La syndicalisation stagne au Québec

Les leaders syndicaux se concentrent sur les PME, le secteur des services et l'industrie manufacturière

17. Actualité archives 2007


par Hugo Joncas
" Ah, bonjour, M. Parizeau ! " s'exclame Henri Massé. Son cellulaire a interrompu notre entrevue. " On voulait vous inviter à notre conseil général... " Le président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) se retire dans une pièce contiguë à son immense bureau, au treizième étage de l'édifice du siège social de la centrale, boulevard Crémazie.
Cinq minutes plus tard, il se justifie : " C'était Jacques. Ça m'arrive encore souvent de lui parler, dit-il. J'aime bien sa vision de l'intervention de l'État. C'est un bonhomme qui a une bonne conception de l'économie. "
L'ancien premier ministre a accepté l'invitation de la FTQ : il sera au prochain conseil général.
Telle est l'importance des syndicats dans la province. Un ancien premier ministre péquiste discute régulièrement avec le numéro un de la plus importante centrale. Raymond Bachand, ministre libéral du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, est issu du Fonds de solidarité de la FTQ, dont il a été pdg pendant quatre ans.
Léopold Beaulieu, pdg du Fonds de développement de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) pour la coopération et l'emploi (Fondaction), est vice-président du conseil d'administration d'Investissement Québec.
Pour les politiciens comme pour les financiers du gouvernement, les syndicats sont incontournables au Québec. N'empêche : le taux de syndicalisation - le taux de travailleurs détenant une carte de membre d'un syndicat - stagne au Québec. Entre 1981 et 2004, il est passé de 44,2 à 37,4 %. Quant au taux de présence syndicale - le taux de travailleurs dont le contrat de travail est déterminé par une convention collective - il se maintient depuis 1997 autour de 40 %.
Le Québec n'en est pas moins le territoire le plus syndiqué d'Amérique du Nord... après Terre-Neuve. Son taux de syndicalisation est de 37,4 %. Il est de 39,1 % à Terre-Neuve et de 30,6 % dans l'ensemble du Canada. Aux États-Unis, le portrait est tout autre. Le taux de présence syndicale y est de 13,7 %. Il diminue sans cesse depuis 1997, alors qu'il était de 15,6 %.
Mauvaise répartition
À la FTQ, M. Massé voudrait bien que le taux de syndicalisation au Québec se remette à monter. " Je rêve du jour où le Québec sera syndiqué à 50 %, dit-il. Mais juste de maintenir le taux à 40 %, c'est déjà un exploit : aux États-Unis, ça a dégringolé ! "
Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, est du même avis. " Au moins, ici, le taux de syndicalisation est stable, dit-elle. Le problème majeur, c'est que c'est mal réparti. " En 2005, 81 % des employés du secteur public étaient syndiqués, contre le tiers des travailleurs dans le privé.
Les deux leaders ouvriers s'accordent pour dire que le Québec traverse une période de paix sociale artificielle, causée par un contexte difficile.
" La mondialisation exacerbe la nécessité d'être compétitif, dit Mme Carbonneau. Je suis convaincue que ça a un impact sur le recours aux conflits de travail. Le premier impératif pour déclencher une grève, c'est d'avoir un espoir de gagner quelque chose ! "
Selon les données du ministère du Travail du Québec, seulement 28 conflits de travail ont été déclenchés en 2006, comparativement à une centaine par an habituellement.
Pour l'instant, les syndicats concentrent leurs efforts sur le secteur manufacturier, les petites entreprises et le secteur des services, où un grand nombre d'entreprises ont entamé " une lutte féroce pour contrer la syndicalisation " de leurs employés, selon Mme Carbonneau.
À la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI), le vice-président québécois, Richard Fahey, est conscient que les organisations qu'il représente sont une cible de choix pour les syndicats. " Au Québec, la moitié des travailleurs sont dans des PME, dit-il. C'est un potentiel énorme, et c'est évident qu'ils vont vouloir y aller. "
Quant au secteur des services, le cas d'espèce, c'est bien sûr Wal-Mart. Après avoir fermé sa succursale de Jonquière, où les employés avaient voté en faveur de la syndicalisation, le géant du commerce au détail a commencé à négocier la convention collective des employés de son magasin de Saint-Hyacinthe, qui ont voté pour la formation d'un syndicat.
Wall-Mart, un symbole
" Le normatif [les conditions de travail] est réglé, dit Louis Bolduc, directeur québécois des Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, affiliée à la FTQ. Il nous reste à régler les questions de l'échelle salariale et des bénéfices. "
M. Bolduc mentionne que les discussions sont beaucoup plus avancées qu'elles ne l'étaient dans le cas du magasin de Jonquière, quand il a fermé en avril 2005. " Ce qui reste à régler devra être imposé par l'arbitre. On prévoit avoir des rencontres jusqu'en juin. "
Pour Michel Grant, professeur au sein du département d'organisation et ressources humaines à l'Université du Québec à Montréal, les syndicats accordent une grande importance à Wal-Mart. " C'est le symbole par excellence du secteur de la vente au détail, qu'ils ont de la difficulté à pénétrer et qui explique en partie la stagnation du taux de syndicalisation ", dit-il.
À la FTQ, M. Massé insiste : " Au XXIe siècle, les Wal-Mart seront syndiqués, et ça commencera au Québec. "
hugo.joncas@transcontinental.ca


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