Si les médias de Toronto commencent à en parler, c'est qu'il y a peut-être anguille sous roche. Ou, au moins, une opportunité à saisir. Dans l'édition électronique du Toronto Star de dimanche dernier, un long texte portait sur le potentiel du français comme troisième langue principale (core language) du continent nord-américain, après l'anglais et l'espagnol.
Quoi ? Le français une langue principale d'Amérique du Nord alors qu'on ne cesse de parler de sa fragilité au Canada, où elle est pourtant officielle, et même au Québec ? Ambitionne-t-on de re-franciser la Nouvelle Angleterre, la Louisiane et le Missouri ou, en tout cas, les comtés de Gastonnade, Audrain ou Marion ?
Mais ne concluons pas trop vite que la vingtaine d'universitaires américains, québécois, ontariens et acadiens, qui participaient le mois dernier au Maine à ce symposium dont fait état Philip Marchand dans son article intitulé Franco America, sont collectivement tombés sur la tête.
L'article du Star cite surtout le professeur Barry Rodrigue, de la University of Southern Maine, et deux géographes de l'université Laval, Eric Waddell et Dean Louder. Mais les historiens J. Yvon Thériault, un Acadien de l'Université d'Ottawa et Yves Frenette, le nouveau directeur du Centre de recherche en civilisation canadienne-française, du même établissement, y étaient également.
Le Franco-Américain Rodrigue voit grand. Tel que cité par Marchand (lui-même un Franco-Américain vivant à Toronto), il voit, d'ici 50 ans, l'Amérique du Nord devenir une grande fédération dictée par "la mondialisation et l'économie" et "dans cette fusion continentale, je vois le français, l'anglais et l'espagnol comme trois langues principales."
Les universitaires canadiens n'ont peut-être pas le même enthousiasme, mais ils se gardent bien de dire que leur collègue du Maine est devenu fou. S'ils se réunissaient dans cet état, en mars, c'était d'ailleurs pour poursuivre une réflexion déjà entamée sur le thème Le Québec et le continent, dans le but de publier un ouvrage collectif qui paraîtra en 2008.
"La situation de la langue française demeure très fragile (en Amérique du Nord), insiste prudemment Eric Waddell, géographe à l'Université Laval. Mais avec les tendances à l'intégration et le fait que ce soit une langue officielle au Canada, le français est déjà reconnu sur le continent par les instances internationales, avance-t-il.
"La langue française est tout d'un coup redevenue visible sur le continent, par exemple avec l'étiquetage qui est désormais souvent trilingue. Ça se passe. Pendant que l'on parle d'effritement linguistique, il y a ça, du moins, pour l'instant", poursuit-il. Et pour s'assurer d'être bien compris : "mais les assises (du français) restent très fragiles."
Oui, cela paraît utopique, à première vue, que de rêver d'une francophonie nord-américaine qui aurait un certain impact sur l'ensemble continental alors que moins de 3 % des Nord-Américains parlent cette langue, reconnaît J. Yvon Thériault.
"Mais il ne faut pas chercher, comme au Québec, à créer un projet de société autour de la langue française. Ce ne serait pas possible. Non, ce ne serait pas une société comme tel, mais davantage un réseau de sensibilités qui permettrait de reconstruire une certaine solidarité (francophone) nord-américaine qui n'est pas insignifiante", explique-t-il.
"C'est sûr, il y a une grande diversité d'espace et de profondeur (entre les locuteurs du français sur le continent), mais il existe quelque chose, des communautés qui sont encore là avec lesquelles nous avons des choses en commun", poursuit-il en évoquant notamment la Louisiane, où 250 000 Cadiens ont des racines françaises et où on a recommencé à enseigner la langue dans les écoles, ainsi que la région de San Francisco, en Californie.
Après tout, nous rappelaient l'automne dernier les auteurs Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow dans leur ouvrage The Story of French, 1,5 million d'Américains parlent français et il existe dans ce pays 10 000 professeurs de français.
Mais quelle est la différence entre ces descendants de Français, et les descendants de Grecs, d'Italiens ou de Polonais qui ont émigré aux États-Unis pour s'assimiler allégrement à la majorité anglo-saxonne, comme il leur était fortement suggéré de le faire ?
Philip Marchand cite l'historienne du New Hampshire, Melinda Marie Jetté. "Ces derniers, répond-elle, n'ont pas ces liens profonds et considérables avec la découverte et la conquête du continent, ou les rapports intimes avec les Premières nations américaines. Vous ne pouvez pas raconter ces histoires en excluant les Français. Les Chinois, les Italiens [...] pour une chose, ne se sont pas dispersés à travers le continent pour fonder des villages et des établissements comme les Français l'ont fait."
Hum ! Food for thought, diraient les Américains. Le géographe Eric Waddell indique qu'il n'a aucune idée où cette démarche aboutira. "Je jette une bouteille à la mer", dit-il. Et si cette bouteille flottait ?
La grande francophonie d'Amérique, projet du XXIe siècle ?
Par Adrien Cantin
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