La sécurité électorale...

NON à l'aventure afghane

Quel casse-tête, ces prisonniers afghans! Quels casse-pieds, ces journalistes qui veulent connaître leur sort une fois que les forces canadiennes les ont remis aux autorités afghanes! Le chef d'état-major, le général Rick Hillier, a trouvé la solution. Plus question de rendre public le moindre détail concernant ces détenus. Depuis le mois de mars, le nouveau Comité d'état-major interarmées stratégique revoit toutes les demandes d'accès à l'information touchant les prisonniers. Ce comité a par ailleurs donné des directives strictes à la directrice de l'accès à l'information du ministère, Julie Jansen, au sujet des documents dorénavant refusés, révélait le Globe and Mail lundi.

Mme Jansen a donc informé le Globe par écrit que certains documents, autrefois disponibles, ne lui seraient plus remis, comme les registres de détenus transférés, les rapports médicaux, les déclarations de témoins et ainsi de suite. Un refus dicté par la sécurité nationale, a-t-on dit au quotidien. Même le nombre d'individus faits prisonniers est devenu hors d'atteinte, cette fois pour «des raisons de sécurité opérationnelle», une affirmation que la Défense a refusé de démontrer pour... «des raisons de sécurité opérationnelle». Hier, le Globe recevait un nouveau message lui disant que la direction de l'accès de l'information gardait le dernier mot. Le quotidien en doute ouvertement et à bon droit.
La logique du secret prévaut dans ce dossier depuis que le gouvernement s'est retrouvé dans l'eau chaude, cet hiver, au sujet précisément du traitement réservé aux prisonniers une fois confiés aux autorités afghanes. Un rappel des faits est éloquent à cet égard. Tout a commencé quand des documents obtenus en vertu de la Loi d'accès à l'information (LAI) ont alerté un professeur de l'Université d'Ottawa, Amir Attaran. Il a ainsi su que trois détenus soutenaient avoir été maltraités par des soldats canadiens, ce qui a provoqué la tenue d'une enquête dont le résultat n'est pas encore connu.
La vraie controverse a éclaté un peu plus tard, lorsque le Globe and Mail -- encore -- a mis au jour, au moyen d'une enquête sur le terrain, des allégations de mauvais traitements aux mains des autorités afghanes subies par des hommes faits prisonniers par les forces canadiennes. Le Globe révélait aussi que l'interprétation sur le transfert de prisonniers donnée par le ministre de la Défense, Gordon O'Connor, était fausse. La Croix-Rouge n'assurait pas le suivi tel que le ministre le prétendait.
Peu de temps après, le Globe -- encore -- nous apprenait que le gouvernement ne pouvait pas plaider l'ignorance puisque les rapports de son propre ministère des Affaires étrangères faisaient état de probabilités élevées de torture dans les prisons afghanes. Mais ce même rapport, demandé par le Globe en vertu de la LAI, lui est arrivé tout noirci. Tous les passages faisant état d'aspects moins heureux de la situation en Afghanistan avaient été biffés. Le Globe l'a su parce qu'une source lui a fait parvenir le document original.
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Sécurité nationale? Sécurité des troupes? Ne serait-ce pas plutôt parce qu'on s'inquiète pour la sécurité électorale du gouvernement et la solidité de l'appui de la population canadienne à la portion offensive de la mission afghane? La mission de l'OTAN en Afghanistan a pour objectif, prétendument, d'aider à la mise en place d'un État démocratique. Or, démocratie devait rimer avec transparence.
Mais on aurait dû se douter que le couvercle retomberait rapidement sur la marmite sous le sceau fort pratique de la sécurité des troupes. Depuis le mois de mars, le ministre O'Connor refuse systématiquement aux Communes les réponses précises aux questions le moindrement détaillées de l'opposition. Et que disait-il en mai à la libérale Lucienne Robillard qui lui demandait combien de détenus avaient été transférés? «Cette question touche les opérations. Nous ne discutons pas de détails concernant les détenus.» Ce n'était pas la première fois qu'il le disait, ni la dernière.
Pourtant, tant que ces faits ne faisaient pas jaser, la Défense n'hésitait pas à remettre des données sur les détenus aux journalistes et chercheurs qui en faisaient la demande en vertu de la Loi d'accès à l'information. Et voilà qu'en mars, alors que le gouvernement se tient prêt pour de possibles élections et qu'il essaie de se dépêtrer de cette controverse, l'édit tombe.
Le général Hillier a la réputation d'en mener large et sous ce gouvernement, l'opération afghane est largement sous le contrôle des militaires. Le Canada a officiellement une approche à trois volets où développement, diplomatie et défense se soutiennent mutuellement. Des spécialistes des trois secteurs sont sur le terrain, mais les militaires ont le haut du pavé depuis les derniers jours du gouvernement Martin. Ce sont d'ailleurs eux, et non les diplomates, qui ont négocié la première entente sur le transfert des détenus.
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Le souci tout militaire du général de protéger désormais chaque miette d'information incite à se demander si son approche ne trahit pas l'esprit, sinon la lettre de la LAI. Le Globe and Mail a décidé, fort heureusement, de contester le refus qu'il a essuyé. Le hic est qu'il faudra du temps pour aller au bout de cette procédure, peut-être le temps suffisant pour terminer la mission qui, à moins d'un consensus des partis pour la prolonger comme l'a promis Stephen Harper, prendra fin en février 2009. Ou assez de temps pour passer le cap d'une élection fédérale.
Mais finalement, il revient aux autorités politiques de rendre des comptes et de ne pas s'en remettre à un simple «faites-nous confiance». Les faits des derniers mois ont démontré que ça ne pouvait suffire. Les conservateurs se sont fait élire en promettant un niveau élevé de responsabilité, au point d'en faire le sujet de leur premier projet de loi. Le vrai défi, en matière tant de droits de la personne que de responsabilité, est d'être à la hauteur de ses engagements quand ça fait le plus mal. Il revient maintenant au gouvernement Harper de passer le test.
mcornellier@ledevoir.com


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