 237 voix et 49,6% du suffrage. Les réjouissances seront toutefois de courte durée. S'engageant à ne pas tenir de référendum au cours du prochain mandat, René Levesque se fera imposer un rapatriement unilatérale de la constitution canadienne par Trudeau. Jumelé à une grave crise économique, ce sera une période sombre de l'histoire du Québec.
Les militants péquistes, le coeur brisé, vont faire adopter des positions qui ne conviennent pas à René Levesque lors du congrès de décembre 1981. Il menace de démissionner si les membres du parti ne défont pas ces positions. Lors d'une consultation auprès des membres, surnommé le Renérendum, Levesque gagne son point mais perd des milliers de membres. En juin 1984 lors d'un congrès, les militants réitèrent qu'un vote pour le PQ sera un vote pour l'indépendance. Marcel Léger, député du Parti Québécois, prépare un parti sur la scène fédérale pour défaire les libéraux dont le chef, Pierre Elliott Trudeau, vient de démissionner. Mais en juillet une entente secrète est scellée entre l'entourage de René Levesque et le PPC, dirigé cette fois-ci par le québécois Brian Mulroney, pour que le Parti Québécois appuie officieusement les conservateurs au prochain scrutin.
Lors des élections fédérales du 4 septembre 1984, le Parti Nationaliste du Québec dirigé par Denis Monière n'obtiendra que 2,5% du suffrage avec 85 865 voix, sans un véritable appui du Parti Québécois. Les conservateurs de Mulroney formeront un gouvernement majoritaire au Canada et obtiendront 50,2% du suffrage et 58 des 75 sièges du Québec. Le PQ traversera la pire crise de son histoire au nom du beau risque que constitue l'élection d'un gouvernement conservateur à Ottawa. La cause de l'indépendance sera mise en veilleuse pendant plus de trois ans, pratiquement jusqu'au décès de René Levesque, le 1er novembre 1987.
En conclusion, plus cruelle encore que l'absence du Bloc Québécois au cours de cette période de grande effervescence de notre histoire aura été l'absence de stratèges dignes de ce nom au sein du mouvement indépendantiste.
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2 commentaires
Marcel Haché Répondre
8 septembre 2015Erreurs et incohérences, dites-vous, François Chartier ? Oui et non. Le mouvement indépendantiste québécois y serait venu rapidement à ce « Bloc québécois », et cela dès les années70, bien avant l’humiliation de Meech, si tout le mouvement indépendantiste n’avait pas été mis en orbite de l’idée de tenir un référendum.
Voyez le parcours qui a mené au cul-de-sac dans lequel se trouve maintenant le mouvement indépendantiste : c’est cette proposition de tenir éventuellement un référendum qui avait permis au P.Q. de se faire élire une première fois, dès 1976, alors que c’est l’inverse qui s’est produit avec un gouvernement péquiste déjà en place, quoi que minoritaire, le gouvernement Marois.
Une simple accusation, une basse accusation, celle que le P.Q. comptait tenir un autre référendum si le gouvernement Marois était réélu, cette simple accusation a fait perdre le pouvoir politique à un parti déjà au pouvoir, et qui n’a pas su répondre adéquatement à une attaque finalement assez faiblarde. C’est le « référendisme » qui fut la première et la grande erreur historique du mouvement indépendantiste québécois.
Plusieurs parmi nous rêvent d’un prochain référendum, alors pourtant que Nous sommes excédés à cette détestable perspective. Voilà comment notre Cause s’est retrouvée dans un cul-de-sac. On jase, là.
Archives de Vigile Répondre
7 septembre 2015Belle analyse même si on ne peut refaire l'histoire, François. Effectivement, les indépendantistes ont sûrement manqué leur coup en n'occupant pas la scène fédérale comme le fera le Bloc plus tard.