L'éternelle question

La langue - un état des lieux


Certains ont peut-être été surpris d'apprendre que les immigrants, dont tout le monde prétend souhaiter l'intégration à la majorité francophone, transigent en anglais avec les différents organismes qui relèvent du gouvernement du Québec, comme la Régie de l'assurance maladie ou la Société de l'assurance automobile.
Mon collègue Robert Dutrisac révélait mardi dans Le Devoir que les trois quarts des nouveaux arrivants à Montréal, dont la majorité est présumée connaître le français, utilisent plutôt l'anglais et que les fonctionnaires sont tenus de leur répondre dans la même langue, sous peine de réprimande, même si le français est la seule langue officielle au Québec depuis 1974.
Cette attitude clientéliste désolante résulte d'une ambiguïté qui remonte à plus de 30 ans, quand les concepteurs de la Charte de la langue française ont jugé trop périlleux de définir ce qu'est un anglophone. Un Anglo-Québécois de souche? Un Canadien anglais? Toute personne dont l'anglais est la langue maternelle? Toute personne sachant parler l'anglais? La question est toujours demeurée sans réponse.
L'article 15 de la Charte, qui prévoit que «l'administration rédige et publie dans la langue officielle ses textes et documents», ne s'applique pas aux personnes physiques qui s'adressent à celle-ci dans «une langue autre que le français». Cette pudique expression désigne évidemment l'anglais, même quand il s'agit simplement de leur deuxième ou même de leur troisième langue.
Le problème de la définition d'un anglophone a resurgi en 1997, quand le gouvernement Bouchard a entrepris de restructurer les commissions scolaires sur une base linguistique. La Charte contenait bien des dispositions pour régir l'accès à l'école anglaise, mais qu'en serait-il des élections scolaires?
Au départ, le projet de loi présenté par Pauline Marois, alors ministre de l'Éducation, prévoyait que les mêmes dispositions s'appliqueraient. Seuls les parents dont les enfants étaient admissibles à l'école anglaise pourraient participer au choix des administrateurs du réseau.
Le tollé avait été immédiat. Alliance Québec et les libéraux de Daniel Johnson plaidaient en faveur d'une définition large de la communauté anglophone. Selon eux, elle devait inclure tous ceux qui se sentaient une appartenance, sans égard à leur origine. À la limite, un francophone anglophile pourrait en faire partie!
Pour éviter un blocage qui aurait empêché la création des commissions scolaires linguistiques, on avait finalement trouvé un compromis. Aux élections scolaires, les critères qui déterminent l'accès à l'école anglaise s'appliqueraient aux parents qui avaient des enfants à l'école tandis que les autres bénéficieraient du libre choix.
Quand Louise Beaudoin a fait adopter la politique gouvernementale relative à l'emploi et à la qualité de la langue française, en 1996, le gouvernement Bouchard cherchait à calmer les militants péquistes, très échaudés par le discours du théâtre Centaur et par le refus du nouveau premier ministre de revenir à la loi 101 originelle, comme le stipulait le programme du PQ.
Cette politique prévoyait des dérogations à la règle de l'unilinguisme français dans les communications avec la communauté anglophone et les nations autochtones, mais l'«autre langue» ne devait pouvoir être utilisée par les immigrants que «pendant la période d'accueil et d'établissement».
Douze ans plus tard, force est de constater que cette période en principe temporaire a acquis un caractère permanent. Sans remettre en question les droits acquis de la minorité anglophone, il n'y a sans doute pas beaucoup d'États dont l'anglais n'est pas la langue officielle mais où n'importe qui peut l'utiliser dans ses rapports avec les organismes publics.
Même dans les pays bilingues ou multilingues, comme la Belgique ou la Suisse, l'usage de l'une ou l'autre langue est fortement territorialisé. La Cour européenne de justice vient de condamner la Flandre, dont le wooncode limite l'accès au logement social aux seuls locataires qui parlent le néerlandais et à ceux qui s'engagent à l'apprendre.
Au Québec, personne n'a jamais suggéré d'interdire l'accès aux services publics à qui que ce soit pour des raisons d'ordre linguistique, mais il est pour le moins paradoxal que le gouvernement contribue depuis des décennies à renforcer l'impression des immigrants selon laquelle ils viennent s'établir dans une société bilingue.
Après un hiver pour le moins difficile, l'arrivée de nouveaux conseillers a manifestement contribué à stimuler la vigilance de la ministre responsable de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre. À peine quelques heures après que Le Devoir eut révélé cette incongruité, elle a annoncé que son sous-ministre avait reçu le mandat de trouver d'ici l'été un «mécanisme» pour y mettre fin «lorsque la personne est intégrée».
En début d'année, ceux qui se plaignaient de la difficulté d'être servi en français dans les commerces du centre-ville ou d'obtenir des soins en français dans certains hôpitaux s'étaient fait répondre qu'ils devraient se montrer plus exigeants. Le fait que le gouvernement Charest ait enfin décidé de prêcher par l'exemple serait une heureuse nouvelle.
À défaut de modifier la Charte pour répondre à l'éternelle question de ce qu'est un anglophone, étendre aux services gouvernementaux les critères qui régissent l'accès à l'école anglaise seraient peut-être la solution, même si cela risque de faire la fortune d'une nouvelle génération d'avocats.
Le message doit être d'autant plus clair que le Québec semble destiné à demeurer une province canadienne pendant un bon moment. Même si l'entente signée il y a une vingtaine d'années lui accorde un droit de regard sur la sélection des immigrants, l'image que le Canada projette à l'étranger est au mieux celle d'un pays bilingue ou, plus généralement, celle d'un pays unilingue anglais.
Le fait que même les immigrants ayant une connaissance suffisante du français préfèrent utiliser l'anglais dans leurs communications avec le gouvernement en dit long sur la piètre estime dans laquelle ils tiennent une langue si mal défendue par ceux qui prétendent la parler.
mdavid@ledevoir.com


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