'Le nazisme et nous - La modernité et ses dérapages', de Jean-François Lessard

La face sombre de la modernité

cet essai nous invite à prévenir le pire en renouant avec une conception de l'autonomie moderne à la fois privée et publique.

Livres-revues-arts 2011





o Le nazisme et nous - La modernité et ses dérapages
_ o Jean-François Lessard
_ o Liber
_ o Montréal, 2010, 214 pages

Peut-on considérer le nazisme comme un délire antimoderne, typiquement allemand et appartenant strictement à un passé révolu? Attention, répond le politologue Jean-François Lessard dans un savant essai intitulé Le nazisme et nous. La modernité et ses dérapages. «Loin d'être en opposition avec les forces du progrès et les grandes dynamiques de la civilisation dans laquelle nous nous situons, écrit-il, le nazisme est un aboutissement de la modernité elle-même.» Presque toujours associée aux idées de progrès et d'autonomie, cette dernière révèle pourtant des aspects très sombres qui n'ont pas disparu depuis l'échec de l'expérience nazie. Lessard se propose de les penser pour nous mettre en garde contre leur retour.
Le nazisme, avec sa «glorification des racines, de la campagne, du travail manuel, son rejet du capitalisme, de la ville et de la notion de progrès», présente bel et bien une face antimoderne. Toutefois, son recours massif à la science et à la technologie le rattache plutôt à la modernité. L'Allemagne, affirme cette idéologie, a besoin de la technologie pour exprimer sa volonté de puissance et de la science pour appuyer son argument racial de la supériorité aryenne. L'État nazi se fera d'ailleurs très interventionniste en éliminant les êtres considérés comme inférieurs et en faisant mousser une politique hygiéniste (lutte contre le tabac, le cancer, le sucre et les graisses animales) à l'intention des Aryens. Le nazisme est donc à la fois conservateur et révolutionnaire.
L'Holocauste même est une manifestation d'inhumanité moderne. Il a été rendu possible par un processus de mise à distance entre les bourreaux et les victimes. Les recherches de Stanley Milgram ont montré que, «dès lors qu'on a réussi à séparer la victime du sujet et que le sujet s'identifie à l'autorité, on peut envisager le pire». Dans le traitement qu'ils ont réservé aux Juifs, les nazis ont poussé à fond ces processus de distanciation et de déresponsabilisation, notamment par l'usage de la technologie. «L'organisation moderne, explique Lessard, la complexification résultant du développement de la bureaucratie et du recours à la technologie permettent l'oblitération de l'implication et de la responsabilité individuelles.»
Lessard consacre des pages bril-lantes et détaillées à montrer que la thèse du «chemin particulier» de l'Allemagne ne suffit pas à expliquer le surgissement du nazisme. L'antisémitisme, le nationalisme exacerbé et les thèses raciales étaient alors très répandus en Europe. À ce compte, écrit le politologue, «la France et la Russie, entre autres, auraient également pu être des lieux très propices à l'apparition [du nazisme]». L'essentiel de la thèse, toutefois, est ailleurs, c'est-à-dire dans la démonstration du caractère «intrinsèquement moderne» du nazisme.
Une idéologie de la rupture
La modernité se conçoit et procède sur le mode de la rupture. Avec Descartes, la connaissance acquise remplace la connaissance révélée. Avec Hobbes et Locke, l'individu devient le nouvel acteur central, le fondement de l'État par le contrat social. Il a des droits et il lui revient de modifier le monde. Sur le plan politique, la rupture passe par la révolution, vécue comme une libération, les droits de l'homme et la nation. L'industrialisation, avec l'urbanisation qui l'accompagne, incarne la rupture technologique.
Dans ce processus, la conscience de l'homme est modifiée. Max Weber parle du développement de la raison instrumentale, cette éthique moderne, explique Lessard, dominée par un «désir de rationalité qui cherche par les moyens les plus simples et les plus directs à parvenir à un objectif spécifique». La modernité, résume Lessard, c'est donc, «d'un côté, libération et autonomie; de l'autre, vacillations morales, voire tentations nihilistes, et sentiment d'impuissance. L'individu moderne est l'architecte de son devenir, cela peut être à la fois enivrant et inquiétant.» La religion d'hier, qui s'imposait à l'homme de l'extérieur, ne tient plus. L'homme autonome retrouve la transcendance, le sacré, dans l'immanence (idéologies et mythes modernes, comme le progrès ou la nation).
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Le nazisme correspondrait à ce schéma. Il décrète que la modernité est un échec, mais il propose une nouvelle rupture, c'est-à-dire une «réponse pleinement moderne», pour en sortir. «Il requiert une nouvelle ingénierie humaine, sociale et politique», continue Lessard, et il advient dans un cadre déjà moderne où la morale est fragile. L'individu, rappelons-le, y est la «référence première», et sa conscience est dominée par la raison instrumentale, qui lui fait «prendre en compte d'abord et avant tout ce qui est de l'ordre de l'avantageux et de l'utile pour lui». La modernité, insiste le politologue, peut produire des êtres autonomes à l'esprit critique, mais elle ébranle la morale et entraîne une grande solitude individuelle. Dans une situation trouble, le pire, comme l'expérience nazie, devient possible.
De quelle manière cela nous concerne-t-il aujourd'hui, comme le suggère le «nous» du titre de ce livre? Nous vivons, propose Lessard, dans un monde où «les espoirs d'émancipation semblent pour l'essentiel disparus» et ont été remplacés par un sentiment de crainte (économique, écologique, etc.). Le néolibéralisme, «la forme principale d'expression de la raison instrumentale», domine. La pensée utilitaire s'impose partout. Nous sommes de plus en plus condamnés à chercher individuellement un sens à notre vie. Le libéralisme se présente comme une doctrine neutre, mais il ne l'est pas. Son culte de l'intérêt privé et du bonheur individuel entraîne une dépolitisation des sociétés, une «morale de la déliaison».
Le néolibéralisme chante l'autonomie individuelle, mais il dépossède l'individu de son droit de regard sur les affaires publiques et l'abandonne à un univers de concurrence exacerbée où règnent «la décomposition sociale» et «l'enfermement individualiste», terreaux propices à une «corruption morale accélérée» et à une montée de la désespérance.
«Il ne reste plus qu'à espérer que le jour où l'homme du ressentiment fera basculer l'ordre en place, écrit gravement Jean-François Lessard, qui n'a pourtant rien d'un gauchiste exalté, il ne versera pas à nouveau dans des pathologies collectives inédites.» Costaud, cet essai nous invite à prévenir le pire en renouant avec une conception de l'autonomie moderne à la fois privée et publique.
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louisco@sympatico.ca


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    8 janvier 2011

    Le rêve d'Adolf Hitler était de ressusciter l'empire romain esclavagiste contre les catholiques les juifs, toutes les minorités et les bolchévistes donc principalement les Slaves .
    Ses méthodes furent les faux accords pour diviser et régner, le racisme contre les latins d'Europe de l'Ouest et les slaves d'europe de l'est et la violence extrème contre tous sauf ceux qu'il manipula pour s'armer les saxons et les protestants
    Bilan 40 millions de catholiques massacrés et 14 millions de toutes les autres dénominations et ceci en généralisant l'avortement les suicides assistés et l'euthanasie en plus du travail forcé .
    Le héros d'Hitler était l'empereur Julien
    Et tous ces rêves morbides d'Hitler est ses nazis vous pouvez les lire dans le Libres propos d'Adolf Hitler édition Flammarion 2 tomes 1954 +rééditions

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