La dilapidation de la richesse

CDPQ-Subprimes - qui sont les coupables?


L’économie québécoise vient d’encaisser un formidable coup de poing sur la gueule avec l’appréciation en quelques années de 30% de la valeur du dollar canadien. Groggy, elle tient encore debout, mais elle risque à tout moment de se mettre à tituber et s’écrouler au plancher knock-out. Et ce n’est pas en lui passant sous le nez les sels de la réduction de la taxe sur le capital ou la baisse du taux marginal effectif d’imposition des entreprises qu’on va la réanimer.
L’économie québécoise subit les contrecoups des bouleversements de l’économie canadienne. La mesure de ces perturbations se révèle dans la querelle en cours entre le ministre fédéral des Finances Jim Flaherty et le premier ministre ontarien Dalton McGuinty. Elle est annonciatrice de la grave crise politique en gestation au Canada et illustre la marginalisation complète du Québec.
La dislocation du Canada
L’extraordinaire boom économique résultant de l’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta et l’absence de répartition de cette incroyable richesse à travers le Canada créent deux économies, l’une en pleine expansion, l’autre bientôt en récession. Le déséquilibre économique et fiscal entre l’Alberta et le reste du pays éclipse toutes les autres dissymétries.
Il y a deux ans, des économistes du Canadian Research Institute de Calgary ont calculé que l’exploitation des sables bitumineux ajouterait 800 milliards $ au Produit national brut du pays au cours des deux premières décennies de ce siècle. De ce total, 635 milliards iront à l’Alberta et 100 milliards aux banquiers de Toronto. Ces prévisions sont jugées aujourd’hui timides. Les projets d’investissements dans les sables bitumineux s’élèvent à 90 milliards $, ce qui en fait le plus gros projet industriel au monde.
Le Produit national brut (PNB) de l’Alberta est de 71 200 $ per capita, soit 60 % supérieur à celui de l’Ontario. L’output économique per capita est le double de celui du Québec. Le gouvernement albertain accapare 61 % des taxes directes et indirectes provenant de l’exploitation des sables bitumineux. La province n’a pas de dettes, son niveau de taxation est le plus bas au pays et il y a 16 milliards $ dans le bas de laine, le Heritage Fund, malgré le fait que l’Alberta est sans doute l’endroit au monde où les compagnies pétrolières paient les plus faibles royalties.
L’exploitation pétrolière ne fait pas qu’enrichir l’Alberta. Elle appauvrit l’Ontario et le Québec. Chaque 10 $ d’augmentation du prix du baril de pétrole entraîne une hausse de trois cents du dollar canadien, rendant d’autant moins compétitifs les secteurs industriels. Un handicap qui s’ajoute bien évidemment à la hausse des coûts de production résultant de l’augmentation du prix du pétrole.
L’Ouest mène le jeu
Il y a trente ans, le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau avait fait main basse sur les profits pétroliers avec sa Nouvelle politique économique pour en faire profiter l’industrie ontarienne et, dans une moindre mesure, québécoise au grand dam du gouvernement albertain et des États-Unis. Aujourd’hui, la situation est complètement inversée. Les États-Unis ont sécurisé leur approvisionnement en pétrole à la faveur de l’ALENA et le premier ministre Stephen Harper, lié aux intérêts pétroliers de l’Ouest du pays, proclame son intention de faire du Canada une « superpuissance énergétique ».
L’arrogance du ministre fédéral des Finances à l’égard du premier ministre ontarien témoigne du déplacement du pouvoir de l’Ontario vers l’Ouest du pays. À un Dalton McGuinty qui lui demande de venir en aide à l’industrie ontarienne, et plus particulièrement au secteur automobile qui en est le cœur, Jim Flaherty répond qu’il préfère consacrer ses surplus au remboursement de la dette et conseille à McGuinty de réduire sa taxe sur le capital et de baisser le taux marginal effectif d’imposition des entreprises pour attirer des investissements.
Dans ces circonstances, il ne serait pas étonnant que l’Ontario, en vertu de vieux réflexes ataviques, cherche à se renflouer sur le dos du Québec. La prise de contrôle de la Bourse de Montréal par la Bourse de Toronto en est une première illustration.
La fin du Québec inc.
Dans ce nouveau contexte canadien et mondial, le Québec est particulièrement vulnérable. Ses secteurs manufacturiers et forestiers, déjà aux prises avec la récession américaine et la concurrence asiatique, sont frappés de plein fouet par la hausse du dollar. Des scieries, des usines ferment. D’autres comme Bombardier menacent de délocaliser leur production dans d’autres pays. Des joyaux comme Domtar ou l’Alcan passent en des mains étrangères. Des industries stratégiques comme Pétromont déposent leur bilan.
Au cours de la Révolution tranquille, le Québec s’était doté d’instruments économiques pour faire face à de telles situations. Mais, dernièrement, M. Jacques Parizeau constatait que le Québec inc., dont il a été le principal artisan, n’existe plus. Finie la concertation entre des institutions comme la Caisse de dépôt, le Mouvement Desjardins, la Banque Nationale, la Société générale de financement, le Fonds de solidarité et autres institutions québécoises pour des interventions ciblées afin de garder au Québec des centres de décision clés.
Les preux chevaliers de la « garde montante » des années 1980 ont vendu leurs entreprises à des intérêts étrangers et vivent de leurs rentes. Quant aux gestionnaires d’institutions comme la Caisse de dépôt ou la Banque Nationale, ensorcelés par le discours néolibéral, ils jouent imprudemment les économies des Québécois dans le casino financier mondial en accumulant au passage de grandes quantités de ces fameux papiers commerciaux adossés à des actifs.
Le plus extraordinaire dans tout cela est l’absence quasi totale de réaction des milieux souverainistes au constat de M. Parizeau. Pourtant, il devrait être clair que la situation économique du Québec ne se redressera pas avec la réduction de la taxe sur le capital ou la baisse du taux marginal effectif d’imposition consenties à des entreprises, pour la plupart étrangères, qui s’empresseront de refiler l’aubaine à leurs actionnaires sous forme de dividendes ou de la transférer dans des paradis fiscaux.
Le Québec doit faire bande à part
Dans le nouveau contexte canadien créé par le boom pétrolier en Alberta, le Québec n’a d’autre choix que de faire bande à part à moins de se placer dans une position d’éternel quémandeur, avec pour seule perspective de voir tomber dans son écuelle ce qui aura échappé à l’Ontario.
Le Québec doit se donner comme perspective l’ambitieux projet de réduire sa dépendance aux produits pétroliers en développant ses propres ressources énergétiques hydro-électriques, éoliennes et autres sources d’énergie renouvelables. Au cœur de ce projet, il y a celui du développement d’un vaste réseau de transports en commun dans les villes et entre les villes et régions du Québec.
Le Québec ne produit pas d’automobiles et n’extrait pas de pétrole. Mais il produit de l’électricité, de l’aluminium et possède l’expertise pour la production de tramways, de métros et de trains rapides. Couplé à une véritable politique d’occupation du territoire et d’émigration de la grande ville vers les régions périphériques, le train moderne peut recréer les régions, comme l’automobile a créé la banlieue et le métro la ville souterraine. Le maître d’œuvre d’un si vaste projet ne peut être que l’État québécois par l’intermédiaire de sociétés comme Hydro-Québec, la Caisse de dépôt, la SGF et autres sociétés d’État.
Deux voies
Finalement, le choix est simple. Ou bien nous suivons les préceptes du ministre fédéral Jim Flaherty et nous nous engageons dans la spirale des réductions de la taxe sur le capital et du taux marginal effectif d’imposition des entreprises pour attirer les investissements étrangers. Une approche qui s’accompagne inévitablement de remises en question des acquis sociaux, syndicaux et environnementaux. C’est déjà le programme du Parti libéral, de l’ADQ et surtout de l’Institut économique de Montréal.
Ou bien nous renouons avec l’esprit de la Révolution tranquille en privilégiant les interventions publiques dans l’économie et nous réhabilitons le rôle de l’État, notre seul outil collectif. Cependant, nous ne pourrons nous contenter d’un demi-État. Aujourd’hui, l’intervention étatique compte pour plus de 50% dans la création de la richesse d’un pays. Avec un demi-État, nous ne pouvons aspirer qu’à de la demi-richesse. Devant la perspective d’une récession en Amérique du Nord et de la dislocation du Canada, l’indépendance du Québec s’impose comme une absolue nécessité.
Marc Laviolette et Pierre Dubuc
Président et secrétaire de Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre)


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