La riposte juridique de Tony Accurso

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Avec la justice laxiste québécoise, Accurso s'en tirera à bon compte

L’ex-entrepreneur en construction Tony Accurso riposte à une poursuite civile de 29 millions de la Ville de Laval en demandant de faire invalider la loi provinciale promulguée afin de récupérer l’argent de la collusion, a appris Le Devoir.


M. Accurso, dont le sort est actuellement entre les mains du jury à son procès criminel pour son implication alléguée dans un système de partage de contrats et de ristournes à Laval, est également visé par une poursuite civile.


En vertu de la Loi visant principalement la récupération de sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manoeuvres dolosives dans le cadre de contrats publics, la Ville de Laval veut récupérer les sommes qu’aurait détournées M. Accurso en faisant partie d’un « groupe privilégié » qui se partageait les contrats publics de construction sur le territoire lavallois.


Laval reproche à M. Accurso, ses entreprises Louisbourg, Simard-Beaudry et Ciments Lavallée et leurs principaux administrateurs, Charles Caruana, Frank Minicucci et Giuseppe Molluso, d’avoir profité du stratagème collusoire de 1996 à 2010. La poursuite, qui avait été déposée en décembre 2016, vise également l’ancien directeur du Service de l’ingénierie de Laval, Claude de Guise, qui aurait coordonné le système de trucage de contrats.


Mais voilà que l’ex-entrepreneur remet en question la validité de cette loi mise sur pied dans la foulée de la commission Charbonneau, en 2015. Celle-ci permet notamment de fixer les dommages présumés subis par la Ville à 20 % de la somme totale des contrats en cause. Dans sa contestation envoyée au Procureur général du Québec en mars dernier, M. Accurso déplore entre autres que la Loi présume d’avance le défendeur coupable.


La contestation de l’ex-entrepreneur en construction pourrait être lourde de conséquences, puisque plusieurs villes ont entrepris des recours similaires contre des entrepreneurs et des firmes auprès desquels elles allèguent avoir été fraudées.


« Les municipalités auront-elles le temps de recueillir des sommes avant qu’on juge la validité de la Loi ? C’est certain que les juges ne vont pas se dépêcher de rendre des décisions en sachant qu’il y a une contestation constitutionnelle », indique Frédéric Bérard, docteur en droit constitutionnel et chercheur au Centre de droit public de l’Université de Montréal.


La Ville de Montréal, qui a déposé la semaine dernière une poursuite civile contre six individus, parmi lesquels les anciens élus Frank Zampino et Cosmo Maciocia, pour un montant total de 4,5 millions, compte aller de l’avant malgré la contestation en cours.


« Les procédures seront instituées même si des dispositions de la loi 26 font l’objet de contestations dans une instance autre, impliquant d’autres parties, car nous sommes très confiants dans la validité de la loi et c’est pour cette raison que nous entreprenons ces démarches », indique Gonzalo Nunez, porte-parole de la Ville de Montréal.


Égalité et impartialité compromises


Selon M. Accurso, la loi du gouvernement du Québec compromet l’égalité et l’impartialité de l’audition à venir puisqu’on part de la prémisse que la faute a été commise.


« Ces dispositions imposent un fardeau de preuve quasi insurmontable aux défendeurs », fait-il valoir dans un avis au Procureur général du Québec.


Il s’attaque également à la prolongation du délai de prescription pour qu’une ville entreprenne un recours, qui est passé de trois à 20 ans.


Une disposition « totalement déraisonnable », selon M. Accurso, qui estime qu’elle met en jeu « des périodes pour lesquelles les témoins ou les éléments de preuve requis risquent fort d’être indisponibles, compromis ou détruits ».


M. Accurso conteste également l’imposition de la pénalité financière, qui lui serait imposée si le tribunal donne raison à la Ville.


Au total, M. Accurso veut faire déclarer inopérantes, inapplicables et invalides huit dispositions de cette loi.


Cette démarche est complètement distincte de son procès criminel, même si plusieurs des éléments reprochés à M. Accurso sont identiques dans les deux recours. Rappelons par ailleurs qu’au civil, le plaignant peut obtenir un dédommagement pour un préjudice. Au criminel, c’est plutôt le ministère public qui dépose des accusations dans le but de faire condamner l’accusé.


L’idée de contester la Loi n’est toutefois pas invraisemblable, selon Me Bérard.


« Les chartes permettent au législateur une certaine flexibilité, mais il ne faut pas que ça devienne abusif ou déraisonnable, et c’est là que le débat va avoir lieu. Ils sont sur la ligne à plusieurs niveaux. Est-ce que c’est abusif à 100 %, je ne le crois pas, mais est-ce qu’il y a des volets qui sont un peu fatigants ? Je pense que oui, et puis c’est là que ça va revenir à l’appréciation du juge qui devra trancher sur cette question », souligne-t-il.


Le ministère de la Justice n’a pas souhaité commenter le dossier, puisque celui-ci se trouve devant les tribunaux. Aucune date n’a été fixée pour le moment au dossier.


La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, n’a pas non plus donné suite à notre demande d’entrevue. Les avocats de M. Accurso, Me Paul Ryan et Me Emmanuelle Campeau, n’ont pas non plus souhaité commenter la contestation de leur client.


Mise sur pied dans la foulée de la commission Charbonneau, la Loi a d’abord permis aux entreprises qui ont pris part à un stratagème frauduleux pour l’obtention de contrats publics de rembourser l’argent de la collusion en adhérant au Programme de remboursement volontaire. Les participants au programme s’évitaient ainsi d’éventuelles poursuites au civil.


D’ailleurs, Québec a annoncé la semaine dernière avoir récupéré 94,7 millions auprès d’entreprises frauduleuses, dont près de 30 millions en remboursement de sommes payées en trop par Laval.


> La suite sur Le Devoir.



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