L'imputabilité limitée des municipalités québécoises

Montréal, l'ingouvernable


Laurence Bherer et Sandra Breux - Il y a deux manières de réagir aux allégations de corruption et de malversation touchant certains de nos élus municipaux. On peut choisir la voie du défaitisme et de l'incrédulité: «La politique corrompt, on le sait bien!» On peut aussi dire que c'est la faute des électeurs qui ne s'intéressent pas assez aux affaires municipales. Scrutin après scrutin, le taux de participation électorale est là pour nous le rappeler: en 2009, c'est 41,5 % des électeurs qui se sont rendus aux urnes dans les neuf villes de plus de 100 000 habitants.
La première réaction mène à la désaffection politique et risque de vider encore plus les scènes politiques municipales de toute vigilance citoyenne. La deuxième met trop de responsabilités sur les épaules des électeurs alors qu'il existe des facteurs contextuels forts qui expliquent pourquoi certains élus municipaux agissent en toute impunité. Ce n'est donc pas une question d'individus, mais bien de contexte structurel qui ne favorise pas l'exercice de l'imputabilité de la part de nos maires et conseillers municipaux.
Désorganisation des partis
Premièrement, la faible organisation des partis politiques municipaux (lorsqu'il y en a) exerce une influence sur le degré de structuration de la scène politique locale. Les partis politiques municipaux n'ont en effet pas les moyens de mobiliser les citoyens en donnant des informations sur les politiques publiques locales. De plus, l'incertitude sur l'étiquette idéologique des partis politiques locaux rend également moins lisible la scène politique locale.
Les partis politiques ne peuvent ainsi jouer leur rôle de médiatisation de l'espace politique en lui donnant une couleur et un contenu visibles, comme c'est le cas aux autres échelons politiques. Dans plusieurs municipalités, cette situation est aggravée par l'absence de partis politiques ou par la faible pérennité des organisations partisanes. Ce rôle d'intermédiaire des partis politiques revient aussi aux organisations citoyennes et communautaires qui, à travers leurs activités et leurs demandes, agissent comme vigiles de la démocratie locale. Là encore, la mobilisation des groupes de citoyens est très inégale dans les municipalités.
Médias
Deuxièmement, la couverture médiatique des municipalités québécoises est faible en raison de la très modeste place qu'occupent les nouvelles locales par rapport aux informations nationales et internationales. Cela provient tout d'abord d'un problème logistique: non seulement le nombre de journalistes affectés à ces questions dans les rédactions québécoises est restreint, mais il y a également un problème lié à la multitude des municipalités. Quelles municipalités couvrir?
Les journalistes se rabattent bien souvent sur les plus grandes villes, mais même là, il leur faut également faire preuve de discernement, car dans une grande ville comme Montréal, plusieurs conseils d'arrondissement peuvent se tenir le même soir. Les journalistes affectés aux questions locales doivent donc souvent s'appuyer sur un réseau local important pour savoir où l'actualité municipale sera la plus riche... mais si ce réseau n'existe pas, les journalistes se retrouvent dépourvus.
Il faut également souligner que, sans le vouloir, ils représentent à eux seuls l'opposition dans une municipalité. Un rapport de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) paru la semaine dernière détaille de nombreux cas où les journalistes assignés aux nouvelles locales sont victimes d'intimidation et de toutes sortes de manoeuvres de la part des élus locaux, qui évitent ainsi de transmettre l'information et de répondre aux questions des journalistes. Cette incompréhension sur le rôle des journalistes contribue à l'isolement de ces derniers, qui ne bénéficient pas des avantages liés à la tribune de la presse comme à l'Assemblée nationale.
Responsabilités méconnues
Troisièmement, les citoyens ont généralement une faible connaissance de la répartition des responsabilités politiques entre les ordres gouvernementaux. C'est encore plus vrai pour l'échelon municipal, qui demeure mal connu. Cela tient au fait que les enjeux municipaux comme l'aménagement, l'assainissement et la distribution de l'eau, ou bien encore la cueillette des matières résiduelles, sont présentés comme triviaux ou essentiellement techniques, c'est-à-dire sans valeur politique.
L'absence de partis politiques contribue beaucoup à dépolitiser les enjeux municipaux, c'est-à-dire à véhiculer l'idée selon laquelle les valeurs n'interviennent pas dans l'arbitrage des décisions municipales. Selon une telle perspective, le principal défi des leaders municipaux consisterait simplement à faire preuve de bonne gestion dans la prestation de services des municipalités.
Transparence inégale
Quatrièmement, les mécanismes de transparence comme les processus de consultation publique ou les postes d'ombudsman et de vérificateur général, sont très inégaux dans les municipalités. La Loi d'accès à l'information y est également appliquée de façon incertaine (voir le rapport de la FPJQ). Ces outils donnent pourtant une information qui permet aux journalistes de poser les bonnes questions et aux électeurs d'évaluer la gouvernance locale. Les rapports du vérificateur général de Montréal ont été très utiles pour comprendre les raisons qui ont mené au scandale des compteurs d'eau.
Au cours des trente dernières années, quelques efforts ont été faits par le gouvernement pour démocratiser la gestion publique municipale. Par exemple, en 1978, l'adoption de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme a rendu obligatoire la tenue de consultations publiques dans le cas de certaines décisions en matière d'aménagement. Depuis 1980, les séances publiques des conseils municipaux doivent comprendre une période de questions. Le poste de vérificateur général est obligatoire depuis 2001 dans les municipalités de plus de 100 000 habitants. Toutefois, plusieurs critiques soulignent que ces outils manquent souvent de dents et demandent à être révisés après trois décennies de pratique.
Performance à évaluer
Dans un tel contexte de déficit informationnel, il est difficile pour l'électeur d'évaluer la performance des candidats municipaux sortants. Comment juger si un maire sortant mérite que son mandat soit prolongé si les informations au sujet de ses politiques sont éparses et incertaines? On peut penser que plus le niveau d'information est élevé et plus un système démocratique favorise l'imputabilité des élus, moins les candidats sortants sont assurés de leur réélection. Les électeurs disposent en effet de renseignements qui les amènent à pouvoir mieux juger de la performance des candidats sortants.
Ainsi, on ne peut que saluer le travail des journalistes qui enquêtent plus systématiquement sur les municipalités depuis un an. On peut penser que le fait que des dossiers de corruption et de malversations font la une est le signe que le contexte d'imputabilité des élus locaux s'améliore. Il faut donc encourager les actions de la sorte et favoriser le développement d'un environnement informationnel de qualité, notamment en renforçant les outils de transparence, en donnant un coup de pouce supplémentaire à l'organisation d'une opposition municipale et en faisant mieux connaître le rôle des municipalités. Ce n'est pas l'adoption d'un code d'éthique qui permettra de s'attaquer à ces causes structurelles du contexte déficient d'imputabilité des scènes politiques locales.
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Laurence Bherer - Professeure de science politique à l'Université de Montréal
Sandra Breux - Professeure à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal


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