La langue française, grande absente du débat présidentiel

Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles

par Olivier et Patrick Poivre d'Arvor*


Nous devions, comme d'autres écrivains de langue française, être présents au Salon du livre de Beyrouth en ce mois d'octobre 2006. Pour cause de guerre, le rendez-vous dans ce vaillant bastion francophone est reporté... sine die ? Ultime dégât collatéral d'un conflit autrement meurtrier.

Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature, nous disait, il y a tout juste dix ans dans un café d'Alexandrie, que nous avions de la chance d'être nés français : « Dans le monde entier, votre ­culture, votre langue étaient connues, enviées. C'est votre meilleure carte de visite ! Pourquoi ne pas vous en préoccuper plus, aujourd'hui ? » répétait l'écrivain décédé récemment, en tirant sur sa chéchia. Il ne croyait pas si bien dire.


Rares sont les candidats à la présidentielle à avoir évoqué dans leurs déclarations l'importance de la question de la langue et de la culture françaises en France et dans le monde. En héritiers souvent paresseux, nous dilapidons le capital et semblons ignorer que le monde ne nous attend plus, parle de moins en moins notre langue, s'attache de plus en plus à d'autres cultures.

Il y a mille raisons pour expliquer cette désaffection, ce désamour. Certaines sont acceptables. Une autre, plus irrationnelle, n'est pas moins importante. Nous avons perdu le désir de nous-mêmes. Perdu le goût, la fierté de cette culture si française et si cosmopolite, de cette langue si singulière et si universelle, en même temps. Nous ne nous aimons plus. Comment aimer les autres, dès lors ?


Notre diplomatie culturelle, d'abord. Nos ambassades, il y a quelques décennies, abritaient de grandes figures de la culture française : Claudel, Saint-John Perse, Morand, Giraudoux, Gary...

Nos universités, ensuite. Elles sont aujourd'hui souvent incapables d'accueillir de grands écrivains francophones. L'attractivité des universités anglo-saxonnes, y compris auprès d'étudiants venant de pays francophones, est d'ailleurs écrasante. Autrefois, Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor étaient mieux accueillis dans les grandes écoles de la métropole...

Notre langue. C'est un fait qu'elle a perdu du terrain, un terrain considérable en vingt ans. L'anglais, l'espagnol, l'arabe, d'autres langues l'ont supplanté. Y compris dans de vieux pays francophiles, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, en Europe centrale, au Moyen-Orient, en Amérique latine où l'apprentissage du français n'est plus obligatoire ni encouragé dans l'enseignement local.

Notre culture. C'est probablement ce que nous avons de mieux à proposer au monde. L'État investit beaucoup. Nous sommes encore attendus à ce rendez-vous des valeurs et de la création. La mode, les parfums, le luxe... Nos industries culturelles sont cependant fragiles. Notre cinéma, souvent de qualité, s'exporte bien, même si, économiquement, il représente peu. La chanson française, les musiques actuelles redressent la tête. Notre théâtre, par-delà la réputation d'un Brook ou d'une Mnouchkine, mériterait d'être mieux connu. La danse, la musique, l'architecture et le design contemporains, les arts de la rue et du cirque franchissent allégrement les frontières.

Notre littérature. Ils ne sont pas si nombreux, hélas, les Salons du livre à l'étranger, comme celui de Beyrouth, qui invitent nos auteurs.


Si nos philosophes, nos auteurs de sciences humaines sont bien connus, il n'en va plus de même pour nos romanciers dont le déficit en terme de traduction est proportionnel à l'extraordinaire accueil que nous faisons en France aux traductions de la littérature étrangère. La situation, partout, est objectivement sinistrée. Si la fiction française est si peu traduite, c'est peut-être qu'on ne rêve ni n'imagine plus en français dans le monde.

Notre diversité culturelle ! C'est pourtant grâce à l'action de la France que l'Unesco a permis la ratification récente de la convention sur la diversité culturelle - ce que Max Weber appelait en son temps le « polythéisme des valeurs ». Mais que faisons-nous en France même de notre diversité francophone ? Tandis qu'en Afrique, en Belgique, en Suisse, au Québec ou dans d'autres pays, elle représente un enjeu, un défi, en France, malgré l'action de l'opiniâtre Abdou Diouf, elle ne mobilise guère le grand public.

Il faut que la France, grand pays de culture et de création, terre d'asile, laisse ouvertes ses portes aux intellectuels et aux artistes du monde entier qui veulent s'y installer, y vivre quelques années. On oublie de dire que la France doit également aujourd'hui sa réputation à une autre équipe, faite d'artistes, de créateurs, d'écrivains venus du Maghreb, du monde arabe ou d'Afrique noire et installés en France. Il faut penser à leurs cadets qui risquent grandement, faute d'avoir le bon passeport, d'être refoulés aux frontières de notre pays.


Ce sont pourtant aux artistes étrangers que Paris et la Fran­ce doivent une part de leur gloire ­au XXe siècle. D'autres font aujourd'hui honneur à la France... Le dernier Nobel vivant en France et écrivant en chinois, Gao Xingjian. Tous ces « doubles je » dont la contribution mériterait d'être mieux soulignée.

La France, ces dernières décennies, n'a guère revendiqué ce patrimoine de valeurs, ni beaucoup investi pour son image à l'étranger. Quelques bonnes nouvelles en cette fin de quinquennat, cependant. Le Quai d'Orsay relève enfin la tête et le défi de la mondialisation.

Une nouvelle agence cultu­relle, sur le modèle du British Council ; une autre, Campus France, chargée d'encourager l'accueil des étudiants étrangers en France ; une chaîne internationale télévisée d'informations, France 24. Mais ceci suffira-t-il à affirmer dans le monde l'universalité des valeurs chères à notre pays depuis les Lumières ?

Comment le monde pourrait-il encore avoir le « désir de France », puisqu'en France, nous l'avons perdu ou n'osons plus le revendiquer ? Que celles et ceux qui font aujourd'hui campagne pour l'élection présidentielle de 2007 n'oublient pas de placer en haut de leurs programmes la fierté qu'il y a à défendre et à faire prospérer une langue et une culture. Dans le vaste monde, certes. Au Salon du livre de Beyrouth, s'il se tient un jour... Mais en France évidemment ! Il y a urgence.



*Écrivain, directeur de Cultures-France ; écrivain, journaliste. Viennent de publier « Disparaître » (Gallimard).


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