L'interprétation du flou

Qui a dit qu’avec la Révolution tranquille le Québec a perdu tous ses repères?!

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

Un discours flou et malhabile est une discours qui laisse place à de
multiples interprétations qui trahiront davantage les attentes et les
intérêts de celui qui interprète le message que la pensée de celui qui
tente de s’exprimer. Cela fonctionne exactement comme ces taches informes
que les psychologues montrent à leurs patients pour stimuler l’expression
de l’inconscient.
Les forums de citoyens auxquels nous assistons dans le cadre de la
Commission sur les accommodements raisonnables produisent cet effet
paradoxal.
Si quelqu’un, devant l’audience et intimidé par les médias, intervient
énergiquement tout en cherchant ses mots en disant: «ici on veut la
langue française, l’égalité entre les hommes et les femmes et la laïcité
des institutions», on aura le choix d’y lire l’intransigeance d’un
assimilationniste en mal d’affirmation identitaire ou l’intervention d’un
citoyen fier et responsable.
Ainsi certains analystes ou experts, devant autant d’interventions faites
à l’avenant, s’imaginent que les Québécois ne savent pas ce qu’ils
veulent, sont inquiets pour leur identité ou ont tout simplement peur de
l’étranger, de la diversité et du changement. Ces penseurs sont convaincus
d’avance que les Québécois ne s’assument pas ou vivent une crise
identitaire.
D’autres experts pourraient tout aussi bien affirmer que ces mêmes
interventions, quoique souvent exprimées maladroitement, démontrent plutôt
que les Québécois savent exactement ce qu’ils veulent et qu’ils sont très
vigilants et conscients des enjeux de société illustrés par les cas, certes
rares, mais exemplaires d’accommodements mal gérés et abusifs.
Personnellement, c’est ce que j’ai envie de percevoir dans les
interventions de mes concitoyens. Les intervenants à la commission l’ont
assez dit et répété: ils veulent en grande majorité préserver l’égalité, la
laïcité et l’intégration de tous dans la vie civile. Ceci témoigne à mon
avis de la maturité d’un peuple qui a vécu des étapes assez marquantes et
signifiantes dans son histoire pour en tirer de bonnes leçons et pour
vouloir les partager avec les nouveaux venus. Nouveaux venus qui nous
comprennent mieux et nous ressemblent beaucoup plus que ne peuvent même
l’imaginer les apôtres de la diversité culturelle.
Les ancêtres des Québécois étaient des êtres particulièrement audacieux.
Ils ont décidé de tout quitter pour venir s’établir sur une terre nouvelle;
c’est exactement ce que revivent aujourd’hui quantité d’immigrants et
d’immigrantes tout aussi audacieux. Les Québécois ont connu l’occupation
étrangère, la résistance puis la spoliation au point de devoir quitter les
campagnes pour aller gagner leur vie à l’étranger (dans l’ouest canadien
ou aux Etats-Unis); ce que revivent aujourd’hui quantité de réfugiés
politiques et économiques.
Le Québec a vécu le siècle des révolutions
républicaines en tentant d’imiter les expériences de la France et des
État-Unis. Cet héritage républicain est partagé avec nos compatriotes
d’origine haïtienne.
Le Québec a aussi connu un intégrisme religieux sans
merci pour les gais, les femmes divorcées, les « filles mères », les
orphelins de la providence et les « petits sauvages » qu’on a arrachés à
leurs familles pour leur donner une « vraie éducation civilisée » (c’est-à-dire chrétienne).
Si le retour du religieux dans la vie
institutionnelle soulève l’indignation, c’est parce que les Québécois (et
bien des immigrants) connaissent le prix à payer en sacrifices humains
lorsque l’irrationnel surpasse le rationnel.
Puis enfin la Révolution
tranquille nous a permis de nous donner quantité de nouveaux repères
économiques, sociaux et moraux. Pensons à Hydro-Québec, les fonds de
solidarité, le réseau des Caisses Desjardins, Bombardier, les Cégeps, les
Universités du Québec, les hôpitaux publics, l’assurance maladie, les CLSC,
la DPJ (j’en passe…) et la Charte québécoise des droits et libertés. Et
tout cela en moins de deux décennies après ladite révolution! Saluons en
passant nos compatriotes exilés, (chiliens, congolais, marocains,
salvadoriens…) qui ont connu à la même époque, dans leurs pays d’origine,
les mêmes enthousiasmes que nous mais dont les projets politiques et
sociaux ont été sabotés par les hommes de main de la CIA et de la haute
finance internationale.
Qui a dit qu’avec la Révolution tranquille le Québec a perdu tous ses repères?!
Les deux commissaires sont d’avance séduits par l’interprétation
pessimiste et accablante. Ils se sont déjà prononcés en ce sens dès les
débuts de la commission dans les documents de travail de la commission et
aussi dans leurs œuvres personnelles. Si le rapport final de la commission,
après toutes les représentations qui auront été faites, ne retient que la
peur, l’anxiété et la crise identitaire des Québécois de souche, nous serons
devant un beau gâchis. Cette interprétation ne reflète aucunement le Québec
tel qu’il se définit aujourd’hui. La plupart des personnes qui se seront
donné la peine d’intervenir lors des forums citoyens se sentiront
trahies.
Marie-Michelle Poisson
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    8 novembre 2007

    Vous avez tout à fait raison. La commission Bouchard-Taylor ne doit pas retenir dans son rapport final que la peur, l'anxiété et la crise identitaire des Québecois de souche.
    L'interprétation pessimiste et accablante ne reflète pas la fièrté et la détermination des Québecois de souche. Au contraire ces Québecois savent très bien ce qu'ils veulent et ils le méritent bien.
    Nous, les francophones hors Québec, vous trouvons très courageux de tenir de telles audiences et aimerions que notre gouvernement provincial en fasse autant.