Essais québécois

Une éthique argumentée

Livres-revues-arts 2011



Les débats éthiques sont plus que jamais à la mode. Aux classiques discussions à teneur morale sur l'avortement et la peine de mort se sont ajoutés, ces dernières années, les débats sur les accommodements raisonnables, sur l'euthanasie, sur l'intervention militaire en Afghanistan, sur l'attitude à adopter quant au réchauffement climatique et plusieurs autres.
Ces discussions débouchent rarement sur des consensus. Comme l'explique Michel Métayer, professeur de philosophie au collégial à la retraite, «l'éthique ne dispose pas, comme les sciences naturelles par exemple, de méthodes d'observation et d'expérimentation éprouvées permettant de trancher les débats». De plus, pourrait-on ajouter, à l'heure de débattre de ces enjeux, les gens sont souvent paresseux. Au lieu de se livrer à un véritable effort réflexif, ils ressortent un stock basique d'opinions auxquelles ils s'accrochent. «La morale, écrit Métayer, met en jeu des convictions, des attitudes, des mentalités, des intérêts vitaux, bref des ressorts qui ont un ancrage profond et qu'il est illusoire de penser briser par le coup de baguette magique d'un argument bien tourné.»
Cette difficulté à clore les débats éthiques ne doit pourtant pas nous mener à la conclusion qu'ils sont inutiles. Ils peuvent servir, suggère le philosophe, à préciser les enjeux, à stimuler la réflexion, à «mettre à l'épreuve ses propres positions», à mieux comprendre celles d'autrui et, sans nécessairement le convaincre, à «montrer à l'autre que nous avons des raisons sérieuses et valables de tenir notre position». Encore faut-il, pour cela, que ces débats soient menés de bonne foi et avec une certaine méthode, même si cette dernière ne saurait avoir la rigueur formelle des déductions logiques. En publiant un Petit guide d'argumentation éthique, Métayer veut contribuer à cette pédagogie du débat.
«Une argumentation éthique, précise-t-il, est une manière d'exprimer une conviction à propos d'un enjeu moral.» Elle fait appel à six stratégies générales, qui constituent le coeur de l'ouvrage de Métayer, très riche en exemples concrets.
Une argumentation étant un raisonnement, on s'attend à ce qu'elle soit cohérente. Dans le débat, la mise en contradiction devient donc une stratégie essentielle. Une faille, par exemple, peut exister entre les paroles et les actes. Au moment où il affirme l'égalité entre tous les humains, le président américain Jefferson a des esclaves. Pas fort.
On peut aussi pousser les implications logiques d'un raisonnement pour en faire ressortir les contradictions. Dans le débat sur la peine de mort, on avancera alors que «tuer quelqu'un qui a tué revient à violer l'interdit même qu'on l'accuse d'avoir transgressé». Une autre utilisation de la mise en contradiction consiste à montrer qu'un raisonnement qui se veut universel ne résiste pas à certains cas particuliers. Selon un sondage, 57 % des Américains pensent que l'avortement est un meurtre, mais 85 % d'entre eux croient qu'il est acceptable si la vie de la mère est en danger. Or, précise Métayer, «il n'est jamais permis dans quelque situation que ce soit de la vie normale de tuer une personne pour sauver la vie d'une autre». Aussi, le fait qu'une majorité de personnes acceptent cette situation dans le cas du foetus et de la mère suggère que «l'avortement n'est pas un meurtre comme les autres».
Pour éviter ces mises en contradiction, propose le philosophe, mieux vaut formuler des jugements généraux plutôt qu'universels et tenir compte de la particularité d'une situation. Ainsi, «pour un partisan de la peine de mort, c'est tuer des innocents qui est mal, pas tuer des meurtriers».
La multiplicité des critères éthiques (liberté/égalité, sécurité/respect de la vie privée, etc.) permet aussi, dans le débat, la stratégie du changement de terrain ou du recadrage. Pierre Foglia est un maître en la matière. Le dopage, dit-on, trahit l'esprit du sport de compétition. Le chroniqueur de La Presse réplique en donnant un nouvel éclairage à la discussion. «Et si le sport de haute compétition, écrit-il, était lui-même une dope [...] qui infantilise les adultes qui s'y adonnent et les rend incapables de se projeter dans l'avenir?» Ce recadrage, en suggérant que le sport de compétition est une dope toxique en lui-même, oblige à repenser la dénonciation initiale.
L'argumentation éthique consiste à appliquer un critère général à un cas particulier. Ce saut comporte toujours une part d'arbitraire. Aussi, pour le justifier ou le réfuter, on choisira souvent d'avancer d'autres cas particuliers similaires, c'est-à-dire de procéder par analogie. On dira, par exemple, qu'en interdisant l'euthanasie aux mourants humains, on refuse un geste de compassion qu'on accorde aux animaux. Il s'agit alors de juger de la pertinence des analogies. Ainsi, quand Mario Dumont dit qu'il en a marre qu'on enlève les crucifix des écoles, mais qu'on y laisse entrer des sikhs avec leur kirpan, il utilise une analogie douteuse. L'école est une institution publique soumise à des règles qui ne s'appliquent pas de la même façon aux personnes. On n'interdit pas aux chrétiens de porter une croix au cou.
La véracité des faits est aussi un critère essentiel d'une argumentation éthique valable. Malheureusement, ce critère n'est pas toujours respecté. «Bien s'informer demande du temps, constate Métayer, alors que porter un jugement moral est un automatisme qui s'effectue en quelques secondes.» On l'a vu dans le débat sur les accommodements raisonnables. Le vote voilé soulevait les passions, même si aucune femme portant le voile n'avait formulé cette demande. Le respect des faits est fondamental, mais a souvent peu d'effets puisque les humains ont une propension à limiter ce respect à leur expérience personnelle. La criminalité a beau être en baisse, Pierre-Hugues Boisvenu refuse d'y croire.
Dans ce très riche et pédagogique ouvrage, Métayer traite aussi de l'importance des intentions en éthique (on peut faire le mal en voulant faire le bien), de l'évaluation de la responsabilité (le criminel au passé de victime est-il pleinement responsable?) et de bien d'autres considérations essentielles à des débats éthiques constructifs.
Tous ceux qui s'intéressent à ces discussions devraient se faire un devoir moral de lire cet éclairant petit guide. Pourquoi ne pas faire du souci d'une éthique de la discussion éthique une résolution pour 2011?
***
Petit guide d'argumentation éthique

o Michel Métayer

o PUL

o Québec, 2010, 156 pages
***
louisco@sympatico.ca


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->