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La commémoration de la bataille de Sainte-Foy. Du discours de la loyauté à la « fusion des races »

1759-2009: 250e de la bataille des Plaines d'Abraham

RÉSUMÉ • Le monument des Braves, inauguré à Québec en 1863, célèbre la bataille de
Sainte-Foy, dernière victoire remportée en 1760 par la France et les Canadiens dans la
guerre de la Conquête. Son inauguration est l’une des premières de la vague commémorative
qui a déferlé sur le Canada entre 1850 et 1930. Le dévoilement de ce monument,
les discours qu’il a inspirés, les topiques qu’il a reflétés et ses réappropriations illustrent le
travail ininterrompu de la mémoire dans ses expressions savantes, ses représentations et
ses usages sociopolitiques. Nous examinerons ici comment ce monument s’est retrouvé
au coeur d’un discours qui a émoussé les aspérités de la Conquête et dénaturé l’explication
historique de la bataille de 1760.
ABSTRACT • The Monument des Braves, inaugurated at Quebec in 1863, commemorates
the Battle of Sainte-Foy, the last victory won by the French and the Canadien during
the Seven Years’ War. Its inauguration was among the first from the commemorative
wave that swept across Canada between 1850 and 1930. The unveiling of this monument,
the discourses it inspired, the commonplaces it mirrored, and its reappropriations illustrate
the uninterrupted work of memory in its scholarly expressions, its representations,
and its socio-political uses. We will examine here how this monument found itself at the
heart of a discourse that smoothed the harshness of the Conquest and distorted the historical
explanation of the Battle of 1760.


***
Le monument des Braves, situé sur le chemin Sainte-Foy à Québec,
commémore la victoire remportée le 28 avril 1760 par les soldats du
chevalier de Lévis sur ceux du général Murray sous les murs de Québec.
Sur la face sud du socle, un écusson porte la dédicace «AUX BRAVES DE
1760/ÉRIGÉ PAR LA SOCIÉTÉ ST J. BAPTISTE DE QUÉBEC/1860».
Deux autres écussons représentent des trophées d’armes, les couleurs de
la France et de la Grande-Bretagne et les noms de Lévis et de Murray. Un
quatrième montre un moulin à vent entouré d’une couronne de feuilles
de chêne et d’érable, un castor et des haches. Des mortiers aux angles du
socle et une allégorie armée au sommet d’une colonne confirment le caractère
militaire du monument.
Pourtant, ce monument ne mentionne ni la bataille de Sainte-Foy ni la
présence, sous sa base, d’une cassette contenant les os de soldats tués au
combat. Que commémore-t-il alors ? Quels étaient les objectifs de ceux
qui ont érigé la colonne ? Pourquoi ont-ils fait silence sur la nature et l’issue
de ce combat ?
Nous tenterons de répondre à ces questions en tenant compte de la problématique
actuelle des rapports entre mémoire, historiographie et commémoration.
Nous montrerons en particulier que les orientations, les
silences, les simplifications et les contresens historiques exprimés dans la
commémoration des Braves de 1760 respectaient des conventions culturelles,
répondaient à des enjeux de pouvoir et ont formé le mythe des
Braves. Celui-ci a débouché sur une relecture dénaturée de la bataille de
1760 qui pose à son tour les problèmes du «devoir de mémoire » en regard
des devoirs de l’histoire et de la pratique de l’histoire commémorative.
A – UNE PROBLÉMATIQUE DE LA COMMÉMORATION
Pour expliciter les termes de la discussion, nous allons d’abord situer dans
le temps le phénomène commémoratif au Québec. La multiplication des
monuments, ici comme dans le reste de l’Occident, est un phénomène
bien circonscrit qui débute dans les années 1850, s’accélère à partir de 1880
et s’essouffle dans les années 1930. Durant ces trois quarts de siècle, la
sélection des événements et personnages commémorés s’est concentrée
sur la Nouvelle-France2, historiens et commémorateurs s’épaulant avec
ferveur pour cimenter la cohésion nationale à partir d’une représentation
héroïque de l’enracinement des colons français3. Ces monuments, toujours
présents dans nos paysages urbains, forment un héritage à valeur
ajoutée puisqu’ils sont à la fois des oeuvres d’art public et les produits de
l’imaginaire historique de nos devanciers4. Leur esthétique et leurs symboles
sont en partie étrangers à la culture contemporaine, mais ils continuent
de proposer des significations du passé. Même si elle a ralenti, l’activité
commémorative est encore bien vivante et, depuis 1980, tend à
augmenter à nouveau5. La société occidentale vit aujourd’hui, pour reprendre
l’expression de Pierre Nora, dans une « ère de la commémoration
» plus marquée que dans les années 1930-1980, notamment avec l’apparition
des sensibilités au patrimoine6.
Les précisions terminologiques s’imposent. Nous nous appuyons sur
la définition synthétique de la commémoration proposée par la Commission
des biens culturels du Québec : « un acte collectif et public de rappel dont
l’objet est un personnage, un événement ou un fait du passé et dont le
moyen est une manifestation ou un repère fixe et permanent7 ». Formulée
par un organisme public dont le mandat est de préserver le patrimoine
national, cette définition rejoint les grands paramètres que Gérard Namer
a identifiés : la commémoration combine un lieu significatif, un « notable
ordonnateur », une théâtralisation, un temps spécifique, une écriture collective
de l’histoire et un télescopage discursif du passé, du présent et de
l’avenir8. Elle est bien un usage sociopolitique de la mémoire construit
pour définir l’horizon d’attente de la collectivité et canaliser son énergie
dans un sens déterminé. Comme nous l’avons montré ailleurs, « son pouvoir
réside dans la puissance que l’évocation des figures héroïques transmet
aux participants. Plus qu’une simple complaisance à admirer l’action
des ancêtres, elle traduit le sentiment que leur vitalité morale se transmet
à travers les générations, ennoblit la lignée entière et peut se prolonger
dans l’éternité aussi longtemps que des descendants l’évoqueront9. » En
outre, même si elle procède de l’historiographie, la commémoration possède
une autonomie discursive10 qui lui permet d’influencer en retour la
mémoire historique : nous verrons que dans celle de la bataille de Sainte-
Foy, les discours (pièces oratoires) ont accordé le discours sur l’événement
aux impératifs politiques de l’Union et de l’Empire.
Pendant longtemps, il n’y a pas eu de distance critique entre la discipline
historique et la commémoration sociopolitique. L’inventaire des monuments
publié en 1923 par Pierre-Georges Roy témoigne de l’absence
initiale de frontière entre les deux domaines, car ce catalogage sert à promouvoir la commémoration, et non à la remettre en question11. Depuis
25 ans, toutefois, on examine le phénomène commémoratif sous l’angle
des rituels, des rapports sociaux (classes, ethnies, nations), des idéologies
(nationalisme) et des politiques de la mémoire12. Le présent article s’inscrit
dans ce courant.
L’histoire et la mémoire sont, pour reprendre l’expression d’Henri
Moniot, des «mots-fleuves, dont le contexte d’emploi doit toujours guider
l’appréciation13 ». Les historiens départagent habituellement l’histoire et la
mémoire en vocables opposés14. Les définitions qu’en donne Moniot résument
bien l’état le plus répandu des concepts :
L’histoire passe pour une activité critique, une enquête fondée sur l’étude de
traces sérieuses […], cumulative, analytique, distante, soucieuse d’intelligibilité
explicitement construite, aujourd’hui instituée et légitimée donc publique,
faite pour être socialement utile mais après le détour et le temps d’une parenthèse
savante. La mémoire passe pour affective, sélective, complaisante, synthétique,
immédiatement utile, plurielle (en ce sens qu’il en est autant que de
groupes et d’individus) et donc limitée, et possiblement privée, du moins si
quelque légitimité instituée ne vient pas la bénir elle aussi15.

Comme l’a signalé Emmanuel Macron, à la mémoire comme à l’histoire
« se pose l’énigme de la représentation du passé » ; à « la fidélité espérée de
la mémoire répond l’ambition de la vérité de l’histoire», la coupure entre
les deux étant « accomplie par l’écriture16 ». Cette cassure découle de la rupture
que la modernité a introduite dans le rapport au passé, mais suppose
toujours par ailleurs une continuité. Fernand Dumont a formulé ainsi la
fluidité de ce processus : « la science, […] se mettant en quête des événements
grâce aux documents et aux traces de toute espèce, prolonge la mémoire
vive par la mémoire de papier17 ». Si donc l’histoire se distingue bien
de la mémoire par ses méthodes, lesquelles aboutissent à des certitudes ou
du moins à des hypothèses vérifiables, la frontière entre l’une et l’autre reste
imprécise, car où s’arrête au vrai la mémoire vive et où commence celle de
papier lorsque le témoignage est mobilisé comme «preuve» historique ?
La mémoire est donc une expérience soit individuelle soit collective,
transmise soit verbalement soit par le document (archive, trace matérielle).
Le fait que, dans le régime actuel de connaissance, l’intelligibilité
du passé soit confiée à des historiens qui se posent en interprètes les mieux
qualifiés (à travers leur construction d’une « explication/compréhension »,
pour reprendre les termes de Paul Ricoeur), se trouve à la source des difficultés
d’une critique de la commémoration. Dans quelle mesure peut-on
demander « à la mémoire de représenter fidèlement, en véracité, ce qui
n’est plus mais qui fut18 » au moyen de l’activité historienne, alors même
que la mémoire est en partie construite par l’histoire et que, par ailleurs,
la représentation du passé dans la mémoire est devenue l’un des nouveaux
objets de l’histoire ? À partir de quels critères les historiens peuvent-ils porter
un jugement sur ces relectures intéressées du passé que sont les commémorations
s’ils en sont en même temps partie prenante ?
Ces questions se posent avec acuité pour deux raisons. La première est
l’existence, entre l’historien et son public, d’un « pacte de vérité de l’histoire,
de sa prétention à la vérité dans sa représentation du passé19 ». On
peut donc se demander jusqu’où peut aller la caution donnée à la commémoration
au sens large, et à la commémoration sociopolitique en particulier,
par l’historien sans menacer le lien de confiance, le « pacte de vérité
» établi avec le public. La seconde a trait à la nature du « devoir de
mémoire ». L’expression même est née sous la plume de Primo Levi dans
la crainte que la mémoire de ce crime indicible qu’a été la Shoah ne disparaisse
avec ses victimes survivantes20. Elle a depuis été récupérée et détournée
de sa visée originale (le devoir du témoignage), mais soulève toujours
le problème, avec l’emploi du mot «devoir », des responsabilités de
la profession historienne dans le façonnement de la mémoire collective.
Dans le langage courant, le terme mythe est compris comme une fable,
une erreur ou un mensonge. L’anthropologie et la mythologie ont objectivé
sa définition et souligné la parenté de l’histoire et du mythe.
Comme l’a montré Jerzy Topolski, l’un et l’autre se relaient et s’interpénètrent
dans des continuités de sens, occupant des positions contrastées
plutôt qu’opposées21. Pour Claude Lévi-Strauss, entre autres, il existerait
des « cellules mythiques » qui évoluent aussi bien dans le réseau clos de la
mythologie que dans le système ouvert de l’histoire et qui serviraient d’intermédiaires
entre les deux. Les mythes ne seraient pas seulement l’explication
de situations universelles mais aussi celle de la destinée de
groupes singuliers ; et en même temps conféreraient aux situations singulières de l’histoire une portée universelle, valable pour l’ensemble de
l’humanité22.
Sans prétendre écrire ici le dernier mot sur le rapport entre mythe et histoire,
nous postulerons que le mythe historique est un récit décrivant la
fondation ou l’inauguration, dans un temps primordial, d’un objet, d’une
institution, d’une pratique, d’un comportement ou d’un groupe. C’est un
récit qui prétend à la vérité puisqu’il parle d’une chose qui existe. Par
ailleurs, l’indiscutable vérité qu’on lui prête lui confère deux qualités qui en
facilitent la diffusion : d’une part, il remporte une adhésion spontanée, il
esquive l’enquête critique ; d’autre part, il a souvent une portée universelle :
il n’est pas seulement la description d’un événement mais reproduit un
archétype. C’est ainsi qu’il en vient à proposer un modèle, qu’il prescrit une
attitude à adopter lorsqu’une situation analogue à celle qu’il décrit semble
se présenter à nouveau23. Le mythe remplit donc une fonction de médiation
entre la mémoire et l’histoire : il happe des éléments de mémoire (du vécu,
de l’ayant-été), les moule dans une structure familière (des archétypes, des
modèles24) et les reproduit en faits construits dans des récits vrais25. Nous
pouvons dès lors suggérer que la commémoration non seulement combine
la dimension archétypale du mythe à la dimension véritative de l’histoire —
ce qui serait le propre de l’histoire commémorative26 — mais épaissit le trait
pédagogique du passé grâce aux procédés spectaculaires que sont les rituels,
les images et les monuments. Ce faisant, elle enferme le passé dans les lectures
intéressées de ses promoteurs et met formellement en cause le statut
de l’histoire dans le débat social.
B -LA PREMIÈRE FORMULATION DU MYTHE ET SON CONTEXTE
L’événement et son récit
Dans la bataille de Sainte-Foy, dernière victoire française de la guerre de
la conquête, les 4000 hommes de la garnison britannique de Québec
commandés par James Murray, affrontèrent les 7000 hommes (dont 3000
miliciens canadiens et 300 Amérindiens) de François-Gaston de Lévis. Le
combat fut meurtrier, notamment près du moulin Dumont, sur le chemin
reliant Québec à Sainte-Foy. Par la suite, Lévis assiégea Québec, les deux
camps attendant l’arrivée des secours par le fleuve. Les navires anglais atteignirent
la ville les premiers, forçant Lévis à retraiter vers Montréal, qui
capitula en septembre27. La victoire d’avril n’annula pas la défaite de
Montcalm.
Événement sans lendemain et qui survenait au milieu de bouleversements
décisifs, la bataille n’a pas laissé de trace durable dans la mémoire
collective. Elle fut bien mentionnée dans quelques ouvrages d’érudition
de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle28, mais sur la foi d’archives.
C’est François-Xavier Garneau qui en donna la première description détaillée
dans le troisième tome de son Histoire du Canada, paru en 184829. Ce
récit sur la « seconde bataille d’Abraham» s’imposa rapidement comme le
texte canonique sur l’événement. Garneau insista sur la participation massive
des Canadiens qui méritaient autant que les Français l’honneur de la
victoire30. Il releva aussi le caractère désespéré de l’effort consenti, car c’est
l’épuisement qui empêcha Français et Canadiens de reprendre Québec31.
Mais surtout, son récit servit à faire ressortir l’idée réconfortante, dans
l’explication de la Conquête, de l’abandon de la France. Pour mettre en
contexte la bataille, Garneau contrasta l’indifférence des ministres de
Louis xv et l’acharnement du gouvernement de William Pitt. Les
« meilleurs soldats qu’aient jamais eus la France et l’Angleterre32 » s’étaient
retrouvés face à face, mais l’inertie de la monarchie française annula le
fruit des sacrifices du printemps de 1760, qui contrebalançaient pourtant
l’outrage subi à l’automne de 175933. «L’on peut dire que [par l’arrivée
des navires anglais devant Québec] la cause française fut définitivement
perdue; perdue non par le défaut de résolution et de persévérance comme
le prouvaient la longueur et les victoires de cette guerre, mais par l’abandon
absolu de la métropole34. » Les Canadiens n’avaient pas à rougir de
leurs ancêtres35, ni les Anglais d’avoir été battus sur les Plaines.
Décrivant un événement capital pour la collectivité canadienne, les récits
de la Conquête ne pouvaient manquer de se transformer en mythes
de fondation, ou plutôt en une double constellation mythique, l’une pour
le Canada français, l’autre pour le Canada anglais, avec leurs variantes36.
Quel était le sens de ce bouleversement pour la population qui le subissait ?
« La cession du pays, rapporte Claude Galarneau, n’apporte aucun témoignage
de satisfaction », et durant une génération, il semble plutôt que
« les Canadiens ne comprirent pas ce qui leur arrivait37 ». Mais à la suite de
la Révolution française s’élabora le mythe de la «conquête providentielle »,
posant que Dieu avait épargné à la Nouvelle-France un régime irréligieux
et régicide en lui donnant un gouvernement étranger et protestant, certes,
mais respectueux des traditions et des droits de la population38. À son tour,
ce mythe alimenta au XIXe siècle la conviction que le Canada français devait
remplir une « mission providentielle ».
La translation solennelle de 1854
Lévis dit avoir eu 193 tués durant la bataille, et Murray, 25939. Les Français
contrôlaient le champ de bataille et envoyèrent les blessés des deux camps
à l’Hôpital général, situé hors des murs. Où a-t-on enterré les morts restés
sur le champ de bataille du 28 avril ? Aucun des principaux témoignages
ne donne ce renseignement, mais en septembre 1852, l’historien Garneau,
l’avocat Louis de Gonzague Baillairgé et le docteur Olivier Robitaille visitèrent
un terrain où, en creusant les fondations d’une maison, les ouvriers
avaient trouvé « des ossements humains, des boutons, des agraffes
de baudriers et divers autres insignes militaires40 ». Comme les ruines du
moulin de Dumont étaient voisines, on présuma qu’il s’agissait d’une fosse
commune où furent inhumés plusieurs braves tués au combat. À l’instigation
des trois hommes, la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec (SSJBQ)
entreprit des fouilles sommaires qui dégagèrent d’autres ossements. En
mars 1854, elle résolut d’organiser une cérémonie civique, religieuse et
militaire de translation des restes, et lança une souscription publique pour
l’érection d’un monument.

À l’origine, on pensa transférer les os au cimetière de l’Hôpital général,
où déjà se trouvaient les corps des soldats morts de leurs blessures après
les batailles de 1759 et 1760, et de dresser un monument à cet endroit. Il
y eut un petit débat sur la question, dans lequel on devine les lectures ambivalentes
des événements de 1759 et 1760. Rappelons que les ossements,
dans la tradition judéo-chrétienne comme dans bien d’autres, illustrent
des représentations eschatologiques et transmettent la certitude d’une résurrection
individuelle ou collective. Ceux des Braves n’étaient pas seulement
les restes d’ancêtres méritoires, mais pouvaient de surcroît symboliser
(même si les orateurs n’ont pas explicitement filé cette métaphore)
la renaissance de la nation canadienne-française41. Il était essentiel de trouver
une solution adéquate à ce problème de sépulture.
Par ailleurs, personne ne douta au début que les os étaient seulement
« français ». Le comité spécial de la SSJBQ affirma que « ceux qui périrent
en cette circonstance étaient nos pères et qu’ils combattaient jusqu’à la
dernière goutte de leur sang pour nous préserver de la domination étrangère42
». Puis la confusion s’installa. Le 18 avril, le Journal de Québec parla
du projet de « jeter les bases d’un beau monument, sur le terrein même où
la bataille a été livrée, érigé à la mémoire des braves des deux nations respectives43
», et non plus au cimetière de l’Hôpital général. Le 15 mai 1854,
dans un plaidoyer étoffé, un correspondant anonyme du journal Le
Canadien
assura, d’une part, qu’il s’agissait des soldats des deux camps
morts dans les deux batailles de 1759 et de 1760 et réclama, d’autre part,
qu’un monument leur soit érigé, même s’il ne s’agissait que d’une simple
croix, à l’endroit de leur découverte. Le respect des combattants protestants,
qui n’auraient pas voulu être « inhumés à l’ombre d’une chapelle
papiste », militait aussi en faveur d’un terrain neutre ; de toute manière,
d’après ce correspondant, les Français avaient certainement été enterrés
dans les rites de leur religion44.

On se décida rapidement pour un monument sur le champ de bataille.
Afin de donner le maximum de solennité à la commémoration, la SSJBQ
voulut en faire une translation solennelle et en saisit l’archevêché catholique.
Cette initiative prouve a contrario que pour elle, il n’était pas tant question
d’honorer les morts des deux batailles que ceux d’une victoire française.
Toutefois, pour ce qui est de l’identité des combattants honorés,
l’ambiguïté persista. Dans Le Canadien, on annonça le 31 mai les cérémonies
« en honneur des braves qui succombèrent sous les murs de Québec en
176045 », sans préciser leur nationalité. Pour le Quebec Mercury du lendemain,
on honorait les restes «of the British and French troops who fell in battle on
that ground in the year 176046 ». Mais dans d’autres articles qui rapportèrent
l’événement, on vénérait les « restes des derniers braves de la puissance
française sur le sol canadien47 » ou « les os victorieux [sic] de Français48 ».
Cette hésitation sur l’identité des ossements avait de sérieuses conséquences,
puisque l’archevêché ne consentirait à une translation solennelle
que si les os étaient ceux de catholiques. Le 22 mai, il désigna deux prêtres,
l’historien Jean-Baptiste-Antoine Ferland et Antoine Racine, qui rencontrèrent
deux dirigeants de la SSJBQ, le ministre Étienne-Paschal Taché et
l’historien François-Xavier Garneau. « Après avoir examiné les ossements
[…], visité une partie du champ de bataille et entendu les explications
[…] », dit leur rapport, les prêtres « en sont arrivés à une certitude morale
que ces ossements, ou du moins, la plus grande partie de ces ossements,
sont des restes de soldats de l’armée française, et par conséquent, de catholiques49
». L’Église ne tenait donc pas de preuve positive, mais un faisceau
de circonstances (la proximité du moulin de Dumont et de la ligne
des troupes françaises, l’« usage militaire, inhumer [les] morts dans
l’endroit le plus honorable50 ») suffisait à emporter son adhésion, avec la
réserve que certains os pouvaient être «anglais ». La translation se déroula
le 5 juin devant 10 000 personnes51. On transporta les restes dans un char
funéraire de l’Esplanade jusqu’à l’Hôtel du Parlement, puis à la basilique
pour la célébration de la messe des défunts et enfin jusqu’au lieu d’inhumation,
béni par le curé de Québec52.
Cette manifestation fut une nouveauté pour l’époque, mais se moulait
dans une grammaire bien rodée. Ponctuée par des décorations (bannières,
drapeaux) et des éclats sonores (musique, salves d’artillerie, vivats) qui visaient
à la fois à soulever et à impressionner le public, elle reproduisit l’ordonnance
éprouvée de la commémoration religieuse53. Jusqu’aux années
1850, la commémoration sociopolitique était un phénomène rare en
Amérique comme en Europe, le privilège du monument dressé sur une
place publique étant réservé à l’État et à l’Église. En France, où les lettrés
canadiens-français puisaient leurs modèles, la commémoration politique
prit la forme, en 1848, d’une translation des cendres des citoyens tués dans
le soulèvement révolutionnaire de février. Cette procession funèbre était
elle-même la réverbération d’autres translations solennelles comme celles,
fortement publicisées en leur temps, des dépouilles de Louis XVI et de
Marie-Antoinette en 1815, et de Napoléon en 1840. Le Royaume-Uni aussi
pouvait servir d’exemple : la cérémonie funéraire du duc de Wellington,
en 1852, impressionna le public54.

Au Québec, la commémoration sociopolitique prit son essor dans la
décennie 1850 sous la forme de monuments funéraires dédiés à des
Patriotes : le premier fut dressé au cimetière Notre-Dame-des-Neiges en
1855 par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et honorait son fondateur
Ludger Duvernay ; le second, plus imposant, fut érigé en 1858 par
l’Institut canadien et entretenait dans le même cimetière le « religieux souvenir
» des « victimes politiques de 1837-183855 ». Du reste, l’inauguration
du monument funéraire de Duvernay en 1855 a d’abord été précédée par
la translation de sa dépouille, et celle du monument des Patriotes, en 1858,
par un défilé56. L’une et l’autre appartenaient à une scénographie sociale
familière57.
Connivences au sommet
Pour commémorer la bataille de Sainte-Foy, la SSJBQ mit en mouvement
ses complicités politiques, militaires et ecclésiastiques. À la tête de cet organisme
qui disait « [compter] dans ses rangs l’élite de la population canadienne
» et « [représenter] la grande masse de la population canadiennefrançaise58
» se trouvaient trois membres du gouvernement colonial, les
conseillers législatifs Louis Panet, Louis Massue et Étienne-Paschal Taché.
Ce dernier retiendra notre attention car, outre qu’il occupait des fonctions
gouvernementales importantes59, il personnifiait l’ambivalence de la pensée
nationaliste de son époque et, à titre de principal orateur à la célébration
de 1854, détermina la signification que prendrait la commémoration
des Braves. Également haut gradé de la milice, Taché intervint auprès du
général William Rowan, commandant de l’armée impériale en Amérique
et, à cette époque, remplaçant provisoire du gouverneur général, lord
Elgin60, pour gagner l’aide des militaires à la cérémonie.
Rowan accepta, mais au-delà de ce personnage, c’est bien l’Empire qui
concourut au succès de la célébration. « Ce que j’ai le plus regretté de mon
absence d’au milieu de vous, confirma d’ailleurs lord Elgin quelques semaines
plus tard aux représentants de la SSJBQ venus lui présenter leurs
hommages à l’occasion de la Fête nationale, c’est de n’avoir pu prendre
part à la solennité de la translation des cendres des braves ensevelis par la
victoire dans les plaines de Ste.-Foi61. » En retour de ce soutien, le président
de la SSJBQ, Louis Panet, remercia le général Rowan pour une aide prodiguée
« sans égard aux préjugés nationaux et sans nullement s’enquérir
qui, dans l’occasion dont nous célébrons la mémoire, étaient les vainqueurs
et qui étaient les vaincus ». Un tel appui, ajouta-t-il, contribuerait
davantage aux « bons rapports mutuels et la fusion complette des sentiments
que tout ce qui été dit et fait pendant le dernier demi-siècle62 ».
C’était attribuer beaucoup de place à l’affection de la Grande-Bretagne
pour le Canada français et oublier les calculs : plus tard, Le Canadien admit
candidement que si « l’armée anglaise […] s’est prêtée avec magnanimité
à donner du relief à la commémoration d’un événement qui fut pour elle
une défaite […], [elle] a voulu faire un compliment à la France, la puissante
alliée de l’Angleterre63 ». En effet, la métropole savait que l’appui de
ses sujets canadiens pouvait être utile au moment où elle entreprenait une
guerre en Crimée conjointement avec la France64.
Enfin, le haut clergé prit activement part à la translation des restes : la
messe fut célébrée à la cathédrale en présence de l’archevêque et des principaux
prélats de la province ecclésiastique, réunis à la même époque en
concile. Pour l’Église, l’occasion était belle de s’associer, dans une activité
officiellement dénuée de partisanerie politique, aux élites conservatrices
et aux représentants de l’Empire.
Les donateurs de la souscription de 1854 (160 à Québec et 88 à Montréal)
se recrutèrent presque tous dans l’élite canadienne-française, ainsi que chez
plusieurs représentants de la Couronne et les notables d’origine britannique.
Les plus grosses contributions (10 livres et plus) provinrent du gouverneur
général (lord Elgin), de ministres et de conseillers (Louis-Hippolyte La
Fontaine, Louis-Victor Sicotte, Étienne-Paschal Taché), d’un juge (Thomas
Cushing Aylwin), du commandant militaire (William Rowan) et de trois
institutions ecclésiastiques (l’archevêché de Québec et les Séminaires de
Montréal et de Québec)65.
Favoritisme politique, loyauté et survivance
Cette agglutination autour de la célébration de la dernière victoire des
Français au Canada s’explique en partie par le contexte d’alliances et de
luttes politiques de l’Union. La métropole avait imposé au Canada français
la constitution de 1840 qui visait explicitement son anglicisation à plus
ou moins long terme, en commençant par l’imposition de l’anglais
comme seule langue officielle de délibération et de législation. Le leadership
patriote avait été décimé par la répression des soulèvements de 1837-
1838 et ses rescapés, Louis-Hippolyte La Fontaine en tête, se rallièrent aux
nouvelles institutions parlementaires pour sauver l’essentiel. Les péripéties
qui aboutirent à la responsabilité ministérielle et au contrôle du favoritisme
(patronage) sont bien documentées ; les avantages que les élites canadiennes-
françaises purent en retirer — en particulier les nominations à
des charges publiques — le sont aussi66.

«L’horizon social, économique et politique étant désormais fermé [par
la Cession et l’Union], explique Gérard Bouchard, on doit se résigner à
mettre en oeuvre une vision défensive, passéiste, axée sur la survie, sur la
protection des acquis67. » Soucieuses de justifier et de consolider leur position
d’intermédiaire, les élites élaborèrent en effet le thème central de la
loyauté historique envers la Couronne britannique, laquelle en retour garantirait
le maintien des fondements de la nation. Le journaliste Napoléon
Aubin résuma avec cynisme l’esprit de cette loyauté, tandis que les ruines
des villages incendiés dans l’écrasement du soulèvement de 1837 fumaient
encore. Quelques jours après l’arrivée de Durham en 1838, Aubin publia
une lettre ouverte au gouverneur dans son journal Le Fantasque. Après
avoir expliqué que l’habitant canadien-français respecterait la puissance
britannique en retour de « son culte, sa chaumière, et surtout la langue de
ses ancêtres », il conclut ainsi : « Accordez à son cousin de la ville de partager
avec quelques autres envieux (car il en est partout) les emplois et les
salaires de votre Gouvernement, afin qu’il puisse s’en faire une petite
gloire auprès de ses voisins, et vous aurez son dévouement, son amour et
sa vie68. »
Les protestations de loyauté s’appuyaient en particulier sur les sacrifices
militaires consentis par les Canadiens pour défendre la souveraineté britannique
en Amérique. La participation de la milice canadienne-française
à la guerre de 1812 et notamment sa victoire contre les Américains sur la
rivière Châteauguay en 1813, étaient constamment citées en exemple de
cet attachement à la Couronne69. À l’occasion d’un débat parlementaire
sur la réorganisation de la milice du Bas-Canada, en 1846, le colonel Taché
prononça un discours resté célèbre où il résuma, en réponse aux parlementaires qui profitaient de l’occasion pour attaquer la loyauté de ses
compatriotes, le doublet droit nationaux/loyauté. « Notre loyauté à nous,
dit-il, n’est pas une loyauté de spéculation, de louis, chelins et deniers :
nous ne l’avons pas constamment sur les lèvres, nous n’en faisons pas un
trafic. Nous sommes dans nos habitudes, par nos lois, par notre religion,
[…] monarchistes et conservateurs. » Rappelant ensuite le rôle des Canadiens
français dans la défense de leur patrie en 1775 et 1812, il prophétisa
que « le dernier coup de canon tiré pour le maintien de la puissance anglaise
en Amérique le sera par un bras canadien70 ».
L’horizon de la survivance s’est aussi défini dans la lecture du passé.
Celle qui émergea fut l’oeuvre de Garneau, notaire, écrivain, animateur de
la SSJBQ, greffier de la Ville de Québec, en somme représentant typique
des élites socioculturelles de son temps. Aux yeux de Garneau, l’expérience
canadienne se partageait entre une période caractérisée par « les
guerres des Canadiens avec les Sauvages et les provinces qui forment aujourd’hui
les États-Unis » et une période britannique où dominait « la lutte
politique et parlementaire [que les Canadiens] soutiennent encore pour
leur conservation nationale71 ».
Cette interprétation, qui faisait de la Conquête le pivot de l’histoire nationale,
situait bien la Nouvelle-France comme berceau de la nation mais
convertissait aussi la sujétion coloniale, pourtant consolidée en 1840 par
une constitution ouvertement assimilatrice et inégalitaire, en espace de liberté
politique. On pouvait sublimer le passé à loisir72, mais la loyauté restait
le seul passeport pour l’avenir, d’autant plus qu’elle pouvait être dûment
récompensée. Les circonstances s’y prêtaient car on savait que la
Grande-Bretagne cherchait, depuis le milieu de la décennie 1840, à remettre
progressivement des responsabilités politiques aux chefs de file coloniaux73.

La commémoration des Braves est donc un élément de cette stratégie
de lutte compensatoire dans la mémoire. Autant la victoire de Lévis avait
vengé la défaite de Montcalm, autant la colonne des Braves devait contrebalancer,
dans le paysage suburbain de l’époque, les monuments qui glorifiaient
Wolfe et matérialisaient l’histoire écrite par les conquérants74. Elle
confirma elle aussi que les commémorations sociopolitiques sont l’expression
non pas de consensus mais de concurrences, parfois feutrées,
d’autres fois plus féroces, pour l’occupation de l’espace public75.
Le discours d’Étienne-Paschal Taché
Jusqu’à la tenue de la cérémonie de 1854, il y eut ce flottement sur l’identité
des braves qui seraient donc commémorés. C’est le colonel Taché,
personnage politique de premier plan et principal orateur à la cérémonie,
qui tourna le doute en certitude : les ossements venaient de soldats des
deux armées ennemies. Ce faisant, il récupéra sans détour en faveur de la
loyauté à la Grande-Bretagne le souvenir d’une victoire de la Nouvelle-
France. Dans son discours, il résuma d’abord le récit de son ami Garneau
et fit l’éloge des Français. Puis il intercala une profession de foi :
Maintenant, je le demande, est-il un homme parmi nous, quelque timide qu’il
soit de sa nature, qui, au souvenir de tant d’héroïsme, ne soit prêt à s’écrier :
« Non, je ne démentirai pas le sang qui coule dans mes veines ; ce sang, comme
celui de mes aïeux, est à la patrie, à la Souveraine [Victoria] dont je suis le sujet,
et pour elle il est prêt à couler, quand il en sera temps. »

La foule répondit par de « grands applaudissements ». Concluant l’évocation
de la bataille en soulignant les qualités de l’armée anglaise, Taché
enchaîna sur « la prospérité inouïe de notre pays » pour ensuite souligner
une tâche immédiate : « il faut qu[e le peuple canadien] pense au moins à
sa propre protection » en mettant sur pied une milice chargée de « maintenir
la paix et l’ordre intérieurs » et en assumant seul cette dépense76.
Londres avait décidé depuis quelques années de retirer progressivement
ses troupes du Canada et, avant même l’invasion de la Crimée, voulait rapatrier
du Canada trois régiments d’infanterie et trois compagnies d’artillerie.
Taché profitait donc des circonstances pour plaider en faveur de la
réorganisation de la milice77.
Le ministre réclama ensuite que le monument soit dédié aux vaincus
comme aux vainqueurs, et expliqua longuement ses raisons :
Le monument que nous nous proposons d’élever devrait […] être érigé non
dans un esprit mesquin, étroit, égoïste, mais dans des vues larges et généreuses,
à la mémoire des braves des deux armées qui ont consommé le 28 avril 1760,
envers leur patrie respective, le plus grand de tous les sacrifices, le sacrifice de
la vie. […] Rappelons-nous que les citoyens de Québec et les habitants du
Canada tout entier sont ou les descendants immédiats ou au moins les compatriotes
de ceux qui sont tombés des deux côtés sur ce champ de bataille ;
n’oublions pas que la providence veut que nous vivions en paix et en frères sur
cette terre vierge et neutre de l’Amérique. Ainsi, je me flatte que le monument
[…] aura l’effet de resserrer de plus en plus les liens qui nous unissent à
nos concitoyens d’origine britannique. Jamais plus belle occasion que celle-là
ne s’est présentée pour mettre dans l’oubli ces malheureuses dissensions et ces
haines nationales, qui nous ont fait tant de mal78.

On retrouve ici le noyau de cette lecture téléologique selon laquelle la
cession de 1763 avait profité à la nation vaincue et, même redoublée par
la constitution assimilatrice de 1840, n’avait pas eu raison de sa capacité de
survie. Pour Taché, les temps s’étaient améliorés au point qu’on pouvait
maintenant célébrer une victoire qui avait racheté l’honneur national.
L’Entente cordiale venait conforter cette interprétation méliorative :
L’Angleterre et la France, ennemies pendant des siècles, sont maintenant unies
par une étroite alliance ; leur intérêt mutuel, la civilisation et le monde entier
vont profiter de cette ère nouvelle : serions-nous les seuls, nous les descendants
de ces deux grands peuples, qui demeurerions étrangers à ce beau mouvement!
Non, nous oublierons nos anciennes querelles, que l’on a appelées
guerre de race ; nous ne formerons plus désormais qu’un peuple sinon homogène,
du moins uni par le coeur et par le sentiment : le peuple canadien79.
Après son discours, Taché fit voter à l’unanimité « de proposer l’érection
d’un monument […] à la mémoire conjointe des braves des deux armées
qui […] succombèrent en combattant courageusement pour la cause de
leurs patries respectives80 ».

Taché formula donc le premier le mythe politique des Braves : les os des
vainqueurs et des vaincus de la bataille étaient aussi ceux des vainqueurs
et des vaincus de la Conquête ; les mélanger dans cette solennité signifiait
que les deux nations n’étaient plus ennemies et que leur collaboration serait
bénéfique pour les deux. Il fonda bien sûr ce mythe sur les matériaux
d’histoire fournis par Garneau, mais sa lecture était ancrée dans la participation
des politiciens canadiens-français aux institutions de l’Union et dans
leur aspiration à y obtenir plus de pouvoir. Cette lecture reflétait l’aspiration
naturelle à la bonne entente entre peuples et se rattachait au mythe
universel de l’unité nationale, dont la « conquête providentielle » est une
composante essentielle au Canada. Elle contredisait toutefois la nature des
guerres, dont l’objet n’est pas la fusion mais la domination des nations.
Contestations
Unité nationale n’est pas synonyme d’égalité, aussi les nationalistes libéraux
contestèrent-ils immédiatement l’adéquation que la lecture loyaliste
de Taché traçait entre les deux. Sollicité en avril pour tenir un des coins du
drap funéraire — fonction prestigieuse dans la procession —, mais en
même temps mis au courant par Le Pays que le monument projeté devait
honorer les soldats des deux armées, Louis-Joseph Papineau déclina l’invitation
le 1er mai. À ses yeux, la célébration n’était justifiée que si on honorait
les restes « de ceux des braves qui tombèrent, victimes de leur dévouement
à la plus sainte des causes, de ceux de ces héroïques défenseurs de la
patrie, Français et Canadiens qui luttèrent si glorieusement contre l’invasion
étrangère81 ». Dans une lettre à Robert Christie, il explicita son refus :
qu’une Société toute nationale demande à associer dans la même fête, et ceux
qui sont morts pour conserver sa nationalité, et ceux qui sont morts pour l’assujetir,
me parait un bizare contresens et une abjecte flatterie. Un pays indépendant
peut donner l’Apothéose à des Citoyens méritans. La Déification est
de peu de prix dans une colonie, où tour à tour la violence et la vénalité ont
laissé au gouvernement une influence exagérée et pernicieuse82.

Quelques jours après la cérémonie, ce fut au tour du Pays de dénoncer
l’anachronisme implicite du projet : « Si c’est un hommage que l’on veut
rendre à ces valeureux défenseurs de leur pays, il faut entrer dans l’esprit
qui les animait, quand ils sacrifiaient leur vie ; en sortir, c’est leur faire injure.
» Les descendants des vaincus de la Conquête, ajoutait le journal, se
diminuaient en rendant aussi hommage à ceux qui «venaient s’emparer du
Canada, massacrer nos pères sur le seuil de leurs demeures et traîner leur
pavillon dans la boue ». «N’oublions jamais, conclut-il, que si nous nous
avilissons pour resserrer les liens qui nous unissent à nos compatriotes d’origine
britannique, ainsi que le dit le Dr. Taché, nous ne gagnerons que leur mépris
et non leur amitié. Il n’y a d’entente qu’entre gens qui se respectent83. »
Bien entendu, cette escarmouche autour de la mémoire entrait dans le
cadre de la lutte politique plus large entre libéraux et conservateurs. Porteparole
de ces derniers, Le Canadien répliqua en se félicitant de la tutelle
coloniale, « un ordre de choses qui nous donne tous les avantages de l’indépendance
absolue moins ses fardeaux84»…

Chez les partisans de l’Empire, il n’y avait pas non plus unanimité. Un
correspondant du Quebec Mercury se plaignit que les Canadiens français
ne se gênaient pas, « in this soi-disant British colony », pour offenser leurs
compatriotes d’origine britannique : au moins, le monument à la gloire de
Wolfe avait été érigé « without display or ostentation of any kind». Ce qui
le dérangeait le plus, cependant, était la participation des militaires à une
cérémonie qui rabaissait la mère patrie : « But what was the special vocation
of British officers and soldiers in the train of this brilliant procession,
under the banner of the Imperial Eagle and Tri-colored Flag? Did they represent
the captives which usually graced the ancient Roman triumphs85?»
C -LA FÊTE DE 1855 ET LA DEUXIÈME FORMULATION DU MYTHE
Dès son apparition, la commémoration des Braves mit en jeu la double allégeance
des Canadiens français à la Grande-Bretagne et à la France. Nous
venons de montrer que la célébration de 1854 mit l’accent sur la loyauté
à la première. Dans celle de 1855, c’est la référence à la France qui prit le
dessus grâce à la participation des marins de la corvette française La
Capricieuse. Le voyage de ce navire militaire n’avait qu’un objectif commercial
mais, dans le contexte de l’alliance franco-britannique en Crimée
et à cause des manifestations exubérantes de l’attachement des Canadiens
à la France, il prit une tournure symbolique et politique de premier
ordre86. Sa présence à Québec, et en fait le poids du prestige de la France,
facilita la réorientation du mythe des Braves dans le sens de l’égalité des
deux nations au Canada.
Le 12 juin 1855, les journaux annoncèrent la tenue de la fête nationale,
fixée au lundi 25. On prévoyait une procession, la pose de la pierre angulaire
du monument, le discours de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, un grand
bal le soir. Le jour dit, la cérémonie fut annulée en raison du mauvais temps,
mais on comptait la reprendre avec la participation inespérée de l’équipage
de La Capricieuse, dont on venait d’apprendre l’arrivée prochaine87.
Le 18 juillet se déroula une fête magnifique par un temps radieux : la
procession, à laquelle participaient le capitaine du vaisseau français, Henri
de Belvèze, et une partie de ses hommes, emprunta les principales rues,
pavoisées de l’Union Jack et du tricolore. On fila de plus belle la métaphore
familiale : « les marins de la corvette française furent chaleureusement acclamés
par les spectateurs qui voyaient en eux des frères, revenant, après
une bien longue absence, fouler, pour un instant, le sol que nos ancêtres
avaient défriché et qu’ils avaient illustré par leur vaillance88 ». Le défilé
était barré d’étendards et de bannières. On avait décidé de montrer « le
Drapeau Anglais et le Drapeau Français surmonté de l’Aigle Impérial,
tous deux unis par une banderolle portant ces mots : Alma, Balaklava,
Inkerman, et escortés d’une Garde d’Honneur89 ». Les journaux de
Québec et de Montréal rendirent compte de l’événement, certains publiant
le discours complet de Chauveau90.
Dans son allocution, l’orateur élabora les leçons générales que les
Canadiens français devaient tirer de la bataille et réitéra la signification du
monument à venir. De l’événement d’histoire, il tira la leçon de résistance
donnée par la milice de 1760 et la profondeur de son attachement au sol
et aux traditions.
Pour les milices canadiennes, […] c’était la sépulture définitive ou la résurrection
de tout ce qu’elles avaient aimé et vénéré au foyer domestique ; c’était
l’agonie ou le triomphe de la religion et de la patrie ; et, pour ces hommes que
le gouvernement qui les abandonnait avait toujours tenus pauvres, et qui,
pauvres, venaient encore de perdre le peu qui leur restait, il n’y avait plus que
la vie, et la vie elle-même n’était plus rien sans des deux seuls biens qu’ils eussent
au monde : la religion et la patrie91 !


Il reprenait donc le thème exposé par Garneau : la nation canadienne
s’était forgée dans la lutte et sa défaite résultait autant de l’abandon de la
France que de l’effort de ses ennemis. Mais Chauveau interprétait librement
l’historien. Adhérant lui aussi à l’idée que la Providence avait voulu
la conquête — ce qui revenait à trahir l’esprit de l’Histoire du Canada92 —,
il lui fallait toutefois expliquer pourquoi la dernière victoire française était
possible dans la débâcle générale ; il précisa donc que le

vingt-huit avril mil sept cent soixante [fut le] jour que la Providence, dans leurs
revers, réservait à nos ancêtres, pour qu’ils fussent les derniers vainqueurs dans
une lutte dont ils devaient eux-mêmes être le prix ; pour que le peuple conquis
pût toujours marcher tête levée et l’égal de ses conquérants, (préparant ainsi
l’union fraternelle qui ici comme ailleurs devait un jour régner entre les deux
races, en leur distribuant des lauriers cueillis sur le même champ de bataille)93.

Avec Chauveau, le mythe des Braves disait maintenant comment la victoire
de Lévis donnait aux vaincus de la Conquête le droit à l’égalité avec
leurs vainqueurs. Expliquant la symbolique du monument, l’orateur répéta
ensuite comment, entre la conquête et la bonne entente présente, la loyauté
militaire des Canadiens avait conservé le pays à la Grande-Bretagne :
Et que ne dira-t-il pas à la postérité ce monument? […] Ne dira-t-il pas aux
Bretons comme aux Français, aux émigrés comme aux natifs, que la même fidélité
que nos pères avaient montrée pour leur ancien drapeau, nous l’avons
montrée pour le nouveau ; que, s’ils étaient les hommes de Carillon et des
Plaines d’Abraham, nous avons parmi nous les hommes de Lacolle et de
Châteauguay, et que nous, les hommes de la nouvelle génération, nous n’avons
pas encore dit à l’histoire le dernier mot de notre race94 ?

Puis Chauveau enchaîna sur plusieurs autres messages que le monument
adressait « aux générations futures », « aux peuples de l’avenir », et
qui portaient sur les thèmes de l’éveil national, de l’héroïsme, de la permanence
de la mémoire. On ne pouvait mieux illustrer comment le discours
commémoratif établit, à travers un dialogue fictif entre les morts et
les vivants, un réseau de leçons adaptées à divers publics et dictées par les
circonstances.

La célébration de 1863
La construction du monument aux Braves aboutit lentement, faute de
moyens. Elle resta entre les mains de la SSJBQ et de sa base sociopolitique,
mais n’occupait plus le devant de la scène et parvenait difficilement à soulever
l’enthousiasme. Quelques jours avant le centenaire de la bataille de
Sainte-Foy, en 1860, Le Canadien publia la correspondance d’un porte-parole
du comité du monument qui déplorait même « la glace et l’indifférence
de nos compatriotes95 » à l’égard du projet. En effet, la SSJBQ fêta
modestement le centenaire de la bataille de Sainte-Foy : les sections féminines
des paroisses de Saint-Roch et de Saint-Jean organisèrent un
« bazar patriotique et national » et le 28 avril ne fut souligné que par une
« grande soirée dramatique ». En 1861, le fût de la colonne était tout de
même installé. Entre-temps, on avait demandé à la France une statue pour
couronner la colonne et on reçut effectivement une allégorie représentant
Bellone, déesse romaine de la guerre96. Le 19 octobre 1863, le monument
complet fut inauguré devant 20 000 personnes97.

La foule était importante, mais les émotions patriotiques de 1854 et
1855 n’y étaient pas. Le sens de la célébration était devenu prévisible et
routinier. Pour les discours de circonstance, les élites n’étaient pas représentées
par des personnages de premier plan, mais par des figures moins
connues déléguées par la hiérarchie militaire. L’un était le lieutenant-colonel
de Salaberry, haut gradé de la milice et fils aîné du « héros de la
Châteauguay », détail symbolique qui conservait son importance à
l’époque ; l’autre était le lieutenant-colonel Sewell, commandant militaire
de Québec. Leurs allocutions furent brèves et entendues seulement par
une minorité de participants. Du reste, leur teneur était connue d’avance :
on exalta le courage des soldats des deux armées, on remercia de leurs efforts
tous ceux qui avaient contribué à l’érection du monument et on se
félicita du ralliement des Canadiens de toutes les souches sous le drapeau
de l’Empire98.
Pour leur part, les commentateurs jugèrent que les célébrations de l’histoire,
encore peu répandues, avaient une utilité civique. « De telles commémorations,
dit Le Canadien, élèvent l’âme des peuples ; en se contemplant
dans les plus belles pages de leurs annales ils s’estiment davantage et
exigent plus d’eux-mêmes. Cela relève leur fierté, ravive leur patriotisme,
leur donne le mépris des vulgaires intérêts et les porte vers les devoirs difficiles
et les occasions de distinction99. »
En 1864, la SSJBQ obtint du gouvernement une loi qui déclara la colonne
« propriété publique et monument national100 ». Ici s’achevait la première
époque du monument des Braves, celle de son élaboration. On
comprend mieux que les commémorateurs n’aient pas insisté à l’époque,
dans les inscriptions du monument, sur la victoire des Franco-Canadiens :
le mythe conciliateur des Braves l’avait emporté et induisait une explication
du passé qui ne faisait ni vainqueur, ni vaincu.

D - LA RÉCUPÉRATION IMPÉRIALE DE 1908
ET LA TROISIÈME FORMULATION DU MYTHE

On ne connaît pas la raison précise pour laquelle la SSJBQ décida, à l’occasion
de la fête nationale de 1904, de fêter le cinquantenaire de la commémoration
de 1854101. Le contexte autorise cependant une hypothèse. En
1904, les commémorations étaient au sommet de leur vogue et les grandes
manoeuvres commençaient à Québec en prévision du deuxième centenaire
de la mort de Mgr de Laval, qui coïnciderait en 1908 avec le troisième centenaire
de la fondation de la ville par Samuel de Champlain. Le 15 avril, l’archevêque
de Québec, Louis-Nazaire Bégin, envoya, au nom du Comité du
monument Laval, une lettre invitant les évêques d’Amérique du Nord à
participer à la fête de leur fondateur102. H.-J.-J.-B. Chouinard, greffier à la
Ville de Québec, ancien président de la SSJBQ et secrétaire du comité du
Monument Laval, publia six mois plus tard dans le Daily Telegraph de
Québec un article « préconisant de célébrer le troisième centenaire de la
fondation de Québec, par Champlain, le 3 juillet 1608103 ». En rappelant
qu’elle avait commémoré 50 ans plus tôt un événement marquant de l’histoire
de la capitale, la SSJBQ cherchait peut-être à conserver son leadership
sur le terrain de la mémoire.
Dans quels termes s’était maintenant cristallisée l’idée que la bataille de
Sainte-Foy avait garanti aux Canadiens français leur droit d’être traités en
égaux par les conquérants ? Un des principaux orateurs, Arthur Lachance,
repoussa un peu plus loin les limites de l’anachronisme en affirmant que
les Canadiens dirigés par Lévis avait affronté Murray en avril 1760 pour
prendre « une éclatante revanche, sur le théâtre même de leur défaite, et
remport[é] une dernière victoire comme pour montrer à leurs maîtres
qu’ils étaient dignes de vivre avec eux sur un pied d’égalité parfaite104 ».

Le troisième centenaire de Québec
Prêcher l’harmonie nationale et la vivre en situation d’inégalité étaient
pourtant deux choses incompatibles. Durant les premières décennies de
la Confédération, les tensions se multiplièrent au sujet des droits linguistiques
et religieux des minorités francophones. L’engagement du Canada
dans la guerre d’Afrique du Sud en 1899 fut une autre source de discorde.
L’activité anti-impérialiste d’Henri Bourassa et la création de la Ligue nationaliste
canadienne en 1903 exprimaient ces frustrations.
À la même époque, le monument des Braves glissa de l’orbite de la
SSJBQ et du gouvernement provincial dans celle du gouvernement fédéral.
Voyant poindre le troisième centenaire de la fondation de Québec en
1908, le gouverneur général, lord Grey, s’investit d’une audacieuse mission
: renforcer l’attachement du Canada et en particulier de son élément
francophone à l’Empire par une manifestation grandiose qui, tout en rendant
hommage aux fondateurs français, se conclurait sur la création d’un
parc commémorant à jamais la victoire de Wolfe sur Montcalm. Cette célébration,
expliqua Grey en 1907, serait « a landmark in the development
of that racial fusion on the completeness of which the future greatness of
Canada would appear to depend105 ».
Pour réussir ce détournement de mémoire, Grey exploita à fond le
mythe des Braves tel que Chauveau l’avait formulé un demi-siècle plus
tôt. Si la première bataille des Plaines avait déterminé le sort de l’Amérique,
déclara-t-il en 1908, la deuxième «won for the French Canadians for
all time the absolute right to the sacred enjoyment of their language, their
religion and their laws, under conditions such as do not exist in equal
degree in any portion of the earth outside the Empire of the British
Crown106 ». Cela revenait à dire que la victoire de Lévis préludait à la « racial
fusion », expression plutôt vague qui rappelait la « fusion complète
des sentiments » dont avait parlé Louis Panet en 1854, mais avait aussi une
tonalité assimilatrice.
Du reste, lord Grey ne réutilisa la bataille de Sainte-Foy que pour amadouer
son public francophone. Pour son audience de langue anglaise, la
victoire de Wolfe en 1759 restait l’événement fondateur du rapport entre
les deux nations : la conquête avait ouvert la voie à la collaboration entre
vainqueurs et vaincus en libérant ces derniers d’un régime oppressif, et la
défaite de Murray l’année suivante n’avait rien changé à cette heureuse
conclusion107. Par exemple, pour l’ancien premier ministre de l’Ontario,
George William Ross, c’était dans la capitulation, signée le 18 septembre
1759, que : « a partnership was formed on the Plains of Abraham between
two great world races in the occupation and development of French
America108 ». La victoire de Lévis n’y était pour rien.
Malgré les efforts de Grey, la célébration du tricentenaire de Québec ne
remporta pas l’adhésion unanime des élites francophones. Comme en
1854, les nationalistes radicaux se moquèrent d’un projet destiné, en prenant
prétexte cette fois-ci de la fondation de Québec, à célébrer la
Conquête. À Montréal, le journal Le Nationaliste et à Québec, l’hebdomadaire
ultramontain La Vérité de Paul Tardivel, tournèrent en dérision
les visées de lord Grey et dénoncèrent la complicité des élites, inspirant
assez de crainte aux organisateurs pour que l’historien Thomas Chapais,
un des piliers du projet, jette le poids de son prestige en sa faveur109.
Pour sa part, le leader nationaliste Henri Bourassa reconnut que lord
Grey, lui-même « impérialiste déterminé », avait «manoeuvré avec beaucoup
de tact » pour atténuer les protestations contre le détournement de
l’anniversaire de la fondation de Québec. « Il a mis des tampons aux angles
les plus aigus, ajouta-t-il, et constitué un programme où son idée reste la
note dominante, mais entourée d’impromptus destinés à plaire à peu près
à tous les goûts110. » La récupération du mythe des Braves fut un de ces
« impromptus ».
En 1908, le gouvernement du Québec céda le monument à la
Commission des champs de bataille nationaux (CCNB), un petit organisme
créé par le gouvernement fédéral pour préserver le lieu mythique
où l’Angleterre avait triomphé de la France111. La Vérité s’empressa de
« protester hautement » contre cette cession « à une commission qui incarne
l’idée du grand tout canadien, et de la fusion des races », d’autant plus
que le champ de bataille où se trouvait le monument était « indiscutablement
historique », tandis que le terrain réservé pour célébrer la victoire de
Wolfe n’avait jamais été qu’un « champ de pacage112 ». La CCNB aménagea
progressivement un parc et des percées visuelles pour mettre en valeur
le monument, mais son programme d’ensemble resta consacré pour
l’essentiel à sa première raison d’être, la victoire britannique.
La « deuxième bataille d’Abraham » aujourd’hui
La bataille de Sainte-Foy demeura en réserve de la mémoire. À l’automne
de 1970, on redécouvrit les os des Braves en déplaçant le monument de
quelques mètres. La SSJBQ, encore propriétaire des os même si le monument
et le terrain ne lui appartenaient plus, organisa peu après une très
modeste cérémonie d’enfouissement à l’occasion du jour du Souvenir.
« Ce n’est pas par hasard qu’on a choisi le 11 novembre pour présider à
cette cérémonie du souvenir », expliqua la journaliste qui rapportait l’événement.
« On a voulu associer la mémoire des soldats des deux dernières
guerres mondiales avec celle de ceux qui donnèrent leur vie aux premiers
temps de la colonie et à la Conquête113. »
Une manifestation plus substantielle marqua, en 1985, le 225e anniversaire
de l’événement dans le cadre d’une fête municipale. La didactique
commémorative fut exploitée au goût du jour : les organisateurs mirent
l’accent sur la contextualisation de l’histoire à l’aide d’une conférence publique,
de deux modules d’interprétation placés dans un parc public et
d’une publication de la société d’histoire locale. Malgré cet effort de dédramatisation, l’esprit des commémorations antérieures n’avait pas disparu.
Un des animateurs de la manifestation espéra que « le récit d’un affrontement
meurtrier saura faire germer quelques idées de paix ou, du
moins, en faire apprécier les bienfaits » et affirma que « les épisodes sanglants
de notre histoire […] nous apportent malgré tout une fierté légitime
devant les victoires de nos ancêtres pendant leur lutte pour la défense
de la patrie114 ».
Depuis, la mémoire de la bataille ressurgit épisodiquement. Le 28 avril
1995, la SSJBQ organisa une petite cérémonie au monument des Braves,
où étaient représentées l’armée, les villes de Québec et de Sainte-Foy et
l’Assemblée nationale115 ; le discours fut réduit à quelques banalités sur le
souvenir.
En 2000, on célébra l’événement deux fois plutôt qu’une. Le 30 avril,
un regroupement d’organismes patriotiques ou intéressés à l’histoire,
dont la SSJBQ et la Société nationale des Québécois et des Québécoises
(SNQQ), coordonna un rassemblement commémoratif d’environ
200 participants à l’ancienne église Notre-Dame de Foy, d’où les troupes
de Murray retraitèrent lors de l’avance de celles de Lévis, à la veille de la
bataille. Le même jour, la CCBN organisa une « marche commémorative
» au monument des Braves. La dualité du mythe des Braves explique
ce dédoublement. Le président de la SNQQ vit dans la victoire de Sainte-
Foy « le symbole de notre détermination à continuer de vivre en français
comme société québécoise ». « Le meilleur hommage que nous puissions
rendre aux braves de 1760, ajouta-t-il, c’est de poursuivre notre juste
combat, jusqu’à ce que nous soyons vraiment maîtres de notre destinée116.
» C’était resservir le discours de « l’égalité des races », la loyauté en
moins.
Pour sa part, l’organisme fédéral lut dans le monument « un symbole de
réconciliation et de paix » sous lequel on retrouvait maintenant « côte à
côte des ossements d’Amérindiens, de Français et d’Anglais, de catholiques
et de protestants ». Respectant son mandat constitutif, la CCNB exploita
donc la version réconciliatrice de lord Grey, mais risqua une entorse
supplémentaire à la vérité historique puisque les Amérindiens ne participèrent
presque pas à la bataille et y perdirent très peu des leurs117.
Avec Taché, le mythe appelait à la collaboration entre les deux nations
canadiennes ; Chauveau suivit ce raisonnement pour parler d’égalité entre
elles ; lord Grey enchaîna pour préconiser leur fusion. En 2000, la CCNB
fit fusionner dans ces ossements une troisième nation. Bien sûr, seule une
analyse d’ADN permettrait d’y voir clair sur l’appartenance de ces os, mais
elle compromettrait la magie du mythe et les manipulations de l’histoire.
E -LE DÉFI POSÉ À L’HISTOIRE PAR LA MÉMOIRE DE LA CONQUÊTE
Revenons au rôle des érudits dans la commémoration. On peut dire sans
lui faire injure que presque toute l’histoire étudiée, écrite et diffusée au XIXe
siècle et jusqu’aux années 1940 l’a été dans une intention commémorative,
au sens où nous l’avons définie. Bien sûr, les érudits se préoccupaient de
la recherche et de la validation des sources, du déroulement exact des faits
et des conséquences des événements. Mais à l’époque de Garneau, écrire
l’histoire de la Nouvelle-France relevait d’une volonté de réhabilitation
nationale. Celle-ci était axée à la fois sur la connaissance des faits qui imprimaient
une trajectoire déterminée à la nation et sur la reconnaissance
envers les ancêtres qui avaient tracé l’avenir. Garneau illustra en personne
ce va-et-vient entre la production savante de son époque et la société : rédacteur
du récit canonique de la bataille de Sainte-Foy, il compta ensuite
parmi les notables qui lancèrent le souvenir public de l’événement.
La position adoptée par les historiens au troisième centenaire de
Québec est plus intrigante. Le métier commençait alors à s’organiser au
sein de sociétés savantes, à s’outiller avec l’organisation des archives publiques
et à prendre pied dans les universités. Mais cette consolidation
n’entraîna pas une réflexion épistémologique118. Comme le signale Henry
Vivian Nelles, les Thomas Chapais, William Wood, Arthur Doughty et
Ernest Myrand, qui préparèrent activement les spectacles historiques, ne
trouvèrent pas à redire des usages discutables de l’événement, ni de l’explication
fantaisiste que lord Grey donnait du sens de la bataille de Sainte-Foy. À cette époque, explique Nelles, les historiens estimaient que leurs
travaux devaient donner un sens profond à leur pays, contribuant ainsi à
son unité et à son édification. Si la commémoration était un canal de diffusion
des connaissances, la noblesse des intentions excusait quelques accrocs
à la vérité119. Comme l’interprétation bonne-ententiste de la bataille
de Sainte-Foy dominait sans partage depuis presque un demi-siècle, elle
avait acquis la légitimité du lieu commun. Pourtant à l’affût des paroles et
des gestes de leurs adversaires, jamais Le Nationaliste ou La Vérité ne remirent
en cause, comme l’avaient fait Papineau et Le Pays en leur temps,
la commémoration conjointe des troupes de Lévis et de Murray.
À partir de 1950, la professionnalisation de l’histoire au Québec francophone
bouleversa les rapports entre la recherche et la diffusion, entre
producteurs et consommateurs du marché de l’histoire. Marcel Trudel
amorça une synthèse de l’histoire de la Nouvelle-France qui renouvelait
certains cadres conceptuels et ramenait les épisodes glorieux de l’histoire
commémorative à peu de chose : son collaborateur Guy Frégault y régla
la bataille de Sainte-Foy en deux pages ; lui-même n’y consacra que
quelques paragraphes120.
La professionnalisation, consolidée par l’irruption dans le champ historique
de spécialistes formés dans les sciences sociales121, a entraîné en
bloc un recul de l’intérêt des universitaires pour la Nouvelle-France, lieu
par excellence de l’histoire commémorative122. Le repli de cette dernièrea découlé d’une pluralité de facteurs. Décidés à la fois à prendre leurs distances
du thème de la survivance qui sous-tendait l’exaltation de la
Nouvelle-France, et à explorer les questions laissées dans l’ombre par sa
mythologie, les historiens cherchèrent des structurations de longue durée
en décortiquant la période par segments disciplinaires (ethnohistoire, démographie
historique, géographie historique, etc.) qu’ils rapprochèrent
ensuite à l’aide de nouvelles hypothèses.
Les périodisations en ont été bousculées. Les chronologies savantes écartèlent
maintenant la Nouvelle-France entre les XVIIe et XVIIIe siècles, mais
font disparaître 1760 ou 1763 comme charnières. Ce redécoupage facilite la
coexistence de périodisations adaptées au fractionnement et au raffinement
des problématiques d’étude123. De plus en plus de travaux chevauchent donc
avec succès les régimes français et anglais et montrent que la Conquête n’a
pas transformé dans l’immédiat les structurations profondes du régime
français124. Le seul débat de fond auquel ait donné lieu cet épisode date
d’une génération et a porté sur l’existence en 1760 d’une bourgeoisie locale
— on voit bien ici l’influence de l’histoire sociale —, qui serait la preuve
d’une maturation de la société canadienne à la fin de la Nouvelle-France et
d’une interruption de son développement normal par la défaite125.
Pour sa part, l’histoire commémorative a solidement structuré la
Conquête en réseaux mythiques qui l’«expliquent » et permettent d’en tirer
indéfiniment des leçons adaptées aux circonstances. C’est bien ce rôle pédagogique
que lui ont fait jouer les élites des décennies 1840 et 1850, lorsque
Garneau a formalisé l’histoire du Canada et que son réseau de la SSJBQ a
créé le mythe des Braves. Il leur fallait expliquer que le peuple de la Nouvelle-
France ait pu se perpétuer en dépit du changement de métropole et pour
cela, elles ont projeté sur lui les qualités qu’elles estimaient nécessaires à sa
survie future : d’un côté, combativité et capacité de vaincre, comme celle qui
s’était manifestée encore le 28 avril 1760 ; de l’autre, acceptation de la défaite
finale et de ses conséquences néfastes, du moment que ces dernières
s’effacent graduellement dans l’égalité entre vainqueurs et vaincus.
Non seulement ces représentations alimentent des espérances, des crispations
ou des satisfactions identitaires et fondent les programmes politiques
lors de leur énonciation, mais elles ont une remarquable capacité
d’adaptation. Au moment où nous écrivons ces lignes, les gouvernements
du Québec et du Canada s’apprêtent à commémorer les soldats morts durant
la guerre de la conquête et enterrés dans le cimetière de l’Hôpital général
de Québec, là précisément où, en 1854, on avait envisagé de transférer
les ossements des Braves. Les élites réutilisent donc aujourd’hui la
commémoration pour proposer des lectures de la Conquête adaptées à
leurs visées, réduisant l’enquête historique à des questions secondaires et
conservant le contrôle des interprétations126.
En permettant d’apprécier des continuités là où on ne voyait que des
ruptures, la révision des chronologies a une valeur heuristique indéniable ;
mais en cherchant à se dégager de l’emprise du mythe, l’histoire savante
a dépassé une limite que la mémoire commune, largement travaillée par
l’histoire commémorative, n’a pas voulu franchir. Dans une reconstruction
réduisant les événements militaires à des incidents sans portée durable,
les deux batailles des plaines d’Abraham perdent évidemment de
leur pertinence, et pourtant leur commémoration demeure toujours aussi
présente. On se retrouve donc au coeur du paradoxe que Gérard Bouchard
a identifié : « le praticien de l’histoire sociale ne sait pas bien se faire entendre
de ceux-là même dont il se fait le porte-parole », de sorte que sa
discipline « exerce relativement peu d’influence dans l’accréditation des
représentations du passé au sein de la population ; ses voisines (ou concurrentes
?) y contribuent bien plus puissamment127 ». Autrement dit, l’histoire
sociale est incapable pour l’instant de relever le défi d’une explication
globale de la Conquête qui permette à la société de sortir des sentiers battus
par l’histoire commémorative.
CONCLUSION
Le mythe des Braves est un discours à la fois intéressé et trompeur.
Intéressé parce qu’il a été produit par les élites canadiennes-françaises pour
rallier leur public à leur stratégie politique de loyauté envers l’Empire,
puis a été récupéré par l’Empire pour rallier ce même public à sa vision de
l’avenir du Canada. Trompeur parce qu’il a travesti la dimension véritative
de la mémoire. Il y a d’abord eu cet énorme anachronisme où la bataille
de Sainte-Foy, tentative sans lendemain de reprendre Québec, est devenue
un combat politique pour la sauvegarde des droits des vaincus. En se
fondant sur cette vue de l’esprit, les commémorateurs ont certifié une
suite d’identités, d’abord française, puis française et anglaise, et finalement
française, anglaise et amérindienne, aux ossements découverts en 1852,
lorsque rien n’a jamais été certain. On comprend la défiance mutuelle des
commémorateurs et des savants, le but des premiers étant de plier le passé
aux lectures correspondant le mieux à leurs programmes, les seconds
cherchant au contraire à faire ressortir les complexités, les contextes et les
nuances des choix effectués par les générations précédentes et de leurs effets
sur le présent.
Pour contrer les lectures falsifiées du passé, la profession historienne
doit souhaiter, avec Jacques Mathieu, que la commémoration sociopolitique
« invite à respecter le souvenir pour s’inventer un avenir, plutôt qu’à
réinventer le passé pour célébrer le présent128 ». Peut-on par exemple, dans
le cadre d’une commémoration des morts de la guerre de la Conquête,
éviter une réflexion et un débat historiques sur le déroulement et les
conséquences de cet événement sous prétexte d’éteindre les « haines nationales
qui nous ont fait tant de mal », comme l’a demandé Taché en
1854 ? Ce serait se défiler non pas du «devoir de mémoire » mais, comme
l’a montré Philippe Joutard, du «devoir de l’histoire129 » et de l’utilisation
des procédures acquises de la connaissance pour identifier les structurations
mythiques, tenir en échec les tentations téléologiques et construire
des intelligibilités libératrices en regard de la mémoire.

***

1. Nous remercions Gérard Bouchard, Réal Ouellet et Alain Roy qui ont accepté de lire une
première version de ce texte, les évaluateurs de la Revue d’histoire de l’Amérique française pour
leurs commentaires ainsi que le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada pour son
appui financier.
2. D’après l’inventaire de la Commission de la capitale nationale du Québec disponible sur
Internet (http://www.capitale.gouv.qc.ca/pagesint/e23.html) (page consultée le 26 octobre
2000), 19 des 57 monuments de Québec portent sur la Nouvelle-France. C’est sans compter les
plaques historiques ni 17 des 22 statues de la façade de l’Hôtel du Parlement qui illustrent cette
période fondatrice, Luc Noppen et Gaston Deschênes, L’Hôtel du Parlement, témoin de notre histoire (Québec, Publications du Québec, 1996), 145-154. La situation est similaire à Montréal, où un relevé
d’Alan Gordon montre que 48 des 93 plaques et monuments installés entre 1891 et 1930
touchent le régime français, Contested Terrain : The Politics of Public Memory in Montreal, 1891-1930,
thèse de doctorat (histoire), Queen’s University, 1997, 206, tableau 7.3.
3. Denis Martin, Portraits des héros de la Nouvelle-France : images d’un culte historique (LaSalle,
Hurtubise HMH, 1988), 24 ; Fernande Roy, « Une mise en scène de l’histoire. La fondation de
Montréal à travers les siècles », Revue d’histoire de l’Amérique française [ci-après RHAF], 46,1 (été
1992) : 7-36 ; Jacques Mathieu et Jacques Lacoursière, Les mémoires québécoises (Sainte-Foy, Les
Presses de l’Université Laval, 1991), 313-325. Sur quelques cas bien documentés, voir Jacques
Mathieu, « Les sens de l’événement », dans Claire Dolan, dir., Événement, identité et histoire (Sillery,
Septentrion, 1991), 255-267 [sur l’évolution du personnage de Jacques Cartier] ; Richard LaRue et
Fabrice Montal, «Québec 1984 : le silence des historiens », dans Jacques Dagneau et Sylvie Pelletier,
dir., Mémoires et histoires dans les sociétés francophones (Québec, CÉLAT, 1992), 49-56 ; Patrice
Groulx, Pièges de la mémoire. Dollard des Ormeaux, les Amérindiens et nous (Hull, Vents d’Ouest, 1997),
327-353 ; Diane Gervais et Serge Lusignan, « De Jeanne d’Arc à Madeleine de Verchères. La femme
guerrière dans la société d’ancien régime », RHAF, 53,2 (automne 1999) : 171-205. Allan Greer
montre que le cas de sainte Kateri Tekakwitha se situe aux deux niveaux de l’hagiographie et de
l’histoire laïque : «Savage/Saint : The Lives of Keteri Tekakwitha », dans Sylvie Dépatie, Catherine
Desbarats, Danielle Gauvreau, Mario Lalancette et Thomas Wien, dir., Vingt ans après Habitants et
marchands (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1998), 138-159.
4. Sur la place occupée par les monuments dans l’identité sociale, voir Luc Noppen et Lucie K.
Morisset, « De la production des monuments. Paradigmes et processus de la reconnaissance »,
dans Laurier Turgeon, Jocelyn Létourneau et Khadiyatoulah Fall, dir., Les espaces de l’identité
(Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1997), 23-52. Voir aussi le dossier « Dans l’intimité
de l’art public », Continuité [magazine du patrimoine au Québec], 82 (automne 1999) : 18-50.
5. Pour le cas de Québec, ville de mémoire, cette « reprise » remonte même à 1960. Voir Henri
Dorion, Denis Samson et Nicolas Giroux, « Les représentations commémoratives », dans Serge
Courville et Robert Garon, dir., Québec, ville et capitale (Sainte-Foy, Les Presses de l’Université
Laval, 2001), 388-403.
6. Pierre Nora, « L’ère de la commémoration », Les lieux de mémoire (Paris, Gallimard, 1993),
III,3 : 975-1012. Émettons toutefois une réserve : les conclusions de l’auteur quant au rapport
entre mémoire, histoire et commémoration ne rendent compte que du cas de la France et ne
peuvent pas être mécaniquement transposées au Québec, malgré de nombreuses concordances.
7. Commission des biens culturels, Pour une politique de la commémoration au Québec : bilans et
pistes de discussion ([Québec], [Commission des biens culturels du Québec], 1998), 17. Le terme
commémoration recouvre des réalités différentes selon les auteurs. Pour Pascal Ory, notamment,
la mémoire collective s’exprime dans trois instances : la rétrospection, la célébration et la
commémoration, Une nation pour mémoire. 1889, 1939, 1989. Trois jubilés révolutionnaires (Paris,
Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1992), 8-10. Ce qu’Ory définit comme
« célébration » correspond à ce que nous appelons ici « commémoration sociopolitique ».
8. Gérard Namer, Mémoire et société (Paris, Méridiens Klincksieck, 1987), 201-215.
9. Patrice Groulx, Pièges…, op. cit., 159.
10. Jacques Mathieu compare la commémoration à une « langue riche et vivante » possédant
en propre un vocabulaire, une grammaire et des principes de communication : « Le langage de la
commémoration», dans Thomas H. B. Symons, dir., Les lieux de la mémoire. La commémoration du
passé du Canada (Ottawa, Société royale du Canada, 1996), 41-50.
11. Pierre-Georges Roy, Les monuments commémoratifs de la province de Québec (Québec,
Commission des monuments historiques de la province de Québec, 1923), 2 volumes. Roy était
alors secrétaire de la toute nouvelle Commission. Sur le contexte où est apparu ce premier inventaire,
voir Alain Gelly, Louise Brunelle-Lavoie et Corneliu Kirjan, La passion du patrimoine : la
Commission des biens culturels du Québec, 1922-1994 (Sillery, Septentrion, 1995), 25-28.
12. L’étude du rapport entre la commémoration et l’historiographie a été provoquée par un
questionnement sur les usages de la mémoire. Maurice Agulhon a resserré cette interrogation
sur l’image, Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880 (Paris,
Flammarion, 1979), 251 p., puis le monument, « La statuomanie et l’histoire », Ethnologie française,
8,2-3 (mars-septembre 1978) : 145-172. De nombreux auteurs américains se sont penchés sur la
commémoration dans leur pays ; le cas des monuments de la Guerre civile de 1860, où s’entrecroisent
les thèmes de l’émancipation des esclaves, des héros des États vaincus et de la réconciliation
nationale, s’apparente à celui du souvenir de la Conquête ; voir Kirk Savage, « The Politics
of Memory : Black Emancipation and the Civil War Monument », dans John R. Gillis, dir.,
Commemorations. The Politics of National Identity (Princeton, NJ, Princeton University Press, 1994),
127-149. Au Canada, outre les travaux déjà cités, ressortent les études de Bruno Hébert, Monuments
et patrie. Une réflexion sur un fait historique. La célébration commémorative au Québec de 1881 à
1929 (Joliette, Pleins Bords, 1980), 397 p. ; Christopher James Taylor, Negotiating the Past. The
Making of Canada’s Historic Parks and Sites (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1990),
xviii-246 p. ; Jonathan Vance, Death So Noble. Memory, Meaning and the First World War
(Vancouver, UBC Press, 1997), xv-319 p.), Ronald Rudin, « Contested Terrain : Commemorative
Celebrations and National Identity in Ireland and Quebec », dans Gérard Bouchard et Yvan
Lamonde, dir., La nation dans tous ses états (Montréal/Paris, l’Harmattan, 1997), 183-204 ; et
Henry Vivian Nelles, The Art of Nation-Building. Pageantry and Spectacle at Quebec’s Tercentenary
(Toronto, University of Toronto Press, 1999), x-397 p. Pour ce qui concerne la bataille de Sainte-
Foy et sa commémoration, voir surtout Jean Provencher, « Le parc du souvenir », dans Jacques
Mathieu et Eugen Kedl, dir., Les Plaines d’Abraham : le culte de l’idéal (Sillery, Septentrion, 1993),
239-273.
13. Henri Moniot, « L’histoire historienne analysée par la mémoire », dans Élise Marienstras et
Marie-Jeanne Rossignol, dir., Mémoire privée, mémoire collective dans l’Amérique pré-industrielle
(Paris, Berg International, 1994), 225.
14. Pour Pierre Nora, par exemple, « [m]émoire, histoire : loin d’être synonymes, nous prenons
conscience que tout les oppose », «Entre Mémoire et Histoire. La problématique des lieux »,
op. cit., I : La République, xix. Jacques Le Goff considère la mémoire comme « le vivier où puisent
les historiens », Histoire et mémoire (Paris, Gallimard, 1988), 10.
15. Henri Moniot, loc. cit.
16. Emmanuel Macron, « La lumière blanche du passé. Lecture de La Mémoire, l’histoire, l’oubli,
de Paul Ricoeur », Esprit, 266-267 (août-septembre 2000) : 22. Voir aussi Paul Ricoeur, « Définition
de la mémoire d’un point de vue philosophique », dans Françoise Barret-Ducrocq, dir.,
Pourquoi se souvenir ? (Paris, Bernard Grasset, 1998), 28-32.
17. Fernand Dumont, L’avenir de la mémoire (Québec, Nuit blanche, 1995), 25.
18. Paul Ricoeur, « Définition de la mémoire », 29-30. La difficulté est compliquée, remarque ici
Ricoeur, par le fait que la mémoire, tout comme l’imaginaire, se présente sous forme d’images.
« Beaucoup de débats que nous avons actuellement sur la déportation, précise-t-il, et tous les problèmes suscités aujourd’hui par la crédibilité des historiens et des mémorialistes naissent de ce
tout premier paradoxe. Même les historiens qui ont travaillé sur cette difficulté de la façon la plus
critique ne peuvent pas ne pas présenter de grandes fresques du passé, c’est-à-dire les mettre en
scène. Or, cette espèce de mise en scène du passé ne cesse de ramener la mémoire sur le terrain
de l’imagination avec la menace de l’imaginaire, de l’irréel, du virtuel. »
19. Emmanuel Macron, loc. cit., 24.
20. Voir notamment Primo Levi, Anna Bravo et Federico Cereja, Le devoir de mémoire : entretien
avec Anna Bravo et Federico Cereja ([Paris], Mille et une nuits, 1995), 95 p.
21. Jerzy Topolski, « Structure des mythes historiques : historiographie, conscience historique,
mémoire », dans Henri Moniot et Maciej Serwanski, dir., L’histoire en partage. Le récit du vrai
(Paris, Nathan, 1996), 71-81.
22. Claude Lévi-Strauss, « When Myth Becomes History », Myth and Meaning (Toronto,
University of Toronto Press, 1978), 34-43. « I am not far from believing, conclut Lévi-Strauss, that
in our own societies, history has replaced mythology and fulfils the same function, that for societies
without writing and without archives the aim of mythology is to ensure that as closely as
possible […] the future will remain faithful to the present and to the past. For us, however, the
future should always be different, and ever more different, from the present […]. But nevertheless
the gap which exists in our mind to some extent between mythology and history can probably
be breached by studying histories which are conceived as not at all separated from but as a
continuation of mythology. », p. 43.
23. Cette définition rejoint l’étymologie car le mythe est une « parole », Roland Barthes,
Mythologies (Paris, Seuil, 1970), 193. Elle rejoint aussi l’analyse de Mircea Éliade, pour qui le
mythe est « toujours le récit d’une “création” : on rapporte comment une chose a été produite, a
commencé à être. Le mythe ne parle que de ce qui est arrivé réellement, de ce qui s’est pleinement
manifesté. », Aspects du mythe (Paris, Gallimard, 1963), 15.
24. « Un objet ou un acte, précise Mircea Éliade, ne devient réel que dans la mesure où il imite
ou répète un archétype. Ainsi, la réalité s’acquiert exclusivement par répétition ou participation ;
tout ce qui n’a pas un modèle exemplaire est “dénué de sens”, c’est-à-dire manque de réalité. », Le
mythe de l’éternel retour (Paris, Gallimard, 1969), 48. Les italiques sont de l’auteur.
25. Voir Pierre Ouellet, « Le petit fait vrai. La construction de la référence dans le texte scientifique
», dans Pierre Ouellet, dir., Les discours du savoir (Montréal, Association canadiennefrançaise
pour l’avancement des sciences, 1986), 37-57.
26. Nous empruntons le terme « histoire commémorative » à Pierre Bourdieu, cité dans
Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire (Paris, Seuil, 1996), 48-49, qui l’oppose à « l’histoire scientifique ». Nous pourrions définir l’histoire commémorative comme une connaissance vérifiable
du passé vouée au prestige de son objet (personnage, institution, groupe, nation). Lorsqu’elle se
dégage de cette vocation, l’historiographie peut prétendre à la scientificité de manière plus
convaincante.
27. Guy Frégault, La guerre de la conquête, 1754-1760 (Montréal, Fides, 1975, 1955), 374-379.
28. Abbé Guillaume Raynal, Histoire philosophique et politique, des etablissemens & du commerce
des Européens dans les deux Indes (Paris, Lacombe, 1778), 6 : 218-221 ; William Smith, History of
Canada. From Its First Discovery to the Peace of 1763 (Québec, John Neilson, 1815), I : 332-338 ;
Michel Bibaud, La bibliothèque canadienne, IX,XX (15 avril 1830), 385-389, texte repris par l’auteur
dans son Histoire du Canada (Montréal, John Jones, 1837), 345-352, puis publié sans mention d’auteur
sous le titre « Extraits historiques », Le Canadien (ci-après LC), 2 août 1837, 1 et 2 ; Joseph-
François Perreault, Abrégé de l’histoire du Canada, Première partie (Québec, P. & W. Ruthven,
1832), 59-60.
29. François-Xavier Garneau, Histoire du Canada (Québec, Fréchette et frère, 1848), III : 239-
255.
30. Ibid., 239 et 256.
31. Ibid., 237 et 255.
32. Ibid., 257.
33. « [L]es vainqueurs […] établirent leur camp dans ces mêmes plaines où ils venaient de
laver si glorieusement la honte de la défaite qu’ils y avaient essuyée l’année précédente […]. »,
Ibid., 257. L’idée de la revanche était présente à l’esprit des combattants. Le comte de Maurès de
Malartic affirma plus tard que les officiers anglais « nous ont assuré que nous avons bien pris
notre revanche [de la bataille] du 13 septembre », Journal des Campagnes au Canada de 1755 à 1760
(Dijon, Damidot, 1890), 327.
34. Ibid., 263.
35. Pour Maurice Lemire, l’importance accordée à la deuxième bataille des Plaines en regard
de la première visait à souligner cet abandon et ainsi à préserver l’honneur national,
« L’ambiguïté garnélienne », dans Gilles Gallichan, Kenneth Landry et Denis Saint-Jacques, dir.,
François-Xavier Garneau, une figure nationale (Québec, Nota Bene, [1998]), 270.
36. Sur l’idée de constellation mythique, voir Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques
(Paris, Le Seuil, 1986), 11-12.
37. « La légende napoléonienne au Québec », dans Fernand Dumont et Yves Martin, dir.,
Imaginaire social et représentations collectives (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1982), 164.
Sur l’état d’esprit des Canadiens à l’annonce de la cession, voir Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, X : Le régime militaire et la disparition de la Nouvelle-France, 1759-1764 (Montréal,
Fides, 1999), 423-428.
38. Claude Galarneau a repéré chez le juge William Smith, de Québec, les premières formulations
du mythe de la conquête providentielle ; l’idée pénétra ensuite l’opinion avec l’aide de
Mgr Plessis, La France devant l’opinion canadienne (1760-1815) (Québec, Les Presses de l’Université
Laval, 1970), 336. Sur l’enchaînement Conquête/Révolution/Mission, voir David M. Hayne,
« Conquête providentielle et Révolution diabolique : une constante dans la littérature québécoise
du XIXe siècle », dans Sylvain Simard, dir., La révolution française au Canada français (Ottawa,
Presses de l’Université d’Ottawa, 1991), 323-337. Pour une critique cléricale de ce mythe, voir
l’abbé Lionel Groulx, « La Providence et la conquête anglaise de la Nouvelle-France », Notre
maître le passé (Montréal, Granger, 1944), 125-164. Dans l’historiographie, l’abbé Étienne-Michel
Faillon le formule nettement en 1852, Serge Gagnon, Le Québec et ses historiens de 1840 à 1920
(Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1978), 50-51.
39. Journal des campagnes du chevalier de Lévis en Canada (Montréal, Beauchemin, 1889), 268-
269 ; C. P. Stacey, Quebec, 1759 (Toronto, Macmillan, 1959), 164.
40. « Rapport du comité spécial », loc. cit. Dans cette citation comme dans toutes celles qui suivront,
nous reproduirons les formulations et l’orthographe originales.
41. Le texte sous-jacent de cette représentation est la « vision des ossements » du prophète Ézéchiel,
dans l’Ancien Testament : le Seigneur donne en vision à Ézéchiel le pouvoir d’insuffler la
vie à des ossements desséchés qui couvrent une vallée, pour qu’ensuite le prophète transmette
aux Hébreux l’espérance du retour sur leur sol et la restauration du peuple anéanti (Ézéchiel, 37,
1-14). Voir aussi Jean Pépin, « Mort et résurrection », Dictionnaire de la théologie chrétienne (Paris,
Encyclopædia Universalis et Albin Michel, 1998), 567-573.
42. « Rapport du comité spécial », loc. cit.
43. [Sans titre], JQ, 18 avril 1854, 2.
44. Canadien [pseud.], LC, 15 mai 1854, 2. On ignore qui utilisa ce pseudonyme (du reste assez
courant), mais il s’agissait visiblement d’un personnage soucieux d’infléchir le sens de la commémoration
à venir.
45. « Marche de la procession », LC, 31 mai 1854, 2.
46. « Interesting Ceremonial on Monday Next », Quebec Mercury, 1er juin 1854, 2.
47. « Commémoration des Braves de 1760 », LC, 5 juin 1854, 2.
48. « La translation des ossements des soldats français morts au combat de 1760, dans les
Plaines d’Abraham », JQ, 8 juin 1854, 2.
49. H.-J.-J.-B. Chouinard, Annales de la Société St-Jean-Baptiste de Québec (Québec, Compagnie
d’imprimerie du « Soleil », IV (1903) : 578. Rétrospectivement, Olivier Robitaille affirma que
« nous aurions aimé trouver [dans les nouvelles fouilles entreprises par la SSJBQ] quelques objets,
tels que boutons ou plaques d’uniformes, pour nous aider à reconnaître à laquelle des deux nations
belligérantes on pourrait assigner ces restes mortels ; peine inutile, rien de la sorte ne fut
trouvé. », loc. cit., 52. Pourtant, le « Rapport du comité spécial », en mars, parlait bien de la découverte
de pièces d’uniformes ; peut-être étaient-elles indéchiffrables.
50. H.-J.-J.-B. Chouinard, ibid.
51. Castor [pseud.], « Translation des cendres des braves de 1760 », LM, 13 juin 1854, 2. Cette
évaluation est peut-être exagérée (au recensement de 1851, Québec comptait 42 052 habitants)
mais montre l’intérêt suscité par l’événement. Après la messe à la cathédrale, « la ville presque
entière assista à ce grand spectacle [de la procession], et presque tous les chantiers furent fermés
», « La translation… », JQ, 8 juin 1854, 2.
52. Voir la description détaillée du cortège publiée par Olivier Robitaille, « Commissaire-
Ordonnateur » de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec (ci-après SSJBQ) : «Marche de la
Procession », Journal de Québec, 30 mai 1854, 2. Il reste un souvenir tangible de la translation de
1854, le tableau de la bataille peint par Joseph Légaré et intitulé La bataille de Sainte-Foy ; cette
toile ornait le char funéraire également conçu par Légaré (John Porter, Joseph Légaré, 1795-1855.
L’oeuvre (Ottawa, Galerie nationale du Canada, 1978), 102-104. La bataille de Sainte-Foy a également
inspiré plusieurs romanciers et poètes, dont Octave Crémazie, Louis-Honoré Fréchette,
Philippe Aubert de Gaspé et Edmond Rousseau. Voir François Miville-Deschênes, « Une bataille
auréolée », Mémoire [Société d’histoire de Sainte-Foy], 2-3 (été-automne 1985) : 24-25 ; voir aussi
Jacques Mathieu et Eugen Kedl, op. cit., 102-105.
53. Gérard Namer montre que même à l’arrière-plan d’une commémoration politique organisée
en France à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, « on trouve comme en écho d’autres
commémorations qui ont eu lieu dans le passé. Avant tout la commémoration religieuse », op.
cit., 201. Gilbert Gardes, op. cit., décrit les éléments essentiels et les articulations de cette syntaxe.
54. Voir Gilbert Gardes, op. cit., 102-106 et Maurice Agulhon, op. cit. 91-94 ; Françoise Waquet,
Les fêtes royales sous la Restauration (Paris, Arts et métiers graphiques, 1981), 207 p. ; Jean-Marcel Humbert, dir., Napoléon aux Invalides. 1840, le retour des cendres (Paris, L’Albaron, 1990), 203 p.
Sur la translation du duc de Wellington, voir Neville Thompson, Wellington After Waterloo
(Londres/New York, Routledge & Kegan Paul, 1986), 259-265. C’est en évoquant le retour des
cendres de Napoléon que se terminait le Rapport du comité de la SSJBQ chargé de préparer la
commémoration de la bataille de Sainte-Foy : ceux qui s’opposeraient à la translation des restes
de braves de 1760 « auraient sans doute voté contre M. Thiers quand il venait aux acclamations
de toute la France proposer à la tribune des députés de demander à l’Angleterre les dépouilles du
Grand Napoléon pour les déposer dans l’Hôtel des Invalides à Paris ! », « Rapport du comité spécial
des Vice-Présidents de la Société Saint-Jean-Baptiste, nommé le 14 septembre 1853 », Le
Journal de Québec (ci-après JQ), 21 mars 1854, 2. D’autres éléments prouvent hors de tout doute la
puissance du mythe de Napoléon dans l’imaginaire social de l’époque, Claude Galarneau, loc.
cit., 163-174.
55. P.-G. Roy, op. cit., 175-184.
56. « Translation des restes de feu Ludger Duvernay, Écuier », La Minerve (ci-après LM), 24 octobre
1855, 2 ; « Inauguration du Monument dédié aux Victimes de 1837-38 », Le Pays (ci-après
LP), 16 novembre 1858, 2.
57. Peter Goheen a montré que « [l]es défilés et processions qui parcourent les villes et villages
canadiens au XIXe siècle sont des événements marquants de la vie sociale, politique, religieuse ou
civile. » Voir son article « Défilés et processions », dans R. Louis Gentilcore, dir., Atlas historique du
Canada (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1993), II : pl. 58. Cette tradition se perpétue
aujourd’hui dans les funérailles d’État.
58. Olivier Robitaille, « Le monument des braves », dans H.-J.-J.-B. Chouinard, dir., Fête nationale
des Canadiens français célébrée à Québec en 1880 (Québec, A. Côté et Cie, 1881), 53 et 60. Sauf
mention contraire, notre historique du monument s’appuie sur cet article.
59. Taché était membre du ministère à titre de Receveur général. Il devint en 1855 le chef de
la députation du Bas-Canada dans le ministère MacNab-Taché, et en mai 1856, premier ministre
dans le ministère Taché-Macdonald. Voir Andrée Désilets, « Taché, sir Étienne-Paschal »,
Dictionnaire biographique du Canada (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1977), IX : 858.
60. Louis-P. Turcotte, Le Canada sous l’Union, 1841-1867 (Québec, Demers et frère, 1882), 208.
61. « Fête de Saint-Jean-Baptiste », LC, 28 juin 1854, 2. L’Empire continua de soutenir la commémoration
des Braves puisque la présidence des cérémonies de 1855 et 1863 revint aux
Gouverneurs généraux Edmund Walker Head et Charles Stanley Monck. L’appui des journaux
de langue anglaise, en particulier du Quebec Mercury, était un autre signe de ce soutien.
62. « Cérémonie de translation des ossements des braves tombés en 1760 sur les Plaines
d’Abraham », LC, 7 juin 1854, 2.
63. [Sans titre], LC, 21 juin 1854, 2.
64. Cette alliance resta la toile de fond de la cérémonie de 1855 et fut encore évoquée à celle
de 1863. La guerre de Crimée, déclarée le 27 mars 1854, opposa la Russie à une coalition formée
par la Turquie, la Grande-Bretagne, la France et le royaume de Sardaigne. Elle se termina par la
défaite des Russes et la signature d’un traité à Paris en 1856.
65. « Le Monument des Braves », Bulletin des recherches historiques, XV,8 (août 1909) : 250-256.
66. Voir Jacques Monet, La première révolution tranquille. Le nationalisme canadien-français (1837-
1850) (Montréal, Fides, 1981), 504 p. ; voir aussi Ralph Heinzman, « The Political Culture of Quebec, 1840-1960 », Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, XVI,1 (mars
1983) : 3-59 ; Stéphane Kelly, La petite loterie. Comment la Couronne a obtenu la collaboration du
Canada français après 1837 (Montréal, Boréal, 1997), 283 p. ; Jeffrey Simpson, Spoils of Power. The
Politics of Patronage (Toronto, Collins, 1988), 35-64.
67. Gérard Bouchard, Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde (Montréal, Boréal, 2000),
107-108. Pour une description du « paradigme de la survivance », voir aux pages 99-110. L’auteur
signale aussi l’existence d’un courant parallèle et parfois complémentaire au Canada anglais, 313-
329.
68. Jacques Monet, La première révolution, 30.
69. Au XIXe siècle et durant la première moitié du e, la bataille de la Châteauguay et son
héros, Charles-Michel de Salaberry, occupèrent une place prépondérante dans la commémoration,
entre autres les défilés de la Saint-Jean-Baptiste. En 1881, on inaugura à Chambly un monument
à Salaberry, et un autre sur le lieu de la bataille en 1895. Voir Benjamin Sulte, Histoire de
la milice canadienne-française (Montréal, Desbarats, 1897), 32-35, 50-52, 128-129.
70. Andrée Désilets, loc. cit., 857. Taché était d’autant mieux placé pour afficher sa loyauté
qu’il s’était porté volontaire à 17 ans à la guerre de 1812 et était présent à la bataille de la
Châteauguay.
71. François-Xavier Garneau, Histoire…, I : 19-20.
72. L’exaltation de la Nouvelle-France n’allait toutefois pas sans contradiction, comme l’a
montré Maurice Lemire : Garneau jugeait avec raison les institutions de la Nouvelle-France
comme rétrogrades en regard de celles de la Nouvelle-Angleterre. Pourtant, il proposa un récit
traditionnel qui insistait sur les batailles et les explorations, mettant ainsi en valeur le courage et
la discipline des Canadiens, bref les qualités qui leur permettraient de faire contrepoids à la puissance
de l’adversaire. Voir Maurice Lemire, loc. cit., 269.
73. Voir Stanley Bréhaut Ryerson, Le Capitalisme et la Confédération (Montréal, Parti Pris,
1972), 219-227.
74. Voir en particulier William Smith, History of Canada: From Its First Discovery to the Peace of
1763 (Québec, John Neilson, 1815), I : iii-383 p. ; George Heriot, The History of Canada From Its
First Discovery (Londres, Longman & Rees, 1804), I : xv-616 p. Un premier monument fut érigé
en 1790 à l’endroit où Wolfe mourut en 1759. La construction en 1828 d’un obélisque en l’honneur
conjoint de Wolfe et de Montcalm, et dont la dédicace en latin évitait d’employer l’anglais
ou le français, reflétait l’ambivalence des autorités coloniales envers les « nouveaux sujets ». Par
ailleurs, les mêmes autorités ne négligèrent jamais Wolfe puisqu’elles remplacèrent en 1832 son
monument sur les Plaines, puis le remirent à neuf en 1849, cinq ans avant la commémoration de
la bataille de Sainte-Foy. Voir G.-E. Marquis, Les monuments commémoratifs de Québec (Québec,
[s.é.], 1958), 35 et 126-127.
75. Comme l’a rappelé Maurice Agulhon, la « statuomanie » est née d’une épreuve de force
entre libéralisme et conservatisme : « Depuis le début du [XIXe] siècle, la sculpture civique, sous la
forme des statues de grands hommes, ne cessait de s’étendre ; la “statuomanie”, comme on disait
déjà, était justement perçue comme un caractère inhérent à l’urbanisme moderne et à la société
libérale et laïque. », op. cit., 94.
76. « Discours prononcé par l’honorable colonel Taché, à l’inhumation des restes des braves
tombés en 1760 sur les Plaines d’Abraham », LC, 9 juin 1854, 1.
77. C. P. Stacey, Canada and the British Army, 1846-1871 (Toronto, University of Toronto Press,
1963), 90. Taché ne manquait pas de suite dans les idées. En 1846, il plaida vigoureusement en faveur
de la milice du Bas-Canada, désorganisée depuis les événements de 1837-1838. Cette fois-ci,
il eut gain de cause. « Peu après la reprise des travaux [parlementaires] le 23 février 1855, on étudie
un projet de loi destiné à restructurer la milice canadienne. À cause de la guerre en Crimée,
la Grande-Bretagne a dû rappeler une partie de ses troupes qui séjournaient en Amérique du
Nord et, au printemps de 1855, il ne reste plus au Canada que 1887 soldats britanniques. » Jacques
Lacoursière, Histoire populaire du Québec (Sillery, Septentrion, 1996), 3 : 80. À cette date, Taché
est à la tête du ministère McNab-Taché.
78. « Discours… », loc. cit., 2.
79. Ibid.
80. Ibid. Cette résolution prouve qu’à l’origine, on ne voulait consacrer le monument qu’aux
Canadiens et aux Français. Il est révélateur que Taché, pour défendre l’idée d’un monument
conjoint, ait pris pour exemple le monument à Wolfe et à Montcalm érigé en 1828 ; dans les discours,
les comptes rendus et les commentaires de la presse entourant les cérémonies du monument
des Braves, la restauration pourtant récente (1849) du monument de Wolfe sur les Plaines n’a servi
ni d’exemple ni de repoussoir. Peut-on dire qu’un monument en attire un autre ? Inspiré par le projet
du monument des Braves, un journal montréalais proposa ensuite d’élever un monument aux
soldats de la bataille de 1813 sur la Châteauguay ; voir Castor [pseud.], «Translation…», loc. cit.
81. L.-J. Papineau à P.-J. Jolicoeur, 1er mai 1854, Archives nationales du Québec à Québec (ci-après
ANQQ), Fonds Famille Joseph Papineau, P417/2. Jolicoeur était le secrétaire de la SSJBQ.
Nous remercions Jacques Lacoursière, Georges Aubin et François Labonté pour nous avoir mis
sur la piste de cette correspondance.
82. L.-J. Papineau à Robert Christie, 5 juin 1854, ibid.
83. « Inhumation des restes des braves tombés en 1760 sur les Plaines d’Abraham », LP, 17 juin
1854, 2 ; les italiques se trouvent dans l’original.
84. [Sans titre], LC, 21 juin 1854, 2.
85. Delta [pseud.], « Resurrection of Dry Bones », Quebec Mercury, 10 juin 1854, 2. En effet, le
tricolore français, surmonté de l’aigle impériale de Napoléon III (une réminiscence des symboles
adoptés par Napoléon Ier), flottait en tête de la procession, côte à côte avec l’Union Jack anglais et
suivi du drapeau de Carillon, souvenir d’une célèbre victoire de Montcalm, « Marche de la procession
», Le Canadien, 31 mai 1854, 2. Le titre de l’article est une allusion ironique à la vision d’Ézéchiel,
voir note 35.
86. Sur la visite de La Capricieuse, voir Henri Cangardel, « Voyage de la “Capricieuse” au
Canada », Revue de l’Université Laval, X,5 (janvier 1956) : 379-395 ; Jacques Portes, « “La
Capricieuse” au Canada », RHAF, 31,3 (décembre 1977) : 351-370 ; Éveline Bossé, La Capricieuse à
Québec en 1855 (Montréal, Éditions La Presse, 1984), 172 p. Il faut situer cette référence à la France
dans le cadre des rapports affectifs que la nation canadienne-française entretenait avec l’ancienne
métropole. À ce sujet, voir la mise au point de Gérard Bouchard, Genèse…, op. cit., 93-157.
87. [Sans titre], JQ, 12 juin 1855, 2 ; « La fête St. Jean-Baptiste », ibid., 19 juin 1855, 2 ; « Arrivée
très prochaine de la corvette française “La Capricieuse” », ibid., 26 juin 1855, 2 ; « La fête patronale
de St. Jean », ibid.
88. Olivier Robitaille, loc. cit., 79-80.
89. « Pose de la pierre angulaire du monument », Journal de Québec, 17 juillet 1855, 2. Alma,
Balaklava et Inkerman étaient le nom de trois victoires remportées par les alliés durant la guerre
de Crimée.
90. À Québec, LC, 20 juillet, JQ, 21 juillet et à Montréal, LM, 24 juillet.
91. Discours prononcé le mercredi 18 juillet 1855 par l’honorable P. J. O. Chauveau […] à la cérémonie
de la pose de la pierre angulaire […] du monument des braves tombés sur la plaine d’Abraham le 28 avril
1760 (Québec, E. R. Fréchette, 1855), 4.
92. Voir Micheline Cambron, « P.-J.-O. Chauveau, lecteur de Garneau », dans Gilles Gallichan,
Kenneth Landry et Denis Saint-Jacques, dir., François-Xavier Garneau…, 333-346.
93. Discours, loc. cit., 2.
94. Ibid., 6. À l’époque, Breton signifiait Britannique. L’escarmouche d’Odelltown, sur la rivière
Lacolle, a été un autre fait d’armes de la milice canadienne, mais surtout des Amérindiens,
dans la guerre de 1812. Voir Jacques Lacoursière, op. cit., 2 : 151-153. Le « dernier mot de notre
race » rappelle le « dernier coup de canon » de Taché.
95. « Bazar patriotique et national », LC, 21 mars 1860, 5 ; « Grande soirée dramatique » [annonce],
ibid., 13 avril 1860, 8 ; [Ev. LeB.], « Correspondance », ibid., 16 avril 1860, 1. En avril 1861,
le docteur Martial Bardy, président de la Société, se plaignit à son tour, dans une circulaire qu’il
fit imprimer, de la pingrerie du Parlement à l’égard du monument des Braves, tandis que celui du
général Brock, élevé dans la région du Niagara (Ontario) à la même époque, recevait des fonds
substantiels. « Si donc, écrivit-il, le Ministère d’alors, qui est le Ministère d’aujourd’hui, conjointement
avec toute la législature, a eu la libéralité d’accorder la somme de $21340 pour le
Monument du général Brock, pourquoi n’entretiendrai-je pas l’espoir qu’on usera de la même
mesure équitable en m’accordant $4 000 pour consacrer la générosité et la justice du Parlement
Canadien en faveur d’une oeuvre vraiment patriotique et nationale. » (ANQQ, Fonds Société
Saint-Jean-Baptiste de Québec, P412/2)
96. Olivier Robitaille, loc. cit., 90-91. Dès 1855, Chauveau avait énoncé l’idée de demander une
telle statue à la France, loc. cit., 7. Certains assurèrent qu’elle était coulée dans le bronze des canons
pris aux Russes au cours de la guerre de Crimée, légende reproduite par exemple dans un
article de René Vincent, « L’éloquence d’un monument ! », Concorde [revue municipale de
Québec], 3-4 (mars-avril 1960) : 5, note. Il y avait effectivement des précédents. À l’époque de la
création du monument des Braves, le projet de statue de Notre-Dame-de-France au Puy-en-
Velay (France) « fut rendu possible par le don que fit l’État du bronze des canons pris à
Sébastopol », Maurice Agulhon, op. cit., 170 ; cette statue fut inaugurée le 12 septembre 1860. En
réalité, la Bellone est en fonte (communication personnelle de Denis Samson, historien à la
Commission de la capitale nationale du Québec). Par ailleurs, le monument a été conçu par l’architecte
Charles Baillairgé ; il comprend un cénotaphe en pierre et une colonne en fonte cannelée
sur laquelle est posée la statue ; l’ensemble mesure 22 mètres ; voir Christina Cameron,
Charles Baillairgé, Architect & Engineer (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1989), 64-66.
97. « Fête militaire à Québec », LM, 22 octobre 1863, 2. S’agit-il d’une pieuse exagération ? En
tout cas, le Journal de Québec se montra encore plus enthousiaste : « les trois quarts de la population
de Québec étaient réunis sur le théâtre de la solennité », 20 octobre 1863, 2.
98. [Sans titre], 20 octobre 1863, 2. Il y eut tout de même un « outraged British subject » pour
déplorer que le colonel De Salaberry ose glorifier une victoire française en sol britannique,
« Correspondence », Quebec Gazette, 23 octobre 1863, 2.
99. [Sans titre], LC, 19 octobre 1863, 2.
100. P.-B. Casgrain, « Le moulin de Dumont », Bulletin des recherches historiques, XI,3 (mars
1905) : 73. La SSJBQ pensait ainsi se débarrasser d’un fardeau financier, mais le parlement inséra
dans la loi « une clause perfide laissant l’entretien du monument à [sa] charge »…, ANQQ, Fonds
Société Saint-Jean-Baptiste de Québec, P412/2.
101. « Démonstration nationale 1904. Fête de la Saint-Jean-Baptiste », Le Soleil (ci-après LS,
25 juin 1904, 1 et 5 ; « Notre Fête Nationale » [éditorial], ibid., 4 ; « Au monument des Braves.
Enthousiasme délirant. Éloquents discours. », ibid., 28 juin 1904, 1 ; « Nous nous souvenons » [éditorial],
ibid., 29 juin 1904, 4.
102. [Comité du Monument Laval], Le vénérable François de Montmorency-Laval (Québec,
Imprimerie de l’Événement, 1908), iii-v de l’appendice.
103. H.-J.-J.-B. Chouinard, Troisième Centenaire de la Fondation de Québec (Québec, Laflamme et
Proulx, 1908), 7. Sur la genèse de ces commémorations à la fois complémentaires et concurrentes,
voir Ronald Rudin, loc. cit., 194-197 ; et Henry V. Nelles, op. cit., 48-53.
104. « Discours prononcé par M. Arthur Lachance », LS, 29 juin 1904, 1. Ce quotidien était à
l’époque l’organe du Parti libéral et la place qu’il accorda en première page à Lachance n’était pas
sans arrière-pensée. L’année suivante, Lachance fut élu député fédéral de Québec-Centre sous la
bannière libérale. La commémoration des Braves servit une ambition politique de plus.
105. Cité dans Henry V. Nelles, op. cit., 74.
106. Ibid., 89.
107. Voir Daniel Francis, National Dreams: Myth, Memory, and Canadian History (Vancouver,
Arsenal Pulp Press, 1997), 93-96. Pour les conquérants, l’idée de collaboration était sans aucun
doute suscitée par le réalisme économique, militaire et politique, et elle s’exprima dès la Cession.
Dans le prospectus diffusé à la fin de 1763 ou au début de 1764 et qui annonçait la fondation de
la Gazette de Québec, les futurs éditeurs considéraient celle-ci « comme le Moyen le plus efficace à
faire reüssir une entiere Connoissance de la Langue Angloise et Françoise parmi ces deux nations,
qui à présent se sont jointe heureusement dans cette partie du Monde, ils seront rendus capables
de converser ensemble, de se communiquer leurs Sentiments comme des Freres, et de conduit
leurs differents Negoces avec Aise et Satisfaction », E. Gérin, La Gazette de Québec (Québec, J.-N.
Duquet et Cie, 1864), 6-7 ; les fautes et les italiques sont dans l’original.
108. George William Ross, The Historical Significance of the Plains of Abraham (S.l., s.é., 1908),
discours prononcé le 27 avril 1980 devant le Canadian Club de Hamilton. Ross était un ancien
ministre de l’Éducation et un ancien premier ministre de l’Ontario.
109. H. V. Nelles consacre un chapitre de son ouvrage sur le troisième centenaire de Québec,
« Papineau Trouble » aux critiques de la récupération impérialiste de la fête, 122-140.
110. « M. Bourassa en France », Le Nationaliste, 16 août 1908, 2.
111. Le 2 juillet 1908, le Conseil exécutif du gouvernement québécois autorisa la cession du
monument, Archives de la CCNB, Dossier no 60, « Emplacement du monument des Braves ». À
sa réunion des 12 et 13 novembre 1908, la CCNB « considers the question of purchasing, or expropriating,
the properties on the field occupied by the Monument des Braves, on St. Foye
Road», Archives de la CCNB, Minutes, 1 : 231, no 650 ; sur la cession, ibid., 25-26 novembre 1910,
2 : 99, no 206.
112. « Cadeau historique », La Vérité, 18 juillet 1908, 12. Les italiques sont de La Vérité. Au sujet
du « champ de pacage », l’hebdomadaire s’appuyait sur les travaux d’Arthur Doughty, qui montraient
que la bataille s’était déroulée plus à l’ouest.
113. Monique Duval, « Découvertes archéologiques près du monument des Braves », LS,
30 octobre 1970, 15 ; « Les ossements des soldats trouvés au monument des Braves vont être enterrés
à nouveau à cet endroit », ibid., 4 novembre 1970, 61 ; « Remise en terre des ossements des
Braves », ibid., 12 novembre 1970, 20.
114. François Miville-Deschênes, [sans titre], Mémoire [Société d’histoire de Sainte-Foy], 2-3
(été-automne 1985) : 2.
115. Léo Gagné, « Cérémonie commémorative au parc des Braves », Le Bardy [bulletin de la
SSJBQ], 30,2 (avril-juin 1995) : n.p.
116. « Il y a 240 ans : la victoire française de Sainte-Foy », L’Appel [hebdomadaire commercial
diffusé à Sainte-Foy], 28 mai 2000, 13.
117. Gilles Moffet, « Il y a 240 ans : la bataille de Sainte-Foy », JQ, 1er mai 2000, 8. D’après
Maurès de Malartic, les Amérindiens alliés des Français ne participèrent pas au combat, op. cit.,
319. Par contre, nous savons que l’un d’eux mourut anonymement le 20 mai à l’Hôpital général,
Pierre-Georges Roy, Les cimetières de Québec (Lévis, s.é., 1941), 164. Nous ignorons d’où vient la
légende des ossements amérindiens du monument, mais il s’agit probablement d’un embellissement
récent ; elle se trouve dans un article de Jean Provencher, loc. cit., 265.
118. Sur la professionnalisation, voir Carl Berger, The Writing of Canadian History. Aspects of
English-Canadian Historical Writing: 1900-1970 (Toronto, Oxford University Press, 1976), 1-29.
Voir aussi Ægidius Fauteux, « Cinquante ans d’histoire au Canada français », Rétrospective de cinquante
ans/Fifty Years Retrospect ([Ottawa], Société royale du Canada, 1932), 37-45 ; et Chester
Martin, « Fifty Years of Canadian History », ibid., 62-69.
119. Henry V. Nelles, op. cit., 194.
120. Guy Frégault, op. cit., 374-376 ; Martel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France, X : 24-25.
121. Voir Jean Blain, « Économie et société en Nouvelle-France. L’historiographie au tournant
des années 1960 », RHAF, 30,3 (décembre 1976) : 323-362.
122. Ce recul a été mesuré. Deux études ont montré que la proportion des articles portant sur
cette période dans la RHAF est passée de 42,2 % en 1947-1955 à 25,1 % en 1963-1972, puis à 21,9%
de 1972 à 1981, Fernand Harvey et Paul-André Linteau, « L’évolution de l’historiographie dans la
Revue d’histoire de l’Amérique française, RHAF, 26,2 (septembre 1972) : 165 ; Jean-Paul Coupal, « Les
dix dernières années de la Revue d’histoire de l’Amérique française, 1972-1981 », RHAF, 36,4 (mars
1983) : 555. Le phénomène s’est confirmé à l’échelle du Canada si on prend en compte deux
autres publications, la Canadian Historical Review et les Mémoires de la Société royale du Canada,
Fernand Ouellet, « La modernisation de l’historiographie et l’émergence de l’histoire sociale »,
Recherches sociographiques, 26,1-2 (1985) : 11-83 ; voir notamment le tableau 5, 77. Un relevé sommaire
de la banque de données historiographiques HISCABEC illustre aussi cette désaffection :
alors que pour les années 1946-1959, 16,1 % des publications (articles, thèses, monographies) touchaient
à la Nouvelle-France (en excluant les études sur la préhistoire, l’ethnohistoire des Autochtones et les explorations), cette proportion est tombée à 7,3% pour les années 1980-1990,
Paul Aubin et Louis-Marie Côté, dir., HISCABEC : bibliographie de l’histoire du Québec et du Canada,
1946-1990 (Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, [1990]). Cette base de données
compte 118 000 références. Par contre, si la diminution a été relative, elle n’a pas été absolue : il
s’écrit davantage sur la Nouvelle-France aujourd’hui qu’hier et, comme l’ont signalé John Dickinson
et Jacques Mathieu, son historiographie « s’est considérablement enrichie et approfondie en renouvelant
ses problématiques et ses représentations », « Renseignements généraux », dans Jacques
Rouillard, dir., Guide d’histoire du Québec du régime français à nos jours (Montréal, Méridien, 1993), 21.
123. Par exemple, John A. Dickinson et Brian Young suggèrent de considérer la période antérieure
à 1650 comme celle où dominent les Autochtones dans les circuits économiques et politiques,
et la période 1650-1815 comme une ère « préindustrielle », « Periodization in Quebec
History : A Reevaluation », Québec Studies, 12 (1991) : 1-10. Dale Miquelon préfère appeler toute
la période antérieure à la Loi constitutionnelle de 1791 un First Canada, où la société est dominée
par des structures et des mentalités d’Ancien Régime qui survivent à la Conquête, New France
1701-1744 (Toronto, McClelland and Stewart, 1987), xv-345 p. Gilles Paquet et Jean-Pierre Wallot
parlent pour leur part d’une « socio-économie-comptoir » correspondant au XVIIe siècle et d’une
« socio-économie duale » correspondant au XVIIIe, la Conquête ne marquant qu’une substitution
de métropoles et de personnels, « Sur quelques discontinuités dans l’expérience socio-économique
du Québec : une hypothèse », RHAF, 35,4 (mars 1982) : 483-521. Le recours à un découpage
séculaire n’est pas problématique en soi. Jacques Mathieu l’adopte tout en conservant l’intelligibilité
du propos dans La Nouvelle-France. Les Français en Amérique du Nord, xvie-xviiie siècle
(Paris/Sainte-Foy, Belin/Les Presses de l’Université Laval, 1991), 254 p. Voir aussi Jocelyn
Létourneau, « Le temps du lieu raconté. Essai sur quelques chronologies récentes relatives à l’histoire
du Québec », International Journal of Canadian Studies/Revue internationale d’études canadiennes,
15 (printemps 1997) : 159.
124. C’est notamment ce qu’Allan Greer cherche à démontrer dans sa Brève histoire des peuples
de la Nouvelle-France (Montréal, Boréal, 1998), 135-148. Mais sa Nouvelle-France s’arrête quand
même sur la date fétiche de 1763 : il s’est donc bien passé quelque chose de conséquent cette
année-là.
125. Voir Jean Lamarre, Le devenir de la nation québécoise selon Maurice Séguin, Guy Frégault et
Michel Brunet : 1944-1969 (Sillery, Septentrion, 1993), 463-474. Voir aussi les textes réunis par Dale
Miquelon, dir., Society and Conquest. The Debate on the Bourgeoisie and Social Change in French
Canada, 1700-1850 (Toronto, Copp Clark Publishing, 1977), 219 p.
126. Voir Jean-Claude Parent, « Le cimetière des Héros, Québec », Commission des lieux et monuments
historiques du Canada. Rapports au feuilleton ([Ottawa], [Commission des lieux et monuments
historiques du Canada], automne 1998), II : 345-360 ; Alain Roy, « Commémoration et
mise en valeur : le “Cimetière des Héros” de l’Hôpital Général de Québec. Rapport de recherche
et d’évaluation » ([Commission de la capitale nationale du Québec], 1999), 31 p. ; et Jean-Yves
Bronze, Les morts de la Guerre de Sept Ans au cimetière de l’Hôpital général de Québec ([Québec], Les
Presses de l’Université Laval, 2001), 190 p. La commémoration de ce lieu a fait l’objet d’un avis
du Comité consultatif de la commémoration de la Commission de la capitale nationale du
Québec, « La commémoration au cimetière de l’Hôpital Général », 8 avril 1999.
127. Ibid., 262. La mesure exacte de cette influence est depuis longtemps l’objet d’un questionnement,
mais peu d’auteurs s’y sont directement intéressés. Voir notamment Jacques
Mathieu, « Entre la sauvegarde et la diffusion, la place de la recherche dans les grandes entreprises
du savoir relatives au passé », dans Jacques Mathieu, dir., Étude de la construction de la mémoire
collective des Québécois au xxe siècle (Québec, CÉLAT, 1986), 43-52.
128. Jacques Mathieu, « Le langage de la commémoration », loc. cit., 49.
129. Philippe Joutard, « La tyrannie de la mémoire », L’Histoire, 221 (mai 1998) : 98. John Saul
fournit un savoureux exemple de cette dictature des bons sentiments. Pour combattre la «mythologie
de la victime » élaborée par les « nationalistes négatifs » du Québec, il s’interroge : « Mais
y a-t-il eu conquête ? Des batailles ont été gagnées et perdues des deux côtés, c’est évident.
C’étaient essentiellement des escarmouches. Il n’y a eu que très peu de véritables batailles. Qui
ont fait quelques victimes. Et, dans les retombées au cours des années qui ont suivi, quelques
morts encore. », Réflexions d’un frère siamois. Le Canada à l’aube du xxie siècle (Montréal, Boréal,
1998), 33. Mais John Saul ne prétend heureusement pas être un historien. Sur cette lecture de
l’histoire, voir Gérard Bouchard, « La vision “siamoise” de John Saul », Le Devoir, 15 et 17 janvier
2000, A11 et A7 ; la réplique de John Saul, « Il n’y a pas de peuple conquis », ibid., 22 et 24 janvier
2000, A13 et A7 ; les commentaires de Jean Larose, « Pas d’histoire », ibid., 5 février 2000, A13, et
de Jocelyn Létourneau, « Des histoires du passé », ibid., 12 février 2000, A11.
***
Patrice Groulx
Institut interuniversitaire de recherche
sur les populations (IREP)
Revue d'histoire de l'Amérique française, vol. 55, n° 1, 2001, p. 45-83.


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