La fausse crise (2)

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor



Il était irresponsable, de la part de Jean Charest, de donner à la commission Bouchard-Taylor le mandat d'organiser des audiences publiques dans tout le Québec sur un sujet aussi sensible que l'immigration.

Inévitablement - et on le constate cette semaine -, l'opération allait permettre aux xénophobes de tout poil de se défouler sur le dos des minorités. Ce sera une grosse «ligne ouverte» itinérante - en pire, car à la radio, des recherchistes filtrent le contenu des appels, et l'animateur peut toujours couper la communication quand l'interlocuteur devient trop agressif. Que gagnera-t-on à cet exercice, sinon l'élargissement du fossé entre la majorité et les minorités, et le pourrissement du climat social à Montréal?
Déjà, des musulmans et des juifs qui n'ont rien à voir avec les minorités fondamentalistes se sentent cloués au pilori, et non sans raison. Plusieurs interventions ont en effet ciblé les Égyptiens (en général), les femmes voilées (même celles qui ne portent que le foulard), l'existence même de l'Hôpital général juif
Cette commission souffre de deux vices profonds. D'une part, en démocratie, on ne soumet pas le sort des minorités à la majorité (c'est pour cette raison qu'il existe des chartes des droits). D'autre part, comme je l'écrivais mardi, la commission est née d'une sur-dramatisation électoraliste d'incidents relativement mineurs qui auraient pu être réglés au sein des institutions existantes.
Le pire, c'est qu'une fois placée entre les mains de MM. Bouchard et Taylor, la commission allait prendre encore plus d'expansion, comme s'il s'agissait d'une grave crise nationale.
Les coprésidents n'ont pas voulu se contenter d'étudier la question des accommodements raisonnables; cet objectif trop modeste n'était sans doute pas à la hauteur de leur réputation. Ils ont décidé d'élargir leur mandat, et d'englober dans leur mire des notions aussi vastes et complexes que les niveaux d'immigration, l'interculturalisme, la diversité, la laïcité, l'avenir de la langue française, le modèle d'intégration socioculturel, et j'en passe. Qui trop embrasse mal étreint
Voilà ce qui arrive quand on confie une commission d'enquête à deux intellectuels de haute voltige: ils veulent placer toute la société en laboratoire, sans se rendre compte que ce faisant, ils vont faire sortir beaucoup de démons de l'éprouvette (notamment le racisme latent qui existe ici comme ailleurs), sans par ailleurs pouvoir apporter des solutions concrètes aux petits problèmes d'accommodation qui taraudaient les citoyens.
Par-dessus le marché, les coprésidents allaient s'adjoindre un comité consultatif de 15 personnes dont une seule est d'origine étrangère (bonjour la diversité) et dont 13 sont des universitaires. Bref, 15 intellectuels pour conseiller deux intellectuels, là où il aurait fallu des avocats (les «accommodements» sont en partie une question juridique) et des gens dotés d'une expérience concrète en matière d'immigration et d'intégration.
N'importe quel directeur d'école ou de CLSC, dans les quartiers multiculturels de Montréal, en connaît plus long sur le sujet que le groupe dit des «sages» (exception faite de Marie McAndrew, la spécialiste reconnue des rapports ethniques qui aurait dû être nommée commissaire). Le comité consultatif, enfin, ne compte qu'un anglophone, bien que la communauté anglaise de Montréal soit depuis longtemps habituée à côtoyer des immigrants.
La nomination de Gérard Bouchard était en outre contestable, non en raison de ses qualités intellectuelles (l'homme est un chercheur distingué), mais parce qu'il ne connaît rien aux réalités multiculturelles montréalaises, ayant vécu toute sa vie à Chicoutimi.
Lors d'une entrevue à La Presse, cet été, il avait sidéré mes collègues en les entretenant avec enthousiasme de l'extraordinaire diversité du boulevard Saint-Laurent, avec ses cafés ethniques, etc. Le pauvre venait de découvrir la Main qui a toujours été cosmopolite!
De la même façon, il s'émerveillait l'autre jour de l' «ouverture» manifestée par des étudiants réunis à Montréal pour un colloque sur l'immigration Comme s'il ignorait que ces jeunes étaient le produit des écoles françaises multiculturelles nées de la loi 101!
M. Bouchard est lui-même porté à la sur-dramatisation. Il considère que les Québécois «ont perdu leurs traditions et leurs repères», qu'ils vivent un «malaise identitaire» L'un de ses récents ouvrages est un sondage effectué auprès de 143 intellectuels intitulé La culture québécoise est-elle en crise? Pourquoi être parti de ce postulat?
L'angoisse identitaire qui marque la démarche de M. Bouchard risque d'être ici, dans le contexte d'une commission sur la diversité culturelle, très mauvaise conseillère.


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