Laval - Cadeau de départ de 800 000 $ à l’ex-maire Lefebvre

Des mafieux s’étaient joints à des hommes d’affaires pour ouvrir la porte à Gilles Vaillancourt

Corruption généralisée


Des membres de la mafia montréalaise se sont joints à des hommes d’affaires, en 1989, pour ouvrir la porte de la mairie à Gilles Vaillancourt. «L’establisment d’affaires» souhaitait un changement de garde et aurait vu en M. Vaillancourt un successeur qui s’annonçait sensible à l’essor économique lavallois.
Un groupe de gens d’affaires aurait remis en 1989 une bourse de quelque 800 000 $ à l’ex-maire de Laval Claude Lefebvre, pour souligner son départ de la politique et ainsi accueillir l’étoile montante d’alors qu’était Gilles Vaillancourt. Deux des invités à l’événement ont confirmé au Devoir que la participation financière des entrepreneurs, avocats, ingénieurs et autres professionnels présents s’élevait à 10 000 $ chacun.
Parmi les invités se trouvaient au moins deux membres de la mafia montréalaise, Francesco Del Balso et Frank Arcadi, selon une source qui a requis l’anonymat. « Le gars Del Balso fittait pas dans le décor. C’est la première fois que je le voyais », a affirmé la source.
Les deux hommes purgent une peine de prison à la suite de l’opération Colisée. Leur nom a surgi jeudi à la commission Charbonneau dans le cadre du témoignage d’un entrepreneur de Québec, Martin Carrier.
Ce dernier a raconté à la commission Charbonneau les menaces dont il a été l’objet de 2004 jusqu’à l’année dernière. M. Carrier a notamment reçu des appels intimidants d’un homme identifié par la suite par l’enquêteur Éric Vecchio comme étant Francesco Del Balso. Ce dernier est un fier-à-bras de la « cellule forte » dirigée par Frank Arcadi relevant directement du clan Rizzuto, a expliqué le policier.
MM. Del Balso et Arcadi auraient été présents au party de Claude Lefebvre, qui nie, par ailleurs, avoir reçu de l’argent. Environ 80 personnes étaient réunies autour du maire Lefebvre, relatent deux des invités. Selon eux, c’est principalement la communauté d’affaires de Laval qui a participé à l’événement qui s’est déroulé à Boca Raton, en Floride.

Une fête annonçant une démission
Claude Lefebvre terminait alors son deuxième mandat comme maire de Laval. « L’establisment d’affaires » souhaitait un changement de garde et voyait en Gilles Vaillancourt un successeur qui s’annonçait sensible à l’essor économique lavallois, raconte un homme d’affaires présent à l’événement. « C’était organisé pour donner une bourse à Claude Lefebvre. J’ai payé 10 000 $», raconte cet homme, qui précise qu’il s’agissait d’argent comptant. « Tous les gros bureaux d’ingénieurs et d’avocats étaient là et tout ce qui compte pour vrai du côté des entrepreneurs », précise-t-il.
Un autre participant a confirmé que lors « des cocktails comme ceux-là », « un monde d’hommes », l’argent coulait à flots. « Ça se faisait dans une ambiance amicale », raconte cette personne.
Claude Lefebvre confirme la tenue de cette « fête ». Selon lui, il n’y avait toutefois qu’une quarantaine de personnes, dont des entrepreneurs et des ingénieurs qu’il refuse d’identifier. De toute façon, il n’avait pas de relation privilégiée avec ces hommes d’affaires, indique-t-il. Comment expliquer alors que ces personnes aient pris l’avion, payé un hôtel pour une fête de quelques heures ? Quel avantage pouvaient-ils espérer en retirer ? a demandé Le Devoir. M. Lefebvre dit l’ignorer, supposant tout au plus que ses fonctions de maire avaient suffi à les attirer.
« C’est à cette occasion que j’ai annoncé que je ne me représentais plus à la mairie », précise M. Lefebvre. Ce n’est que quelques semaines plus tard, le 3 mai 1989, que M. Lefebvre convoqua la presse pour annoncer sa démission en invoquant des raisons de santé. Gilles Vaillancourt, qui siégeait alors au comité exécutif, a pris le relais jusqu’à l’élection de novembre, qui le confirma dans ses nouvelles fonctions. Vingt-trois ans plus tard, Gilles Vaillancourt a remis sa démission, qui a été teintée par des soupçons de corruption.
Lors de son départ, le maire Lefebvre a bénéficié d’une indemnité de 60 000 $ payée par la Ville de Laval, ce qui n’a toutefois rien à voir avec la bourse offerte par les gens d’affaires. Claude Lefebvre nie d’ailleurs avoir reçu une somme d’environ 800 000 $ lors du party de Boca Raton. « Qui sont les esprits tordus qui inventent ça ? J’ai seulement reçu un cellier d’une valeur de 300 $», soutient-il.
La réponse de M. Lefebvre soulève toutefois bien des questions. Ainsi, comment ces gens d’affaires que M. Lefebvre ne fréquentait pas ont-ils pu savoir qu’il quittait ses fonctions et qu’ainsi, il leur fallait faire un voyage jusqu’en Floride pour lui offrir un cellier ?
Cotisations annuelles
La semaine dernière, Le Devoir révélait qu’un professionnel de Laval avait versé à deux reprises, au début des années 1980, 15 000 $ comptant à Claude Lefebvre pour assurer une place privilégiée à son entreprise dans l’octroi des contrats municipaux. Par la suite, M. Lefebvre aurait dirigé ce professionnel vers son homme de confiance.
« C’est de la foutaise », s’était alors emporté Claude Lefebvre. « Qu’est-ce que c’est que ces histoires-là de bagman ? », a-t-il ajouté.
Le même professionnel avait expliqué au Devoir que cette façon de faire s’était poursuivie sous le règne de Gilles Vaillancourt. Chaque année, il versait ainsi une « cotisation » de 15 000 $, une condition pour avoir accès au lucratif marché des contrats de la Ville de Laval. À deux reprises, il affirme avoir versé l’argent comptant directement au maire Vaillancourt, dans son bureau de l’hôtel de ville, et en présence d’un témoin. Ce dernier corrobore les faits. « Ça se faisait en toute simplicité », a dit cette personne sous le couvert de l’anonymat.
La veille de sa démission, Gilles Vaillancourt affirmait par communiqué qu’il ne s’était jamais impliqué dans l’octroi ou la réalisation d’un contrat et « n’avoir jamais reçu d’argent de la part d’un entrepreneur ».


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