Le rejet de la réforme proposée par référendum, le 4 décembre dernier, a sanctionné par-dessus tout la politique d’ajustement économique et social de Matteo Renzi commandée par l’appartenance à l’euro. Au fond, le bon peuple italien partage intuitivement notre analyse : le pays ne peut rétablir sa situation économique par les réformes dites de structure. Le pari stupide et suicidaire de maintien dans la monnaie unique est d’ores et déjà perdu.
L’échec dans les urnes est intervenu au pire moment. Le gouvernement de transition installé après la démission de Matteo Renzi doit affronter la faillite non déclarée du système bancaire. C’est un gouvernement sans légitimité qui doit traiter cette faillite sous le regard sourcilleux de la chancellerie de Berlin qui a pris le pouvoir en Europe à la faveur de la crise de l’euro. Sa responsabilité excède les frontières de l’Italie : un sauvetage réussi écarterait la menace d’une nouvelle crise de la zone euro, sous-jacente à la crise bancaire. Un échec remettrait en cause l’expérience de l’euro. Il pourrait aussi, compte tenu de l’importance économique de l’Italie, troisième économie de la zone euro, déclencher un séisme comparable à celui issu de la faillite de Lehman Brothers et de maintes autres banques des deux côtés de l’Atlantique. D’aucuns pensent que la banque de Sienne, Monte dei Paschi, qui est dans l’œil du cyclone, pourrait entrer dans l’Histoire, au même titre que Lehman Brothers.
Peut-on sauver les banques italiennes ?
Rappelons les données de la faillite bancaire : 360 milliards de prêts non performants, dont 200 jugés très fragiles, consistant principalement en prêts aux petites et moyennes entreprises. Les prêts non performants sont évalués à 16% du total : l’Italie vient après la Grèce (47%) qui survit grâce à une perfusion constante de l’Europe, mais avant l’Espagne (6%) dont les banques ont été cependant sauvées au prix de 60 milliards d’injections de fonds publics espagnols et européens. Huit banques sont concernées, dont la célèbre Monte dei Paschi déjà citée1, placée au troisième rang des banques italiennes par l’importance de son activité. Au lendemain du référendum du 4 décembre, sa nationalisation était à l’ordre du jour.
Mais pourquoi ne pourrait-on faire avec l’Italie ce qu’on a fait avec l’Espagne ? Il suffirait, selon les comptables spécialisés, de 70 ou 80 milliards d’euros de fonds publics. Deux obstacles s’y opposent formellement.
Un obstacle financier d’abord : l’Italie affiche aussi la deuxième dette publique européenne, soit 133% du PIB, après la Grèce proche de 200% ! Un sauvetage conséquent entraînerait une nouvelle dérive d’une dette publique que d’énormes efforts d’austérité n’ont pas permis de réduire, faute de croissance économique.
Mais il existe aussi un obstacle politique : la zone euro est soumise depuis le 1er janvier 2016 aux nouvelles règles de l’union bancaire. Règles qui comportent une innovation ravageuse : les fonds publics ne pourront être injectés que si, auparavant, des pertes sont imputées sur les créanciers des banques qu’on veut secourir, conformément à une règle imposée par Berlin. Or, qu’appelle-t-on créanciers ? Les autres banques qui leur ont prêté, mais aussi et surtout leurs clients qui ont souscrit des emprunts en leur faveur ! Ils sont des millions d’Italiens à avoir accordé leur confiance à leurs banquiers dans le cadre d’une politique d’épargne qui est une spécificité de la péninsule en Europe. En Italie, pays à faible fécondité, les revenus de l’épargne apparaissent comme un complément nécessaire de la future pension de retraite. Dès lors, quel gouvernement osera imposer des pertes substantielles à la masse de la clientèle bancaire ?
Le Fonds européen de Stabilité qui a permis le maintien dans l’euro de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal, de l’Espagne et de Chypre, pourrait constituer un ultime recours. Il faudrait cependant le consentement des autorités européennes placées sous l’étroite surveillance de Berlin. Or, l’opinion publique allemande ne veut plus que leur économie sauve les voisins en faillite. Dès lors, le sauvetage des banques apparaît problématique du double point de vue financier et politique.
Le chemin de croix de l’Italie
Les élites économiques, politiques et médiatiques italiennes ressemblent aux nôtres. Elles ont joué les Matamore de la mondialisation heureuse, jusqu’au moment de la montée en puissance de la Chine à partir de son entrée dans l’OMC en 2001. Mais l’économie italienne, encore plus centrée que la nôtre sur des fabrications à forte intensité de main-d’œuvre, n’a pas résisté aux assauts de concurrents moins chers en Asie, voire dans certains pays méditerranéens.
L’euro a joué un double rôle aggravant : en empêchant à la fois la dévaluation vis-à-vis des concurrents du grand large et vis-à-vis de l’Allemagne. Il est la croix que l’Italie a portée sur ses épaules tout au long du calvaire qui a commencé en 1999. La production par tête italienne est retombée à son niveau de 1997. Pendant ce temps, l’Italie a accumulé, comme les Etats du sud de l’Europe et la France, des déficits vis—à-vis de l’Allemagne qui atteignent un total de 359 milliards d’euros tandis que l’Allemagne est à la tête de 754 milliards d’euros de créances sur l’ensemble de ses partenaires de la zone ! Tout un chacun le comprendra spontanément, notre voisine n’a qu’une alternative : ou bien porter la croix jusqu’à la crucifixion finale, sous le regard des légionnaires merkéliens, ou la rejeter.
Un réveillon sans champagne
A la veille de basculer vers 2017, c’est le sort instantané de la banque Monte dei Paschi qui importe le plus. La BCE vient de tirer le signal d’alerte sur « la brutale détérioration de la position de liquidité » de la banque de Sienne. Le « trou » dans les comptes excède largement celui qui était annoncé par les dirigeants, les retraits des déposants totalisent 20 milliards d’euros depuis le 1er janvier, dont 2 milliards depuis le 1er décembre. Des décisions urgentes s’imposent.
Une chose est sûre : les dirigeants italiens ne sableront pas le champagne le soir de la Saint Sylvestre.
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