La peste

Médias et politique



Des ressorts psychologiques puissants: le doute, la peur, la haine. Des événements déclencheurs énormes et tragiques. Un gigantesque amplificateur incontrôlé: l'internet... Ces éléments forment le socle sur lequel s'érigent les théories du complot. Certes, le sujet est rebattu et consternant. Le débat est inutile, les convertis ne pouvant être ébranlés par les faits. En parler ne concourt qu'à répandre l'épidémie.
Pourtant, il le faut bien.
Parce que les théories du complot s'immiscent maintenant dans des couches de la société - chez des politiciens ayant une audience et des artistes adulés, par exemple - qui possèdent un énorme pouvoir de nuisance. Et parce que, de divertissantes qu'elles étaient, ces élucubrations deviennent dangereuses.
* * *

Depuis quelques semaines, en effet, sont apparus dans l'espace public plusieurs bijoux.
D'abord, deux nouvelles oeuvres majeures (et d'autres, moins importantes) sur le 11 septembre 2001. Le journaliste français Éric Raynaud signe 11 septembre, les vérités cachées, dans le droit fil des thèses de Thierry Meyssan, le plus célèbre «conspirationniste» dans ce dossier. Ainsi qu'une nouvelle version de Loose Change, le documentaire de l'Américain Dylan Avery devenu le premier blockbuster de l'histoire du web.
Est également apparu un complot inédit qui a un bel avenir devant lui: celui ourdi par l'Organisation mondiale de la santé et les compagnies pharmaceutiques pour engranger des profits - et peut-être tuer des gens par millions! - en les vaccinant contre la grippe A(H1N1). On voit le danger de telles divagations.
Il est inutile d'aborder l'argumentation soutenant ces théories: elle est sans intérêt.
Tout juste faut-il noter que leurs propagandistes sont souvent des «polyconspirationnistes» (comme on dit: des polytoxicomanes). L'auteur Jean-Jacques Crèvecoeur, qui vend le complot du vaccin, parle aussi de «fait exprès» au sujet du 11 septembre et soutient que Barack Obama «n'a pas la nationalité américaine». Quant à la plus récente oeuvre de Meyssan, elle fait du président Nicolas Sarkozy une créature de la CIA!
Il y a deux raisons à cet éclectisme. Un, la clientèle cible de cette industrie est elle aussi largement «polyconspirationniste». Deux, les médias traditionnels, poussés par la concurrence de l'internet à diffuser à leur tour ces théories, en redemandent.
Encore tout cela n'effleure-t-il que la surface des choses. Car la véritable question est de savoir: pourquoi cette gigantesque business marche-t-elle autant?
Réponse à un mélange de croyances, d'ignorances et de phobies, selon les mots de Guillaume Dasquié et Jean Guisnel, qui ont pourfendu Meyssan dans L'Effroyable Mensonge? Révolte de l'esprit à l'idée que des acteurs insignifiants puissent provoquer de gigantesques tragédies, comme l'a analysé Gerald Posner dans Case Closed (sur l'affaire Kennedy)? Incapacité de s'accommoder d'une part inévitable de chaos? Plaisir que procure une confortable «délinquance»? Témoignage de haine de l'Occident envers lui-même?...
Tout ça à la fois, sans doute.
Et on soupçonne alors que, non seulement le complot construit autour de la grippe A(H1N1), mais tous les autres qui viendront seront également promis à un bel avenir.
Une peste, en somme.


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