François Legault a jeté son dévolu sur son ministre de choc Simon Jolin-Barrette pour prendre à bras-le-corps l’enjeu de la langue française au Québec, signe que son gouvernement prendrait cette question au sérieux.
C’est un ministre « capable », selon le mot qui circule dans son entourage, ce qui n’apparaît guère charitable pour Nathalie Roy, la ministre de la Culture et des Communications, qui assumait jusqu’à maintenant la responsabilité de la promotion de la langue française. Mais pour un gouvernement qui se targue de carburer aux résultats, cette nomination évitera, nous l’espérons, bien des tâtonnements oiseux.
Le moment choisi pour annoncer ce mini-remaniement n’est pas anodin puisqu’il coïncide avec le caucus pré-sessionnel du Parti québécois qui, dans une tentative de recentrage autour de sa « marche pour l’indépendance », veut faire de la langue française son sujet de prédilection cet automne. Le PQ a fait sept propositions valables en soi dont certaines, n’en doutons pas, seront reprises à son profit par le gouvernement Legault. C’est ce qu’on appelle se faire couper l’herbe sous le pied.
Le chef de l’opposition péquiste, Pascal Bérubé, a qualifié de grave erreur le fait d’enlever à la ministre de la Culture la responsabilité de la langue française, langue et culture étant intimement liée, pour la confier au titulaire du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (nouvelle appellation du ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion). Nous ne sommes pas d’accord. L’avenir de la langue française au Québec repose sur l’adoption par la très grande majorité des immigrants de la langue commune, tant au travail que dans l’espace public. À l’heure actuelle, on estime qu’environ 30 % des immigrants choisissent de vivre essentiellement en anglais et un plus grand pourcentage encore travaille surtout en anglais sur l’île de Montréal. Pour maintenir ce qu’on appelle l’équilibre linguistique, tel qu’il existe présentement, il faudrait réduire cette proportion de moitié. C’est toute une commande.
À la FTQ, où on s’occupe de la francisation des entreprises, on note depuis une dizaine d’années l’émergence de deux phénomènes qui compliquent l’intégration en français des immigrants. Le premier, c’est que de plus en plus de nouveaux arrivants, qui, auparavant, ne parlaient que leur langue maternelle, ont une connaissance à tout le moins élémentaire de l’anglais, ce qui leur permet de se débrouiller dans cette langue. Le deuxième, c’est qu’avec les nouveaux moyens de communication, il leur est facile de rester en contact avec la culture de leur pays d’origine. Ce n’est pas un mal en soi, mais leur intégration peut leur apparaître moins pressante.
Le gouvernement Legault a annoncé diverses mesures pour favoriser la francisation des nouveaux arrivants, ce qui s’imposait. Le rapport de la députée Claire Samson sur la langue préconisait de rendre obligatoires les cours de français pour les immigrants, comme cela se fait pour la langue officielle dans plusieurs pays européens. Le gouvernement caquiste veut plutôt leur imposer un test de français trois ans après leur arrivée, test qu’ils devront réussir s’ils entendent conserver leur résidence permanente. Le problème avec cette formule, c’est qu’il est plus qu’improbable que le gouvernement fédéral, quel que soit le parti au pouvoir, accepte de toucher au statut des résidents permanents, statut qui confère des droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Les négociations en ce sens entre Québec et Ottawa ont d’ailleurs achoppé. Il va falloir que Simon Jolin-Barrette trouve autre chose.
Aussi, le gouvernement caquiste n’aura d’autres choix que d’accorder une attention particulière à la sélection des immigrants qui, selon leur provenance et selon qu’ils sont francotropes ou anglotropes, ont une capacité variable d’intégrer en français la société québécoise.
Enfin, il doit agir sur la langue de travail dans les entreprises de 25 à 49 employés. Ce n’est pas simple compte tenu de leur nombre, d’autant plus qu’il ne faut pas soumettre la majorité d’entre elles, dont la langue de travail est le français, à des contraintes bureaucratiques inutiles. Procéder par secteur dans la grande région de Montréal, comme le suggérait Claire Samson, est une voie à envisager. Mais recourir à des mesures incitatives n’est pas suffisant.
Pour la première fois, François Legault s’est montré ouvert à modifier la loi 101. Même le chef de l’opposition officielle, Pierre Arcand, étonnamment, a montré pareille ouverture, bien qu’on puisse douter de sa réelle volonté et surtout de celle de son parti. L’heure n’est plus au jovialisme ni aux demi-mesures, car il s’agit de renverser une tendance lourde, inexorable, qui nous mène au déclin du Québec français.