La crise étudiante

Tribune libre

Heureux d’un printemps
Qui m’chauffe la couenne (…)
On vit rien qu’au printemps (…)
Paul Piché
Il y a à peine un an, mais on dirait que cela fait 100 ans tant le silence de la rue est devenue assourdissant, avaient lieu les manifestations étudiantes contre la hausse des frais de scolarité de 75 % en 5 ans ; ceux-ci devaient passer de 2 168 $ en 2011-2012 pour atteindre 3 793 $ en 2016-2017. Cette proposition faisait suite à la majoration de 50 $ par semestre des droits de scolarité pour les années 2006-2007 à 2011-2012. N’importe quel contribuable normalement constitué aurait au moins protesté contre un tel rattrapage, ce que les étudiants universitaires parmi les plus lucides n’ont pas manqué de faire. Précisons que les étudiants québécois qui suivent un programme menant à un diplôme d'études collégiales (DEC) n'ont pas à payer de droits de scolarité comme tel, s'ils sont inscrits à temps plein dans un établissement public ; ils doivent cependant acquitter des frais afférents tels les droits d’admission et d’inscription, les droits pour les services aux étudiants ou les droits d’association. Mais, comme plusieurs collégiens poursuivront leurs études à l’université, c’est normal qu’ils se soient mobilisés, compte tenu de la facture qui les attend à l’université, même s’ils n’étaient pas immédiatement touchés.
L’ampleur, la durée et la violence de la crise étudiante du printemps 2012 en a surpris plusieurs ; personne ne s’attendait à une telle démonstration de force. Maintenant que la poussière est retombée, que le ministre de l’Éducation Pierre Duchesne a su réconcilier tous les acteurs concernés, il est peut-être intéressant de revoir certains paramètres du conflit, dont le principal : les droits de scolarité. Dans un document de 2012 intitulé Indicateurs de l’éducation, publié conjointement par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport et le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, le lecteur curieux constatera que pour l’année 2011-2012, la moyenne des droits de scolarité des universitaires québécois inscrits à temps plein au premier cycle s’élevait à 2 519 $ (incluant les non résidents qui paient un montant supplémentaire), comparativement à 5 994 $ ailleurs au Canada. En plus, l’aide financière aux études sous forme de bourses a plus que doublé entre 2003-2004 et 2013-2114, passant de 211,8 millions $ à 549,7 $ millions $ (Conseil du Trésor, crédits afférents à l’éducation, programme 3). Ironiquement d’ailleurs, un document de la Confédération des associations d’étudiants de l’Université Laval (CADEUL), Le financement sur le grill, novembre 2009, démontre clairement que le Canada, a fortiori le Québec, se situent dans la bonne moyenne des 34 pays membres de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) qui allouent le plus de fonds publics à l’éducation, autour de 66 % dans les cas du Québec. Pour les collèges d’enseignement général et professionnel (CEGEP), une institution propre au Québec, le ratio grimpe à près de 90 %.
Ces données suggèrent qu’il n’y avait pas lieu, au printemps 2012, d’enclencher une révolution. Alors, d’où venaient les pressions à la hausse sur les frais de scolarité universitaires préparée de longue date par un intense battage médiatique sur le sous-financement chronique des universités ? Selon les données du fonds des immobilisations des universités québécoises, entre 1997-1998 et 2011-2012, les investissements immobiliers universitaires, terrains et bâtiments, ont augmenté, de plus de 3 milliards $, plus de 100 %, pour répondre à une hausse « effarante » de clientèle d’environ 25 % pour la même période. On peut difficilement justifier l’un par l’autre. Surtout qu’il s’agit d’une hausse par ailleurs éphémère, puisque les prévisions de clientèle du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), font état d’un plafonnement de la clientèle universitaire dès 2015, alors qu’elle est déjà amorcée depuis 2011 dans les cégeps (Faits saillants des effectifs étudiants jusqu’en 2025-2026). Ce déclin des clientèles étudiantes postsecondaires avait été documentée dans une étude publiée par statistique Canada en novembre 2007 sous le titre : Tendances des effectifs étudiants au postsecondaire jusqu’en 2031, pour tout le Canada, mais dont les conclusions pour le Québec s’apparentent aux données du MELS.
Chose certaine, il faudra payer ces investissements immobiliers sur des décennies (amortissement), sans compter les pressions haussières sur les budgets de fonctionnement pour opérer ces nouveaux immeubles : personnels additionnels, meubles, assurances, chauffage, éclairage…, d’où, par ricochet, les pressions à la hausse sur les frais de scolarité.

Si au printemps 2012, les étudiants connaissaient bien cette situation, et tout porte à croire qu’ils en étaient parfaitement informés, ils ont eu raison d’alerter la population et d’interpeler rudement les responsables de la gestion des fonds publics en éducation qui se devaient de connaître l’évolution prévisible des clientèles postsecondaires et d’ajuster les investissements immobiliers en conséquence. S’ils ont eu raison d’alerter l’opinion publique, fallait-il pour autant étirer la sauce tous les soirs pendant plus de trois mois en mettant en jeu leur réussite scolaire ? D’autant plus que beaucoup d’autres revendications étrangères aux frais de scolarité sont venues se greffer au mouvement étudiant en cours de route et malheureusement, plusieurs étudiants ont été blessés dans l’aventure, physiquement et/ou psychologiquement, certains pour le reste de leur vie. Quant aux contribuables, il ne faut pas penser les leurrer. Revendiquer la gratuité scolaire ? Il n’y a rien de gratuit. Ce qui est gratuit pour les uns, d’autres le paient. Intuitivement, les gens savent bien qu’ils paieront directement la facture (privé) ou indirectement via leurs impôts taxes et tarifs (public) ; dans tous les cas, c’est toujours leur portefeuille qui doit décaisser et pour les investissements pharaoniques, les frais de santé et les frais de police…
Yvonnick Roy
Québec

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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2013

    M. Roy,
    Je souhaite ardemment que votre génération ne se laisse pas voler leur jeunesse comme ça a été le cas pour la génération précédente.
    Je crois qu'entre 1960 et aujourd'hui, jamais autant de vies ont été brisées en soi-disant période de paix (et on peut rajouter ceux qu'on a même empêché de venir au monde).
    Une mesure qui favorise la vie serait le revenu de citoyenneté universel pour lequel militait le regretté syndicaliste Michel Chartrand.
    Il serait temps qu'une telle mesure progressiste devienne une réalité afin que tous aient accès à une vie décente et heureuse.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 juin 2013

    /…Quant aux contribuables, il ne faut pas penser les leurrer. Revendiquer la gratuité scolaire ? Il n’y a rien de gratuit. Ce qui est gratuit pour les uns, d’autres le paient. Intuitivement, les gens savent bien qu’ils paieront directement la facture (privé) ou indirectement via leurs impôts taxes et tarifs (public) ; dans tous les cas, c’est toujours leur portefeuille qui doit décaisser et pour les investissements pharaoniques, les frais de santé et les frais de police…/
    Et puis! Pourquoi cela ne pourrait-il pas être gratuit? Si nos bons gouvernements mettaient moins d’argent pour payer l’intérêt d’une dette factice créée de toutes pièces, nous l’aurions l’argent pour établir la gratuité de l’éducation. Si nous en sommes là aujourd’hui à vivre cette situation malheureuse, c’est la conséquence d’une aberration passée; lorsque l’état c’est départie de son privilège de gérer sa propre banque centrale.
    L’aberration ce n’est pas la croyance en la possibilité d’établir pour tous la gratuité scolaire, c’est le constat que les banques privées ont volé les peuples en imposant unilatéralement un intérêt à l’état, donc, à nous tous! Il ne faut pas déplacer le problème; regardons la cause et non l’effet!
    Il n’y aurait pas que l’éducation qui serait gratuite aujourd’hui si nous avions toujours eu la main sur les sommes faramineuse que nous avons consacrées à payer du vent, c’est-à-dire à engraisser les prédateurs de ce monde. Là est l’aberration, nulle part ailleurs! Comme si les jeunes étaient des imbéciles de réclamer l’éducation gratuite pour tous! Quant aux contribuables, ils ont été leurrés à partir de ce moment-là!
    La vraie arnaque, c’est l’intérêt, et la conséquence, c’est la dette, et la situation présente, ce sont les coupures de service à la population. Les banques siphonnent les fruits du travail du peuple; ce n’est pas normal que nous travaillions 5 mois pendant l’année pour payer des prédateurs de tout acabit!
    Nous sommes encore au moyen-âge où le peuple esclavagé devait payer des impôts à la noblesse du temps. Comment se fait-il que des banques privées puissent se placer elles-mêmes au-dessus de nos gouvernements, sans résistance aucune du peuple, peut-être par ignorance, et de ceux que nous avons placés là pour nous représenter et défendre les intérêts communs du peuple, ceux-là devaient être beaucoup moins ignorant, et pourtant. Que s’est-il passé?

  • Archives de Vigile Répondre

    12 juin 2013

    M. Roy,
    Vous êtes un autre jeune qui semble avoir gobé la propagande du Système.
    S'il n'y a rien de gratuit, c'est que le Système nous trompe en mettant le marché et ses besoins au centre des préoccupations de la société.
    Or, dans une société civilisée, c'est l'être humain et ses besoins qui devraient être au centre des préoccupations de la société.
    Alors tout le monde pourrait vivre décemment, personne ne pourrait plus parler contre les pauvres et les "bs".
    Bref, tout le monde retrouverait sa dignité d'être humain.
    C'est ce à quoi le Système s'oppose. Le Système déhumanise, brise des vies.
    Cependant, il fait malheureusement l'affaire de beaucoup de citoyens à cause de cette nature humaine blessée que l'humaniste anglais Thomas More avait bien décrit dans son ouvrage intitulé "L'Utopie":
    "Si une seule bête fauve n’avait opposé sa résistance, la reine, la mère de tous les maux, la Superbe. La prospérité à ses yeux ne se mesure pas d’après le bonheur de chacun, mais d’après le malheur des autres. Elle refuserait même de devenir dieu si elle ne pouvait garder autour d’elle des misérables à insulter, à traiter en esclaves, dont la détresse serve de repoussoir à son éclatante félicité, qu’elle puisse torturer, irriter dans leur dénuement par l’étalage de ses richesses. Ce serpent d’enfer s’enroule autour du coeur des hommes pour les détourner de la voie droite ; il s’attache à eux et les tire en arrière comme le rémora fait aux navires. Il est trop profondément enfoncé en la nature humaine pour qu’on puisse aisément l’en arracher."
    Thomas More semble en effet conclure que l’être humain est irréformable étant donné sa conception malsaine de la "prospérité" qui se mesure d'après le malheur des autres.
    Et le Système encourage cette conception malsaine de la prospérité.