Les mots cognent. "Pourquoi l'identité socialiste est-elle au mieux une résignation, au pire une souffrance ou même une honte, tant le spectacle du parti est devenu affligeant ?", interroge Vincent Duclert, professeur agrégé à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, au terme d'un essai brillant et sévère. "Parce qu'ils ont perdu jusqu'au sens même de leur histoire et du rapport avec elle", répond-il. La cause est entendue : le "recul tragique" du PS découle d'un "refus de l'histoire". Cette "idée neuve" qui est aussi "un regard sur le présent".
Pour Vincent Duclert, c'est dans l'histoire en train de se faire que la gauche puisa sa force. Il livre donc son histoire de la gauche, ou plutôt ses morceaux choisis. Car il raconte d'abord la gauche qu'il aime, celle des "dissidences" qui rendirent possible "un socialisme imaginaire qui donnait au socialisme une conscience démocratique". L'auteur présente une revue des grandes consciences de la gauche : Jean Jaurès, Léon Blum et, comme un lien entre eux, Lucien Herr, le bibliothécaire de l'Ecole normale supérieure. Herr qui convertit Jaurès au socialisme. Herr qui, comme l'écrivit Blum, "a opéré le revirement de mon esprit individualiste et anarchiste vers le socialisme". Les pages sur l'affaire Dreyfus montrent, plus encore que celles sur la SFIO de 1905, comment la gauche se construisit dans le mouvement de l'histoire. "Il n'est plus que l'humanité elle-même", avait dit Jaurès de Dreyfus. Il prouvait ainsi, pour Duclert, que "le socialisme ne s'arrêtait pas aux frontières de la lutte des classes et qu'il pouvait prendre en charge l'humanité entière et sa recherche de justice".
Vincent Duclert s'appesantit à juste titre sur Pierre Mendès France, qui, avec un parcours politique "exceptionnel", a incarné un espoir pour la gauche aujourd'hui totalement gommé de sa mémoire. Mais il nourrit une vraie aversion pour François Mitterrand, "héritier" de Guy Mollet, et pour le PS né à Epinay en 1971, caractérisé par "une hostilité à la démocratie interne et un mépris pour la réflexion intellectuelle". Dommage qu'il n'appuie pas ce réquisitoire expéditif sur une histoire du PS. Or il y consacre moins de lignes qu'au PSU et à son "étouffement" par le parti d'Epinay. Son livre est un vibrant requiem pour la deuxième gauche. Quant au socialisme, sa seule "chance d'avenir", pour être "une alternative au conservatisme laïque et religieux", est de retrouver son histoire, donc sa conscience. Pas sûr que l'auteur y croie lui-même.
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LA GAUCHE DEVANT L'HISTOIRE. A LA RECONQUÊTE D'UNE CONSCIENCE POLITIQUE de Vincent Duclert. Seuil, 162 p., 15 €.
Michel Noblecourt
"La Gauche devant l'histoire. A la reconquête d'une conscience politique", de Vincent Duclert :
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