La loi 101 qui tue

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail


Après la musique, Internet, les jeux vidéo, le manque de surveillance parentale, notre société sans amour, la sous-culture gothique, voilà qu'une nouvelle théorie nous arrive directement de Toronto pour expliquer la tuerie du collège Dawson: c'est la faute à la loi 101.
Ce n'est que l'opinion d'une journaliste de Toronto, [Jan Wong, mais il se trouve que Mme Wong est une des vedettes du Globe & Mail->2009], un endroit où l'on prétend publier le meilleur journal au Canada, et où les dirigeants ne se prennent pas pour des noyaux de prune.
Avouez que vous n'y aviez pas pensé. Marc Lépine. Valery Fabrikant. Kimveer Gill. Tous rendus fous et meurtriers par les chicanes linguistiques.
La théorie de la chronique de Mme Wong est que ce n'est pas un hasard si les trois fusillades dans des institutions postsecondaires canadiennes ont eu lieu à Montréal (elle exclut les autres écoles de son décompte).
Elle poursuit en disant que les trois auteurs de ces tueries ont un point en commun: ils sont immigrés et de ce fait marginalisés dans une société qui valorise les «pure laine». Car voyez-vous, partout, il est répugnant de parler de pureté raciale, mais pas au Québec.
Pour moi, l'abbé Groulx est devenu à la mode à Toronto. Ici, je ne me souviens pas avoir entendu quelqu'un même évoquer vaguement l'idée de pureté raciale sur la place publique sans se faire lancer des tomates.
Qu'importe. C'est bien connu: tout phénomène observable au Québec, de la pluviométrie au taux d'introductions par effraction en passant par la récolte annuelle de chevreuil, tout, absolument tout ce qui se passe ici est explicable par une seule véritable raison profonde, la causa causans des choses québécoises: l'infâme loi 101 !
Marc Lépine est né dans les années 60. Il avait un père algérien. Il était francophone, il a évolué dans un milieu francophone.
Valery Fabrikant est né dans les années 40 en Russie, où il a été éduqué. Il y a commencé sa carrière comme ingénieur et déjà, ses troubles de la personnalité s'y manifestaient. C'est dans la quarantaine qu'il a immigré au Québec.
Kimveer Gill est né au Québec en 1981. Ses parents sont des immigrés indiens. Il a fait toutes ses études au Québec dans le réseau anglais.
Trois cas totalement différents, sans aucun rapport entre eux, ni par leur pattern social, ni par leurs obsessions, ni par rien, sauf qu'ils ont utilisé une arme pour tirer sur des innocents dans une maison d'enseignement.
Il n'y pas l'ombre de l'apparence d'une possible marginalisation due au nationalisme québécois, même imaginaire, dans l'un quelconque de ces trois cas tragiques.
Nulle part dans la lettre de suicide laissée par Marc Lépine n'est-il question de langue, ou du fait qu'il ait été mis de côté à cause de l'origine de son père. On sait qu'il a vécu dans un milieu familial violent, que son père détestait les femmes, on sait que son propre délire était fixé sur les femmes et le féminisme. On sait qu'il a tué 14 jeunes femmes et en a blessé 13.
Nulle part dans les innombrables poursuites, lettres, griefs, etc. de Valery Fabrikant n'est-il question de langue. Une enquête de The Gazette l'a démontré: il a apporté ses problèmes dans ses bagages. Il prétendait que des collègues lui volaient ses idées, et c'est à eux précisément qu'il voulait s'en prendre. Il a tué quatre personnes et en a blessé une autre, après des mois de harcèlement et de menaces de sa part.
Kimveer Gill, dans tout ce qu'il a écrit sur son site Internet, et de tout ce qu'on sait de lui jusqu'à maintenant, n'a jamais évoqué de frustrations dues à son statut de fils d'immigrés. Sa mère a même dit à notre reporter qu'il adorait le Canada et Montréal.
Où est donc le fait sur lequel appuyer cette thèse morbide? Il y a des lois linguistiques qui forcent les enfants immigrés à apprendre le français; il y a eu trois tueries à Montréal par des gens d'origine étrangère; donc cela explique ceci. Il y a des crocodiles en Australie; il y a des champions nageurs en Australie; donc les crocodiles font nager les gens plus vite. Logique, non?
Je connais suffisamment de journalistes au Globe pour savoir que le point de vue loufoque de Jan Wong ne représente rien. Ce qui me trouble, c'est que quelqu'un a mis en page ce texte en estimant qu'il était légitime d'avancer que le nationalisme a des effets meurtriers au Québec, même sans aucune preuve, aucun fait à l'appui. C'est sérieux.
Le formidable de l'affaire, c'est qu'aucun analyste, dans la presse francophone, n'a tenté un rapprochement odieux entre ces crimes et l'origine étrangère des auteurs, pour tenter d'en tirer une quelconque explication bidon. La xénophobie est donc dans l'oeil de l'observatrice.
Ces trois cas sont différents, ils ont leur logique psychologique propre et unique, que d'ailleurs nous ne connaissons que partiellement.
Ce sont trois tragédies montréalaises, et à moins d'une preuve minimalement convaincante, c'est un triste hasard si elles ont eu lieu ici.
Écrire le contraire relève de l'ignorance crasse, ou du mépris, ou de la malhonnêteté, ou de tout ça. On le voit: il n'y a pas que les politiciens qui veulent faire avancer leurs thèses sur le dos des morts.


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