On ne fera pas la souveraineté du Québec par procuration. Certes, il aurait été intéressant de voir la dynamique politique qui aurait résulté d'un OUI gagnant en Écosse. Mais au-delà des résultats, il faut se demander en quoi la leçon écossaise pouvait (et peut encore) servir notre cause. Malheureusement, ce fut une autre de ces occasions manquées.
Nous sommes passé à coté de l'occasion de confondre Ottawa et susciter une réaction sur le respect du processus démocratique au Québec; notamment sur la règle du 50 % plus 1 contenu dans l'Entente d'Édimbourg. Entente qui garantissait l'effectivité de la décision dans le cas d'une victoire du OUI. Ce qui n'était pas le cas lors du référendum de 1995. Le refus du fédéral de reconnaître d'avance le résultat à l'époque ajoutait à l'incertitude et au climat de peur qui a été si profitable à la stratégie du camp du Non. Compte tenu du résultat serré, ce fut sans doute ce flou sur l'effectivité de la décision qui aurait fait la différence.
D'où l'importance de comprendre la stratégie qui a mené à l'Entente d' Édimbourg.
Dans un texte publié sur Vigile en janvier 2013 , à l'occasion de la visite de Pauline Marois en Écosse, j'expliquais comment Alex Salmond a tiré profit de la leçon québécoise de 1995 (la non-effectivité) pour obtenir de Londres l'Entente d'Édimbourg). :[...]
La leçon écossaise nous enseigne que ce qui est en cause, c’est le principe d’effectivité. Il ne s’agit pas seulement de prendre une décision (si démocratique soit-elle) pour la souveraineté, il faut surtout être capable de rendre cette décision effective sur notre territoire, ce qui n’était pas le cas en 1995. M. Salmond, un familier de la question québécoise, a très bien compris le principe d’effectivité, c’est pourquoi il a adopté une stratégie de négociation vis-à-vis le gouvernement britannique qui comprenait une option inacceptable pour celui-ci. Au statu quo et à l’indépendance, il a ajouté la dévolution maximale de pouvoirs (devo max). C’est pour écarter cette dernière option bénéficiant d’un appui largement majoritaire en Écosse que le gouvernement anglais a été forcé à la négociation et, finalement, à l’acceptation de l’Entente d’Édimbourg qui garantirait l’effectivité de la décision du référendum prévu en 2014.
En 1980 et 1995, le mouvement souverainiste baignait dans l'idéal de la démocratie à la canadienne. Il suffisait de gagner un concours d'art oratoire, de compter des bouts de papiers, et avec un de plus, « Youppi ! », on avait un pays. Alors même que l'État canadien refusait (et refuse encore) de jouer le jeu démocratique ! Le référendum écossais constituait une occasion en or pour les souverainistes de confondre le fédéral sur cette question et de prendre le contrôle de la narration sur la clarté.
L'occasion manquée
Avec une pointe d'humour, on peut dire que le temps fort du référendum en Écosse aura sûrement été l’afflux de touristes politiques en provenance du Québec et du Canada.
Du côté des fédéralistes, Jean Chrétien et Stéphane Dion sont intervenus pour prodiguer leurs conseils et leur version de la clarté référendaire. De toute évidence, ils n'ont pas été retenus. Et pour cause ! L'idée de déterminer les règles du jeu (majorité requise) après que la partie ait été jouée les aurait exposés pour ce qu’ils sont : les Ding et Dong de la démocratie... Ils cherchaient à faire écarter la règle du 50 % plus 1. En choisissant plutôt de la retenir, le gouvernement britannique s’est trouvé à désavouer la Loi fédérale sur la Clarté. Sa décision devient un précédent incontournable en common law, et ce précédent lie le Canada dans la mesure où il adhère à cette école.
Du coté souverainiste, Bernard Drainville a salué l'Entente d'Édimbourg ( 50 % plus 1) comme un exemple de respect de la démocratie (et j'ajoute de l'effectivité de la décision). Stéphane Dion l'attendait au retour avec une remontrance sur la leçon de clarté qu'offrait plutôt cette entente. Une occasion en or d'une réplique souverainiste pour clarifier la question qui, hélas, n'est pas venue.
La direction souverainiste avait là l'occasion de tourner la table en matière de clarté et imposer sa narration, plus précisément sur la règle du 50 % plus 1, en utilisant justement l'Entente d'Édimbourg. D'autant plus que lors de sa visite à Londres, Stephen Harper, parlant au nom de l'État canadien, a déclaré que cette décision devait être respectée.
Durant le temps fort de ce référendum en Écosse, à chaque intervention des fédéralistes sur le thème de la clarté, les souverainistes avaient l'occasion de répliquer avec une proposition simple et sans équivoque : présenter un copier-coller de la question de l'entente d'Édimbourg (avec la norme de 50 % plus 1), changer le nom Écosse pour Québec (*), et demander à Stephen Harper si une éventuelle décision sur cette base dans le cas du Québec devrait aussi être respectée. Dans le cas d'un OUI, on aurait enfin réglé le problème posé par l'incontournable principe d'effectivité. Dans le cas d'un NON ou d'un refus de répondre, il suffisait de le relancer en lui demandant s’il fallait comprendre que la démocratie canadienne était différente de la démocratie britannique, en quoi, et pourquoi ?
Dans le cas d'un NON ou d'un refus de répondre de la part du fédéral, le camp souverainiste aurait eu enfin une raison d'écarter le repoussoir qu'est devenu le référendum. Ce marché de dupe dans lequel, face on perd et pile on ne gagne pas, et qui nous a conduit au cul-de-sac actuel. Et dont Claude Morin, celui là même qui s'était laisser convaincre de l'adopter comme mode d'accès à la souveraineté par des mandarins fédéraux, nous affirmait samedi que ce fut une « erreur majeure ». (La Presse, 20,09,2014).
En fait, l'erreur majeure (historique) de ce stratège en chef du mouvement souverainiste fut d'avoir ignoré l’incontournable principe de l’effectivité. Claude Morin eût-il maîtrisé ce principe clé de la géopolitique et du droit international public qu'il aurait exigé que le fédéral signe une entente l'engageant à respecter la décision sur ce référendum qu'eux-mêmes proposaient. Si tel avait été le cas, le Québec serait souverain depuis 1995. Dans le cas contraire, nous aurions évité de créer les conditions du lent déclin de notre nation.
Sur son constat de l'erreur majeure que fut le référendum (j'ajoute sans garantie d’effectivité), Claude Morin rejoint celui qui l'a piégé à l'époque, Jean Chrétien (Dans la fosse aux lions, 1985) :
« Avec le recul, le référendum apparaît comme la plus grande erreur du Parti Québécois. Jusque-là, sa stratégie avait été extrêmement efficace pour le Québec et extrêmement dangereuse pour le Canada. Claude Morin me l'avait décrite il y a longtemps : "Nous nous séparerons du Canada de la même manière que le Canada s'est séparé de l'Angleterre. Nous couperons les liens un par un, nous obtiendrons une petite concession ici, une petite concession là et, finalement, il ne restera plus rien." Dans un premier temps, c'est exactement ce que fit le gouvernement du Parti Québécois. Il exigea de nouveaux pouvoirs, imposa sa présence internationale et, comme chaque demande paraissait raisonnable en elle-même et dans l'intérêt de la province, la population suivit. Avec le temps, le Québec serait devenu indépendant dans les faits et son indépendance juridique serait allée de soi. Mais le référendum cristallisa le débat et, en dépit de l'ambiguïté extrême de la question posée (le mot "indépendance" en avait été exclu), la population fut forcée de faire un choix. Elle dit NON à l'indépendance. »
Si l’on a bien compris Jean Chrétien, ce n'est pas le référendum qui mène à la souveraineté, mais le contraire. C'est la souveraineté qui mène au référendum !
La fixation référendaire déconnectée de la réalité politique nous a menés à mettre de côté l'édification de notre État, garant de la pérennité de notre existence de nation française en Amérique, pour partir à la quête d'un pays mythique, fantasmé, en comptant sur l'idéal démocratique à la canadienne, et aboutir, au terme d’un long parcours dans lequel nous nous sommes collectivement usés, dans un cul-de-sac historique. Au point que ce n'est plus tant la souveraineté qui est en péril que la nation qui porte le projet. Et, au moment même où nous sommes face à ce défi existentiel, le Parti Québécois se cherche une direction stratégique et un nouveau chef pour l'assumer. On part de loin !
Il faut donc de toute urgence sortir le projet souverainiste du registre du rêve et de l’idéal pour le ramener dans celui de la realpolitik. Dans le contexte actuel, cela suppose un retour à l'État du Québec, le véritable vecteur du projet souverainiste :
1. En attendant l'échéance électorale, cela veut dire défendre résolument, avec carrure, les intérêts supérieurs de l'État du Québec. Comme le souligne Jacques Parizeau, en marquant clairement la divergence de nos intérêts avec ceux de l'État canadien (vidéo, 24e min : pipeline TransCanada). Pierre-Karl Péladeau reprend le même exemple sur sa page Facebook et ajoute le pont Champlain. Autre thème, la défense de l'intégrité des institutions de notre État. Sans cette posture assumée, comment croire à la crédibilité du Parti Québécois comme porteur du projet souverainiste pour la suite des choses. Il ne s’est pas montré à la hauteur du besoin et des exigences à ce chapitre.
2. Dans le cas où l'État canadien refuserait de jouer le jeu démocratique concernant un éventuel référendum, prendre le pouvoir avec un mandat donnant la légitimité et la légalité (dans le régime parlementaire britannique) de poser les actes d'État qui visent la rupture du cadre constitutionnel.
En dernière heure, Alex Salmond vient de déclarer que l'Écosse peut très bien faire son indépendance sans passer par un référendum :
« He said that although a referendum was his preferred option, achieving a majority at the Scottish Parliament was another way of reaching his party’s goal ...He said: “The referendum route was one of my choosing, it was my policy. I thought that was the right way to proceed but, of course, there is a whole range of ways Scotland can improve its position in pursuit of Scottish independence. There is a parliamentary route where people can make their voice heard as well, so a referendum is only one of a number of routes”. »
On part de loin, mais encore de plus loin si l’on ne tire pas tous les enseignements de la leçon écossaise.
...
(*) Sur la question de la clarté, l'opinion des analystes (fédéralistes) évolue vers la règle du 50 plus 1. C'est ce qui ressort de l'émission « Les coulisses du pouvoir » qui revenait dimanche dernier sur le référendum en Écosse. Avec ce commentaire de Vincent Marissal :
« La réplique d'Ottawa, post-1995, elle, est incomplète et même malhonnête.» (La Presse, 21 septembre 2014)
Bref, le contexte médiatique était favorable pour prendre le contrôle de la narration sur la clarté.
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6 commentaires
Archives de Vigile Répondre
29 septembre 2014Des choses très importantes sont dites dans cet article. Mais ceux qui détiennent le vrai pouvoir ce ne sont pas de politiciens. Ces gens là ont décidé ça fait longtemps qu'il n'y aura pas d'indépendance. Alors il n'y en aura pas. C'est très clair pour beaucoup de gens ici au Québec que le résultat du référendum 1995 était manipulé. Concrètement cela veut dire que le Québec est déjà indépendant et souverain depuis 1995. - Donc le résultat n'était pas légal. Alors qu'est-ce que ça vaux toutes ces belles stratégies du comment faire pour en venir à l'indépendance si on ne travaille pas en premier à mettre sur la table les vrais affaires sur le passé, qui sont les mêmes vrais affaires du présent? (exemple l'Écosse)...La raison pour laquelle on ne gagne pas le référendum sur l'indépendance du Québec n'est pas relié à la quantité de gens qui votent oui ou non. - C'est plutôt relié aux fausses chiffres du vote qui sont rapportés.
Archives de Vigile Répondre
25 septembre 2014...''ce n’est pas le référendum qui mène à la souveraineté, mais le contraire. C’est la souveraineté qui mène au référendum !''
Tellement vrai.Lorsque je vois nos politiciens soi-disant indépendantistes parler d'avenir à travers un autre référendum soit dans le premier mandat soit le 2ème,sans tenir compte du ''champ de ruines'',pour paraphraser Jacques Parizeau,devant lequel nous nous trouvons,cela m'apparait d'une déconnexion totale avec la réalité.
C'est comme parler de faire le toit de sa maison avant d'avoir construit sa fondation.
''C’est la souveraineté qui mène au référendum'' signifie que quotidiennement nous nous appliquerons dans le train train quotidien de tous les jours à se comporter en souverains(nes),comme lorsqu'on va au gymn pour garder la forme et la force.
En droit international,les limites frontalière ne suffisent pas pour être respectées,elles doivent aussi être occupées et défendues.
Çà commence dans l'ici-maintenant,pas en 2023.
Merci M. Pomerleau.
Archives de Vigile Répondre
24 septembre 2014J'ai pu regarder une image en direct de la grande place à Glasgow où les tenants du oui attendaient le résultat la journée du référendum.
J'ai pu percevoir ce que le Système ne nous permet plus de percevoir en ce 21e siècle, c'est à dire l'âme d'un peuple.
On sentait l'âme écossaise sur cette place avec ses particularités propres, le son de la cornemuse remplissant l'air, etc...
Si dans de grands ensembles, le Système pouvait tout de même préserver cette richesse de l'humanité qu'est l'identité nationale avec ses caractéristiques propres et uniques, l'union dans de grands ensembles ne ferait pas problème.
Mais il semble que le Système travaille constamment à diluer l'identité nationale, ethnique et culturelle, comme si l'union de nations différentes dans de grands ensembles étaient justement voulue à cette fin, sans compter le credo du multiculturalisme et conséquemment du mélange des ethnies encouragé par le Système.
Laurent Desbois Répondre
24 septembre 2014En attendant l’échéance électorale, cela veut dire défendre résolument, avec carrure, les intérêts supérieurs de l’État du Québec. Comme le souligne Jacques Parizeau, en marquant clairement la divergence de nos intérêts avec ceux de l’État canadien (vidéo, 24e min : pipeline TransCanada). Pierre-Karl Péladeau reprend le même exemple sur sa page Facebook et ajoute le pont Champlain.
Harper est un très bon premier ministre… Canadian!!!
Harper ? Cons., PLC, NDP, c'est du pareil au même! Sortons-en du Canada et au plus vite!
Moi, je suis tanné du Canada! C’est un pays que je veux!!!!
L’indépendance... la seule solution!
23 bonnes raisons sur 30 pour faire l’indépendance... et tellement d'autres encore !
http://www.boussoleelectorale.ca/resultats/federales/
Laurent Desbois Répondre
24 septembre 2014Une union PQ-CAQ, de la centre-gauche et de la centre-droite comme en ’76 avec Lévesque et Bourgault, devient de plus en plus nécessaires pour déloger les libéraux une fois pour toute et faire l’indépendance du Québec. La division des québécois a assez duré1 La seule façon… c'est de s'unir contre ce parti d'opportuniste qui s'en mettent plein les poches et appauvrie tout le Québec.
Effectivement... la gauche absolutiste de QS est le 2% qui nous fait perdre de 10 à 15% à la centre-droite (CAQ) (jeunes et vieux) pour faire l’indépendance!
« Qu’on cesse de Tataouiner! » - Jacques Parizeau
40%-2%+15%=53%
Comme à l'époque de René Lévesque-Pierre Bourgault!
PKP est la clef!
PKP attire un caquiste sur deux !
Pour moi, c’est simple! C’est un pays que je veux!!!!
https://www.facebook.com/#!/campduoui/photos/a.104549863048968.153.102161909954430/210843189086301/?type=1&theater
Marcel Haché Répondre
23 septembre 2014Les fédéralistes d’ici ne veulent pas admettre que ce sont leurs politiques intransigeantes, leur politique de confrontation, c’est qui a forcé les indépendantistes à formuler une stratégie d’agenda « fermée ».
Maintenant qu’il y a cette entente d’ Édimbourg, advenant un gouvernement indépendantiste à Québec, advenant alors qu’Ottawa ne veuille pas renoncer à sa loi sur la clarté, Québec n’aurait qu’à faire parvenir publiquement 2 ou 3 questions allant de très claire à pas claire, de façon à occuper et déranger le gouvernement canadien. L’opinion publique le forcerait à réagir…
Dans notre Combat, la question elle-même, le libellé, n’a aucune espèce d’importance à l’égard du succès de l’Entreprise… Les questions alambiquées des deux référendums précédents n’ont pas aidé, certes, mais les résultats à des questions claires n’auraient pas été différents.
Que ce soit par référendum ou par élection référendaire, deux faces d’une même médaille, l’avenue indépendance est encombrée. Le référendum agit comme un épouvantail au milieu du champ…
Il y a mieux à faire même si c’est plus difficile. Il y a mieux et d’ailleurs et il ne reste plus que ça depuis l’Entente d’Édinbourg : prendre simplement le pouvoir à Québec, c’est-à-dire l’enlever des mains à ceux qui agitent l’épouvantail devant Nous, et qui lui donnent ainsi un aspect de vraisemblance. Grosse job. Vivement la realpolitik.
Bien des « référendistes » devront se marcher sur le cœur…
Ça tombe bien : ils en ont !