La Déséducation tranquille

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De qui les jeunes Québécois sont-ils les héritiers ?


Important : le texte qui suit n’est en aucun cas une vindicte contre le corps enseignant à qui, au vu des circonstances dans lesquelles il pratique, je ne lèverai jamais mon chapeau assez haut.


Je confiais récemment à un ami que je n’avais jamais entendu consciemment la voix de Bernard Landry avant que celui-ci ne nous quitte, quelques jours plutôt. Pire, que malgré le fait que je savais qu’il avait été Premier ministre du Québec, je ne savais pas trop, en revanche, quelles avaient été ses réalisations précisément. Il s’est alors mis à défiler le nom des grands acteurs du Québec de la Révolution tranquille et, bien que j’en connaissais certains et comme ce n’est pas ma période de prédilection, je ne savais pas trop non plus qui avait fait ou avait été quoi. Les yeux ronds comme des billes, mon ami m’a dit : « si toi tu ne sais pas ces choses, alors c’est grave ». Il savait que j’avais toujours été une élève particulièrement douée et très précoce dans son étude, pourtant, le constat de tout ce que je ne savais pas et ce dont je n’avais pas ou si peu entendu parler à l’école ne lui sciait pas moins les jambes. De fait, la déclaration de mon ami sous-entendait surtout « si toi tu ne sais pas, alors qu’en est-il pour la vaste majorité d’élèves moyens ou en difficulté? »


Pourquoi avouer une telle chose et risquer de passer pour moins cultivée que je le suis, alors que je possède néanmoins une culture générale dont je n’ai absolument pas à rougir? J’aurais très bien pu continuer d’avancer dans le monde des idées sans révéler ces failles. Simplement, je ne pouvais pas dire ce que je m’apprête à avancer sans me prêter comme exemple.


En toute franchise, plus j’avance en âge et en humilité, plus je prends conscience des trous béants présents dans ma culture. Pourtant, j’ai toujours été passionnée par l’étude. J’écoutais en classe, je faisais mes devoirs, je participais et j’ai eu de bons professeurs. Alors qu’est-ce qui s’est passé?


Je réalise aujourd’hui comme ma génération et celles qui ont suivi ont payé très cher pour 1995. On était passé trop proche, ça ne pouvait pas rester impuni et il fallait trouver le moyen de nous enlever le goût de recommencer. Même si les fédéraux n’y sont pas allés de leurs traditionnelles méthodes répressives, les conséquences de l’échec du dernier référendum n’ont pas été moins brutales, même si plus subtiles.


Le cours classique n’était peut-être plus enseigné depuis la Révolution tranquille, mais la fin de la dernière décennie du millénaire s’est embarquée dans un sordide manège de réformes scolaires qui, petit à petit, a nivelé toutes les matières vers le bas. Qui a fini par démoniser le cours magistral au détriment d’une éducation morcelée, laxiste et approximative, mais ultra pédagogique, centrée bien davantage sur le vouloir de l’étudiant que sur ses réels besoins intellectuels.


On a affaibli la confiance naturelle qu’a instinctivement l’élève en le savoir de ses professeurs, ainsi que toute notion d’effort à la tâche. On s’est mis à bourrer les classes à rebord, à droguer les enfants pour qu’ils restent tranquilles, pour mieux se surprendre ensuite de leur agressivité et de leur état dépressif. On a dépossédé les professeurs de leur autorité, de leurs ressources les plus élémentaires. On a amoindri la primauté de leur mission et le respect envers leurs fonctions, pour en faire des amis-intervenants interchangeables et tenus perpétuellement en joug par l’humeur des nouveaux étudiants-rois-despotes et de leurs parents.


L’avantage, c’est qu’aujourd’hui, sur cette tribune et du haut de mes 28 ans, je peux dénoncer ce que je considère être le véritable assassinat programmé de l’esprit des jeunes Québécois. Mon expérience est celle de la première ligne, de l’infanterie. Je ne suis pas une spécialiste mandatée. J’ai vécu la Déséducation tranquille de l’intérieur et j’ai continué de l’observer par le biais de mes deux jeunes frères.


Oh, je ne dis pas que l’histoire du Québec n’est pas enseignée du tout dans les écoles, mais elle l’est trop tard et d’une manière telle que c’est la première chose qu’on oublie ci tôt qu’on finit le secondaire. Ce n’est pas normal qu’on soit initié à la philosophie seulement au cégep. Ce n’est pas normal que soit confié l’enseignement de notre langue à des gens qui peinent à l’écrire sans fautes. Ce n’est pas normal que nos cours d’histoire nationale soient presque inexistants ou à mots couverts. Ce n’est pas normal, mais ça l’est devenu et elle est là, la grande punition pour avoir voulu nous appartenir. C’est comme ça que s’est s’opéré le redoutable travail de sape sur les nouvelles générations, déconnectées de ses humanités et de son histoire, et qui a engendrée une jeunesse qui frôle l’illettrisme, pleine d’orgueil, mais sans fierté.


Je ne jette pas la pierre aux plus jeunes, je vous assure. Je les comprends. Je suis passée par là, parce que tout ce que je viens d’écrire est très exactement ce qui m’a conduit à violemment rejeter mon identité, à l’adolescence et au début de l’âge adulte. C’est très exactement ce qui m’a fait avoir honte de mes origines et de mes aïeux qu’on m’a enseigné être des éternels perdants, alors que j’avais tant soif de cette grandeur ordonnée par ma jeunesse. C’est très exactement ce qui a transformé mon héritage en un fardeau dont j’ai voulu me défaire par tous les moyens. Par chance, il m’a été donné de croiser de véritables patriotes dont l’étincelle dans le regard m’a poussé à me demander ce qu’ils savaient et qui moi, m’échappait...


Pourquoi une telle entreprise et quel est le rapport avec 1995? Je crois que c’est parce que l’ignorance nous isole les un des autres. Parce qu’elle nous fait honte. Qu’elle nous retient de participer à l’essor et aux réalisations de la Cité. Qu’elle nous proscrit même de nous y intéresser.


C’est elle qui nous pousse à nous contenter de notre petit pain, parce qu’elle nous persuade que nous n’avons pas ce qu’il faut pour comprendre ou pour bien nous exprimer et qu’il vaudra toujours mieux de rester à notre place. C’est une prison tordue ou le prisonnier est en même temps son juge et son geôlier. Une prison qui s’assure surtout qu’il n’y ait plus de cohésion sociale, car à un esprit confondu et apeuré, on peut faire croire, les doigts dans le nez, qu’identité rime avec haine de l’autre et que souveraineté est synonyme de fermeture.


Ce qu’on appelle un génocide culturel ne se fait pas systématiquement dans la violence ouverte ou dans un bain de sang. Il se fait aussi en rongeant morceau par morceau l’identité d’un peuple, en tournant ce qui reste en ridicule et en l’abrutissant de confort matériel. Le mal de l’humiliation est ce qui a toujours su mettre les esprits en berne et il est urgent de prendre conscience que ce n’est pas parce que les Québécois ont traditionnellement la peau blanche que c’est moins grave pour nous que pour les autres.


Sur ce, je retourne lire et étudier, parce que plus j’avance, plus je découvre que notre histoire n’a rien à envier aux vieux pays, qu’elle est noble, magnifique et qu’elle n’est pas à renier. Ce que j’ignore encore me donne l’énergie de continuer, parce que je sais que dans l’avenir, je m’envierai l’excitation face à tout ce que je m’apprête à découvrir. Je veux tellement tout savoir, parce que plus je sais, plus je me connais.


Et en terminant, Monsieur Landry, où que vous soyez, je vous remercie du fond du cœur, car en plus de tout ce que vous avez fait et été pour le Québec – même si je sais pas tout encore —, je réalise que votre départ, loin d’être une fin, aura engendré une réflexion qui, je l’espère, contribuera à rendre leur éducation aux enfants du pays.


Je crois que c’est la plus belle chose que vous pouviez encore faire pour nous.