La FTQ talonnée par le scandale

Le Fonds de solidarité se dit victime d'un traitement «partial et tendancieux»

Crime organisé et politique - collusion (privatisation de l'État)

Brian Myles - Les liens de la FTQ-Construction avec le crime organisé préoccupent l'entourage de son président, Michel Arsenault, mais l'un de ses principaux conseillers politiques, Gilles Audette, espérait toujours régler le problème à l'interne le printemps dernier. Au contraire, les révélations gênantes n'ont cessé de se multiplier sur la place publique.
L'équipe d'Enquête est revenue à la charge avec une émission d'une heure, hier à la SRC, au sujet des liens de proximité inquiétants entre l'ex-dirigeant de la FTQ-Construction Jocelyn Dupuis avec des membres du crime organisé.
Enquête a mis la main sur des conversations enregistrées à l'insu de M. Audette par Ken Pereira, directeur du syndicat des mécaniciens industriels. Le conseiller politique de la FTQ s'exprime en termes crus. «Nous autres, on n'y va pas dans les médias, lance M. Audette. On va laisser la poussière retomber. On va ramener les affaires à la FTQ-Construction.»
«Y'en aura pu de FTQ-Construction, tabarnak!
Les chiffres, ostie, les livres vont être ben tenus. Y'aura pas un câlice de mafioso pis de Hells qui va atteindre le Fonds de solidarité», ajoute M. Audette. Celui-ci laisse par ailleurs entendre que des «Italiens» voudraient «débarquer» Michel Arsenault de la FTQ. «Y débarquera pas, Michel Arsenault câlice!», s'exclame-t-il.
Plus tôt cette semaine, M. Audette a tenté d'obtenir une injonction de la Cour supérieure pour empêcher la diffusion du reportage d'Enquête, une requête rejetée par le juge Paul Chaput au nom du droit du public à l'information.
Communion télévisuelle
La diffusion du reportage a donné lieu à une véritable communion télévisuelle à la FTQ. Les membres du bureau de direction l'ont tous visionné ensemble hier soir. Le Fonds de solidarité de la FTQ (FSTQ) a démenti en bloc les allégations de Radio-Canada dans un communiqué de presse diffusé en soirée. «Le Fonds de solidarité FTQ n'octroie aucun passe-droit à quelque entrepreneur que ce soit et il n'est nullement infiltré par le crime organisé», affirme le communiqué.
Le FSTQ s'est dit étonné par le traitement «partial, tendancieux, voire calomnieux» de l'émission Enquête. Le Fonds dit détenir des preuves «d'un traitement volontairement incomplet. Des journalistes de la société d'État ont volontairement mis de côté des informations que le Fonds leur avait pourtant données en toute transparence», déplore le Fonds, qui a porté plainte à l'ombudsman de Radio-Canada.
Michel Arsenault fera la tournée des médias aujourd'hui pour répondre aux nombreuses allégations de copinage et de favoritisme qui entachent la réputation de la centrale syndicale. Président de la FTQ et président du conseil du FSTQ, M. Arsenault est en effet tombé dans la mire d'Enquête. C'est un ami personnel de l'entrepreneur Tony Accurso, mis en cause dans le scandale des compteurs d'eau à Montréal. Selon Enquête, M. Accurso a obtenu au fil des ans des contrats et des garanties de prêts de 400 millions de la FTQ et du FSTQ.
Par contre, le Fonds n'est plus actionnaire des entreprises de M. Accurso depuis presque deux ans. L'homme d'affaires a toujours respecté ses engagements envers le Fonds. Les placements dans ses entreprises ont permis au Fonds de réaliser des rendements historiques de 13 % par année.
Il n'en demeure pas moins que M. Arsenault a séjourné sur le fameux bateau de M. Accurso dans les Caraïbes. Il avait cependant assuré que Tony Accurso n'avait pas obtenu de traitement de faveur au Fonds. «Tony Accurso n'a pas de "fast track" au Fonds de solidarité. Ses dossiers sont traités pareil comme tous les autres dossiers», avait-il dit en mars dernier. Il a réitéré son propos dans son communiqué d'hier.
Or, trois ex-dirigeants du FSTQ affirment le contraire, sous le couvert de l'anonymat, dans le reportage présenté hier. «On ne le sait pas toujours que c'est un dossier Accurso. C'est lorsqu'on commence à fouiller qu'on s'aperçoit que, oups!, monsieur Accurso arrive dans le portrait», affirme l'un d'eux. L'homme prétend avoir perdu son poste parce qu'il a posé trop de questions à ce sujet.
Les trois sources imputent à Jean Lavallée, ex-président de la FTQ-Construction, une responsabilité dans la gestion prioritaire des dossiers de Tony Accurso. MM. Lavallée et Accurso sont également amis.
M. Lavallée a pris sa retraite de la FTQ-Construction, tandis que l'ex-directeur général du syndicat Jocelyn Dupuis a dû démissionner après que ses allocations de dépenses eurent été exposées sur la place publique (des factures de repas de 125 000 $ en six mois).
Jocelyn Dupuis aurait recouru aux services d'un influent membre des Hells Angels, Jacques Emond, afin d'influencer le vote lors des élections à la FTQ, en novembre dernier, dans une atmosphère à trancher au couteau. Jean Lavallée et Jocelyn Dupuis s'affrontaient par candidats interposés afin de maintenir leur emprise sur le syndicat. C'est finalement le poulain de M. Dupuis, Richard Goyette, qui l'a emporté.
Selon un délégué syndical interrogé par Enjeux, Michel Arsenault a pris la parole à la suite de l'élection pour vanter les mérites de Jean Lavallée et de Jocelyn Dupuis. Une pilule difficile à avaler pour certains délégués.
«Le crime organisé est partout dans l'industrie de la construction», résume Benoit Dubé dans le reportage. Une prise de position qui lui a coûté son emploi au syndicat des ferblantiers et couvreurs. «Vous avez participé à une communication publique à grande diffusion visant clairement à discréditer la FTQ-Construction et ses dirigeants en les associant au crime organisé», précise sa lettre de congédiement pour manque de loyauté envers l'organisation de la FTQ-Construction.


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