La nouvelle donne du fédéralisme canadien

Élections fédérales du 14 octobre 2008



Il se passe de drôles de choses au Canada. Mine de rien, l’économie et la démographie du pays sont en train d’en modifier la dynamique. Au point que, à Ottawa, des analystes du gouvernement craignent une (autre) crise du fédéralisme, mais d’un genre inédit.

Songez un peu aux nouvelles entendues depuis deux ou trois ans.
Terre-Neuve, bientôt une «province riche»? Un boom économique en Saskatchewan, province qui ne cessait de perdre des résidants? L’Ontario sur le point de tomber sous la moyenne nationale et qui recevrait des paiements de péréquation?
Non, vraiment, ce n’est pas le Canada qu’on avait l’habitude de se représenter depuis 25 ans.
Les analystes du Conseil privé (le ministère du premier ministre à Ottawa) se creusent la tête. Et pour eux, la violente guerre verbale déclenchée par le premier ministre de Terre-Neuve, Danny Williams, n’est que la bruyante expression des nouvelles tensions qui menacent de fissurer le pays.
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Personne n’ignore le succès économique de l’Alberta. Le pétrole albertain n’a pas seulement contribué à éliminer la dette provinciale et à faire passer les revenus des Albertains au-dessus de ceux des Ontariens. Il a aussi attiré des gens. Beaucoup de gens. La population y croît au rythme incroyable de 2,2% par année (0,7% au Québec, 1,1% en Ontario).
La population augmente par l’immigration mais, depuis quelques années, surtout par la migration interprovinciale. Près de 60 000 Canadiens s’y sont installés en 2006, 11 000 l’an dernier.
Pendant ce temps, pour la première fois depuis longtemps, l’Ontario a perdu des citoyens au profit d’autres provinces et affiche depuis cinq ans un solde migratoire interprovincial négatif.
Tout aussi frappant, la Saskatchewan, qui perdait des citoyens depuis des décennies, a dorénavant un solde migratoire interprovincial positif. La hausse des prix du pétrole, de la potasse, de l’uranium et des céréales procurera à cette province la plus forte croissance économique au Canada cette année – devant l’Alberta. Le prix moyen des maisons à Regina, de 166 000$ l’an dernier, est passé à… 230 000$ cette année, et ce n’est pas fini.
Mais quelle est la province où la production économique a le plus augmenté en 2007? Terre-Neuve, avec une croissance plutôt chinoise de… 9,1% (2,4% au Québec, 2,1 en Ontario). La province perd encore des habitants, mais l’hémorragie est terminée et la tendance est en train de se renverser. Le pétrole, là aussi, est en train de doper l’économie provinciale.
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Ce n’est pas d’hier que la fortune économique varie selon le prix des matières premières. Ce qui est plus nouveau, c’est d’entendre l’Ontario se plaindre ouvertement d’être traitée injustement.
Le printemps dernier, une étude de deux économistes de la Banque TD a causé un petit traumatisme psychologique dans la métropole canadienne. Derek Burleton et Don Drummond y prédisaient que, d’ici deux ans, l’Ontario, moteur traditionnel de l’économie canadienne, allait commencer à recevoir des paiements de péréquation.
Quoi? L’Ontario dans le même club des «pauvres» que le Nouveau-Brunswick ?
Ce n’est pas tant parce que l’économie ontarienne s’effondre. C’est surtout parce qu’elle est doublée par celles de l’Ouest, en plus du fait qu’on a changé la formule de calcul de la péréquation.
La péréquation est un programme fédéral de redistribution de l’argent aux provinces les plus pauvres. Garantie par la Constitution, sa formule, elle, est modifiée périodiquement. Or, depuis l’an dernier, pour calculer la richesse des provinces, on tient compte à 50% des revenus des ressources naturelles non renouvelables. Ce qui, surtout ces années-ci, gonfle terriblement la moyenne. Tellement que si la tendance se maintient, d’ici deux ans, sept provinces sur 10 se retrouveront sous cette moyenne – les seules exceptions étant les trois provinces les plus à l’ouest, avec Terre-Neuve entre deux eaux. Or, puisque l’Ontario paie environ 40% des impôts perçus par Ottawa, elle paie encore la part du lion du programme. Même si elle en reçoit – disons – un milliard, elle est largement déficitaire à ce chapitre puisque Ottawa a distribué l’an denier plus de 13 milliards en péréquation – dont huit au Québec.
Une «fiscalamité» que cette formule, a dit le réputé économiste Thomas Courchene dans un article remarqué, au printemps.
Tout cela pendant que l’Ontario connaît un ralentissement économique plus marqué que le Québec, en grande partie à cause du prix du pétrole et de la montée du dollar canadien.
Il se fait donc de plus en plus de calculs sur la rentabilité du fédéralisme, en Ontario. Les économistes estiment que, en 2005, dernière année pour laquelle les chiffres sont disponibles, la province a versé 20 milliards de plus à Ottawa qu’elle n’en a reçu.
Le gouvernement ontarien n’a qu’à adopter une politique économique plus efficace, a répliqué le ministre des Finances fédéral, Jim Flaherty, ex-ministre provincial ontarien.
Dalton McGuinty, premier ministre de l’Ontario, ne le prend pas. Le ton est moins belliqueux, mais il n’est pas loin derrière son homologue de Terre-Neuve, Danny Williams, qui se plaint d’avoir été trahi par Ottawa à hauteur de plusieurs centaines de millions.
Tout ça pour dire que le débat sur le «déséquilibre fiscal», à peu près disparu du vocabulaire politique québécois, ressurgit rageusement d’est en ouest.
Ce n’est que l’expression des changements profonds que connaît le Canada lui-même, et dont on peut prévoir qu’ils créeront d’importantes tensions dans la fédération, bien au-delà des présentes élections.


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