La marche funèbre

Budget Québec 2010

Il y a deux semaines, dans un discours télévisé, le premier ministre de l'Alberta, Ed Stelmach, a annoncé un gel salarial pour les 6500 fonctionnaires de sa province.
Il est vrai qu'au pays de l'or noir, on n'a pas l'habitude des déficits, même temporaires, mais qui va croire que le Québec a les moyens d'être plus généreux que la richissime Alberta, où les salaires sont les plus élevés au pays et les impôts, les plus bas?
En Colombie-Britannique, où les salaires sont également plus élevés qu'au Québec, le gouvernement de Gordon Campbell envisage de n'accorder aucune augmentation aux fonctionnaires tant que la province ne renouera pas avec les surplus budgétaires.
De passage au Devoir mardi, les dirigeants du front commun qui regroupe les 475 000 employés de l'État québécois ont convenu qu'ils auront une bataille à livrer pour convaincre l'opinion publique du bien-fondé de leurs demandes, qui représentent des augmentations de 11,25 % en trois ans. C'est ce qu'on appelle un euphémisme. Pour les employés de l'État, les prochains mois risquent de prendre l'allure d'une longue marche funèbre.
Il n'y a peut-être jamais de bon moment pour négocier, mais il y en a qui sont nettement pires que d'autres. «On ne peut pas demander à ces gens de faire voeu de pauvreté», a plaidé la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau. Précisément, depuis le début de l'année, la croissance des prix a été négative, de sorte qu'on ne peut même pas parler d'appauvrissement.
Bien sûr, il ne faut pas généraliser à partir de cas, par ailleurs bien réels, où des fonctionnaires ont été traités «comme des rois». Les porte-parole syndicaux auront beau brandir des chiffres tout aussi réels pour démontrer que le secteur public n'a rien d'un Eldorado et que la sécurité d'emploi n'est plus ce qu'elle était, il demeure que les dizaines de milliers d'emplois perdus au cours de la dernière année l'ont été dans le secteur privé.
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Généralement, à l'aube d'une ronde de négociations, les syndicats accusent le gouvernement de noircir le portrait des finances publiques pour mieux discréditer leurs revendications. Cette fois-ci, ils ont plutôt accueilli comme une «bonne nouvelle» la mise à jour économique et financière du ministre des Finances, Raymond Bachand.
Ils étaient ravis de l'entendre dire que le Québec s'en tire mieux que les autres provinces, en particulier l'Ontario, même si son taux d'endettement est beaucoup plus élevé. Si le déficit est de «seulement» 4,7 milliards, il n'y a pas à se gêner, n'est-ce pas? Il suffira d'augmenter un peu plus la TVQ, les tarifs d'électricité ou -- pourquoi pas? -- les impôts.
Il est évident que la conjoncture budgétaire est désastreuse pour les syndicats, mais ce n'est pas le seul problème. L'image du gouvernement auquel ils font face a également beaucoup changé depuis les dernières négociations.
En septembre 2005, un sondage Crop indiquait que 58 % des Québécois -- et même 47 % des électeurs libéraux -- appuyaient les demandes syndicales À l'époque, le tandem CSN-FTQ exigeait 12,5 % en trois ans, en sus de l'équité salariale. La CSQ, les fonctionnaires et les professionnels acceptaient d'étaler la hausse sur une période de six ans, toujours en excluant le rajustement au titre de l'équité.
Pourtant, c'est le gouvernement qui avait eu le fardeau de la preuve. La présidente du Conseil du trésor à l'époque, Monique Jérôme-Forget, avait reconnu la nécessité de «mieux expliquer» ses offres, qui totalisaient 12,6 % sur six ans, en incluant l'équité, soit un écart de 3,5 milliards. Peine perdue, l'adoption d'une loi spéciale avait été largement perçue comme un abus de pouvoir.
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À l'époque, il était facile pour les syndicats de se poser en défenseurs des grands services sociaux hérités de la Révolution tranquille. Avec ses projets de «réingénierie» et son obsession des PPP, le gouvernement semblait déterminé à détruire le «modèle québécois».
Une grande partie de la population partageait ce point de vue. À peine six mois après les élections du 14 avril 2003, des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues de Montréal pour crier haut et fort qu'elles n'avaient «pas voté pour ça». En moins d'un an, le gouvernement Charest avait battu tous les records d'impopularité.
Cette fois-ci, le gouvernement prétend avoir lui-même fait le choix du déficit pour préserver les services sociaux. La réingénierie a été expédiée aux oubliettes depuis longtemps. Même l'Agence des partenariats public-privé sera bientôt abolie.
Les dirigeants syndicaux ont eux-mêmes contribué à la réhabilitation du gouvernement. On a vu Claudette Carbonneau bras dessus, bras dessous avec Monique Jérôme-Forget à l'annonce de l'entente sur l'équité salariale. Le Pacte de l'emploi et le programme d'infrastructures ont également été salués avec enthousiasme.
Mme Carbonneau soutient que «ce sont des enjeux de société qui sont au coeur de la négociation», mais il sera maintenant bien difficile de convaincre la population qu'après s'être amendé de la sorte, le gouvernement est soudainement revenu à son néolibéralisme rétrograde d'il y a quatre ans.
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mdavid@ledevoir.com


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