L'État de droit et le manichéisme

Une belle âme, mais un peu brouillonne...


Le Québec moderne, francophone, égalitaire et laïque auquel la grande majorité des Québécois aspire (ou ont aspiré en assez grand nombre il y a 50 ans pour entreprendre une Révolution tranquille) se conçoit et se rêve en couleur, pas en noir et blanc.
L'éventail des positions est large entre les bien-pensants post-modernes, multiculturalistes et autres «génocidaires» du fait français et les nationalistes affranchis, assumés, fossoyeurs de la rectitude politique et qui refusent de s'excuser d'exister.
La démocratie s'accommodant plutôt mal des postures, elle permet, fort heureusement, la diversité des positions: avec leurs limites, leurs maladresses, leurs doutes, leurs écueils et... leur souci d'intégrer ceux qui ne pensent pas comme eux.
Celles qui cherchent à construire une société où l'héritage sert d'élan et non de frein au projet; où l'injonction du souvenir est aussi une injonction pour l'avenir; où l'identité est une mémoire et un projet, un espace dynamique de partage et d'adhésion plutôt qu'un butin de guerre que l'on conserve jalousement, dont on réclame l'exclusivité et que «les autres» doivent mériter en laissant au vestiaire leurs spécificités, frappées de suspicion, quand elles ne sont pas carrément reléguées au rang de pratiques barbares.
Ainsi, le Québécois de souche vit un drame familial, quand l'immigrant fait dans le crime d'honneur. Le «masculiniste» profite d'une circonstance atténuante, la détresse de l'homme victime des excès du féminisme (comme le Québécois de souche écrasé par 25 ans de tyrannie des minorités et de leurs complices, les bien-pensants), quand l'immigrant fait dans le sexisme rétrograde. Le travailleur de souche fait une crise de détresse au travail, quand l'employée immigrante fait une crise d'hystérie.
La laïcité et l'égalité des sexes appartiennent au patrimoine de l'humanité. Des millions de personnes qui en sont privées à travers le monde n'ont pas besoin de signer un contrat d'allégeance pour se les faire imposer. Ils y aspirent de tout leur être depuis des générations et ont sauté dans le radeau de l'espoir pour pouvoir les vivre comme une évidence, surtout pas comme une injonction.
La langue française a permis à des millions d'Africains du Nord et du sud du Sahara d'entrer dans le Siècle des lumières, de convoquer Voltaire au parloir de leurs convictions, aussi paradoxal que cela puisse paraître, alors qu'ils étaient eux-mêmes plongés dans la grande noirceur de la colonisation, suivie de la dictature... en français! Imaginez leur perplexité quand ils se font servir des leçons de francité, de laïcité ou de démocratie quand on revendique ces valeurs comme un héritage ou des spécificités québécoises, anéantissant du même souffle la fierté qu'éprouve la majorité de ces personnes à se reconnaître des aspirations communes avec leur société d'accueil.
Ils pensaient venir consolider ces valeurs avec nous, et voilà que nous déclarons l'État d'urgence, le devoir de résistance, de préserver nos acquis, malgré eux!
Entre les bien-pensants capitulards et les croisés de l'identité, il y a ceux qui conçoivent l'altérité et la diversité comme une chance de parachever la Révolution tranquille et non comme une arme de dilution du fait français. Cette majorité silencieuse est amalgamée aux minorités bruyantes, sommée de choisir son camp, quand ses positions nuancées ne lui valent pas carrément l'étiquette d'agent double.
Or ces gens-là ne roulent pour personne: ni multiculturalisme bien-pensant, ni nationalisme bien pensé, ni intégrisme religieux rampant, ni interculturalisme mal campé. Ils sont laïques, parfois athées, égalitaristes et francophones. Leur identité se conjugue au pluriel, leur solidarité est sans frontières, leurs appartenances multiples s'articulent sans complexe, leur loyauté envers le Québec et leur respect pour les aspirations légitimes du peuple québécois sont assez solides pour ne jamais permettre à qui que ce soit de les réduire à une affaire de droit du sang.
Pourquoi refiler aux immigrants la facture du traitement que leurs prédécesseurs ont naguère infligé aux Canadiens français? Combien de générations doivent faire antichambre avant que les tenants de la primauté du NOUS daignent les convoquer au parloir de la québécitude?
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Rachida Azdouz - Spécialiste en relations interculturelles à l'Université de Montréal


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